Ainsi interpellé, César rit aux anges.
— C’est trop d’honneurs à la fois, modestise-t-il.
— Mon cul ! réplique l’Excellence. Si j’te décorerais pas, moi, qu’est-ce qui l’ferait ? Faut profiter d’c’que j’sus t’en place, vieille cloche. Quand on est miniss, c’est comme quand on a la p’tite vérole : ça laisse des traces. Là, au moins, tu auras un p’tit souv’nir… Ma façon de faire la campagne « Touche pas à mon pote. » Y s’branlent la coiffe, les mecs. Y croivent qu’y vont changer l’monde. Badge, pas badge, la vraie d’vise du cœur humain, ça s’ra toujours « Touche pas à mon pot-au-feu ! »
Là-dessus, il pète.
Comme tous les ministres, de tous les gouvernements, dans toutes les parties du monde.
— Ell’r’vient pas vite, ta frangine ! soupire Béru. T’es sûr qu’elle aurait pas mis les bouts par une issue des pieds ?
En effet, voilà un quart de plombe qu’elle est rentrée dans le petit hôpital.
Brusquement en alerte, je décide d’aller aux nouvelles. Mais comme je sors de la chignole les jeunes motards réapparaissent, soutenant leur pote blessé dont on a pansé la tronche et la jambe. Il est inanimé et ils ont quelque peine à le fourrer dans le side-car. Ils l’y lovent (à propos : I love you) rapidement et décarrent. La seconde moto s’élance à son tour, mais la troisième va à la petite vitesse jusqu’au perron de l’établissement. Un mec en jaillit, portant un survêtement bleu et un casque de motard. Il monte à l’arrière de la selle et le pilote pique une décarrade foudroyante.
A peine, et voilà que des gens en blouse blanche surgissent sur le seuil. Parmi eux : Carson ! Leurs gestes désordonnés à tous me font piger qu’il vient de se passer quelque chose.
Quoi ? Pas dur à piger. Ces jeunes motocyclistes viennent d’opérer un coup de main d’une audace dont seuls les Israéliens sont capables en ces temps de foireux.
J’ai été repéré et ils sont venus enlever Virginia Salski à mon nez et à ma barbe, en chiquant aux motards accidentés. Et l’Antoine n’a pas bronché d’un poil. Seule, miss Carson a flairé quelque chose. Elle s’avance d’un pas rageur.
Pinuche lui ouvre la portière. Elle monte.
— Bravo ! me dit-elle seulement.
Je démarre comme un fou. Mais tu parles : le temps de me dégager du parking, la route est déserte. Tu veux faire quoi pour courser des bolides à deux roues avec une tire de série dont les pare-chocs sont en carton ?
— Ils ont braqué le personnel ? questionné-je.
— Parbleu.
— Et passé la combinaison déchirée à la femme pour l’évacuer sans que je réagisse ?
— J’avais raison : vous comprenez toujours les choses une fois qu’elles ont eu lieu, dit-elle.
Bérurier toussote.
— Pense à c’que j’t’ai dit, l’artiss : des mandales, mon pote ! A plein museau ! Même l’homme qui s’goure doit êt’ respecté, sinon ça régénère.
Je lui souris dans le rétroviseur.
Tristement.
Pour te dire vrai, je me sens un peu glandu car je viens d’en prendre plein les moustaches.
CHAPITRE VII
A l’issue du conseil de guerre tenu à l’auberge de Bärbach, conseil au cours duquel M. le ministre but seize chopes de bière et messire Pinuche-le-surdécoré, deux bouteilles de vin du Rhin, l’ordre du jour fut le suivant « la récupération de Virginia Slaski par ses compagnons ne représentait pas une défaite à proprement parler. Certes, son enlèvement nous privait de toute chance de retrouver Streiger, mais après tout, le nazi nous avait craché ce qu’il savait et son destin ne nous importait plus ». C’était somme toute ratifier la première réaction de Carson Duck. Il allait falloir maintenant s’attaquer à la dalle de l’église, et comme nous serions quatre, les travaux n’en seraient que plus rapides.
Peu après l’angélus du soir, nous prîmes une légère collation, servie par les grassouillettes menottes de Frau Magger. La gente hôtesse me mit à moult reprises ses trente-deux kilogrammes de nichons sous le nez et me frôla de la hanche fréquemment. Je l’apaisais avec des regards prometteurs. Pourtant, nos relations avec la somptueuse jeune femme la chagrinaient et elle regrettait secrètement le bon temps où, sur une simple dénonciation anonyme, elle aurait pu l’envoyer à la chambre à gaz.
Nous ourdîmes le plan suivant : dans un premier temps, je porterais seul le matériel à l’église et l’y planquerais. Dans un second, Béru et Pinaud me rejoindraient pour dresser la chambre insonorisante. Ils se mettraient au turbin tandis que Carson et ma pomme nous nous assurerions, par une ronde discrète aux abords de l’église, qu’on ne percevait aucun bruit alarmant.
Au cas où cette vérification s’avérerait positive, je me joindrais à eux tandis que notre belle amazone ferait le pet.
Carson acceptait le programme sans se départir de son hostilité. Elle me méprisait à un point tel que j’en éprouvais des troubles respiratoires. J’aurais voulu accomplir un exploit surhumain pour me réhabiliter à ses yeux. L’orgueil, toujours lui ! Ce malheureux orgueil qui nous entraîne, nous autres pauvres mâles, à tous les excès et aux plus grands risques.
Ce qui détruit l’équilibre du couple, c’est que la femme ne se soucie jamais de convaincre l’homme alors que c’est la préoccupation dominante de celui-ci vis-à-vis de la femme. Il suffit à la femme de dire pour être certaine d’exprimer une vérité (même quand elle préfère délibérément un mensonge), alors que le pauvre julot, lui, n’a d’autres vérités que celles qu’il a fait ratifier par la femme. Une vérité indéniable cesse d’être vraie si la femme la refuse. Il passe donc une grande partie de sa durée à tenter de convaincre quelqu’un qui n’est pas convaincable ; voilà pourquoi sa moyenne de vie est terriblement plus faible que celle de la femme.
Je te dis tout ça en passant, conscient de te faire chier, lecteur chéri, soit parce que tu l’avais déjà compris, soit parce que tu es inapte à le comprendre jamais. Mais quoi, merde, ça soulage, et si je n’avais dû écrire que les conneries dont tu raffoles, je n’aurais jamais été élu à l’Académie Goncourt. Et voilà !
Si on se tient sur le parvis de l’église, on perçoit les chocs. Si on écoute, à hauteur de la nef, on les entend un peu mieux. Mais enfin, ça n’a rien d’un vacarme. Cela dit, c’est pas complètement dans le velours. Suffit qu’un pégreleux s’attarde dans le coin, vienne pisser entre deux arcs-boutants, par exemple, ou qu’un couple d’amoureux se réfugie dans l’ombre profonde s’y déguster les muqueuses pour qu’il y ait un risque d’alerte. Voilà pourquoi, il ne faudrait pas non plus que ledit guetteur attire l’attention. Tu sais comment sont les petites gens dans les petits bleds ? Toujours avides d’insolite.
Ayant dûment pris conscience de cette réalité, nous décidons que je resterai avec Carson pour jouer les amoureux à bord de l’auto. Ainsi pourrons-nous surveiller le secteur et alerter nos deux « maçons de la nuit » d’un coup de klaxon.
Pigé ?
Elle porte une tenue noire, Carson. Pantalon, chemisier, délicat blouson à la coupe very new look, plein de poches, de boutons à grosses tronches et de fermetures Eclair. Son parfum délicat me chavire.
Pour faire vrai, et malgré son manque d’enthousiasme, j’ai passé mon bras sur son épaule.
Le silence m’obsède.
Je me racle la gargane, me creuse le cibouloche, mais rien de valable ne me vient. Je souhaiterais discuter un grand coup avec elle. Lui demander si je la débecte vraiment tant que ça. Si c’est moral ou physique, son aversion. Au point que ne serait-elle pas gouine sur les bords, mine de rien ? Je voudrais savoir. J’aime pas qu’une fille me rebuffe. Ça me navre tout partout, me fait douter de l’existence. Si elle aime le gigot à l’ail, soit, j’en prendrai mes parties ; chacun chope son fade où il le trouve.