Il a admis, Lulu. Moi, mes lecteurs, je veux bien leur payer un abonnement à Science et Vie, histoire de leur compenser mon innucléairation, mais qu’ils me brisent pas les précieuses pour que je me déguise en Albert Ducrocq (qu’enjambe). Chacun sa tasse de beaujolais ! Pourtant, il a ajouté, Lulu : « Alors, tu devrais forcer sur les gaudrioles, histoires belges, juives ou de pédoques ; ça, au moins, c’est dans tes cordes (à nœuds) ».
J’ai admis. « D’accord, grand, je t’en filerai au moins une par quimbou ! Ce coup-ci, c’est le dompteur de crocodiles. Dans le prochain, je t’offrirai une bath histoire belge. Tu sais : celle des deux chasseurs. Y en a un qui aperçoit dans le ciel une aile delta. Vite, il épaule et tire.
« — Raté ! lui dit son pote, l’aigle continue de voler. »
« — N’empêche qu’il a lâché sa proie ! exulte le tireur. »
Oui, je te raconterai celle-là ; commence à la comprendre en attendant.
Attends, où en suis-je-t-il ? Qu’est-ce que je te disais d’intelligent avant de débloquer ?
Ah ! oui : le trou. Ma loupiote. Le faisceau de la lampe qui plonge dedans. Moi qui zieute et m’effare.
Au fond de la cavité, pas de documents, l’aminche.
Mais par contre tu sais quoi ?
Une tête humaine, mon pote.
Celle de Streiger.
CHAPITRE VIII
Tu sais, les tours de passe-passe (comme disent les dames putes) ? La boîte magique. T’en places une sur les épaules du partenaire. Ensuite on ferme la porte et on enfonce des poignards dans le coffret, latéralement, verticalement, par-devant, par-derrière (ce qui n’est pas désagréable non plus).
Et puis tu rouvres la lourde.
Stupeur ! T’aperçois plus que le vide avec les lames des coutelas entrecroisées. La tronche a disparu ! Pfuiiit !
A cet instant crucial, je ne peux m’empêcher d’évoquer ce numéro de music-hall.
A l’envers.
Y avait un trou sous une dalle scellée. On descelle cette dernière et on trouve la tronche du gars en compagnie duquel je dînais hier au soir.
Applaudissez, dames et sieurs. Applaudissez très fort la grande prouesse d’Antonio le grand, d’Antonio l’unique ! d’Antonio le foutu con, baisé jusqu’à la gorge par les petits malins du Shin Beth !
Ratage intégral ! Cocufiage tout azimut. Me voiler la face ? Mais avec quoi ?
J’avais Streiger à charge et on me le kidnappe. Je mets la pattoune sur celle qui a aidé à son enlèvement, et on me la récupère en deux coups les gros. Je me rabats (Maroc) sur la fameuse planque aux documents Bruckner, et j’y trouve la tête décollée de Streiger.
Après cette série meurtrière, tu veux faire quoi, tézigue ? T’acheter des lunettes noires, une canne blanche et chiquer à l’aveugle devant Notre-Dame ? Pas si bête. C’est à peu près tout ce qui me reste d’envisageable comme situation d’avenir.
Pinaud a fini de prier. Il se signe après avoir lu et approuvé. Tourne vers moi son faciès de gâteux content.
— Tu connais ? demande-t-il en désignant la minuscule fosse.
Au lieu de répondre, je questionne :
— Pour qui priais-tu ?
Son sourire marron foncé s’élargit.
— Il faut toujours faire trois vœux lorsqu’on entre pour la première fois dans une église ; l’un se réalise.
— Et tu as imploré quoi ?
Je parle pour enchaîner. Il faut que des secondes, puis des minutes s’écoulent après le traumatisme que je viens d’essuyer. « Tromper le temps. » Tu connais l’expression ? Elle est stupide. Le temps, impossible de le tromper, de l’éluder, de lui passer outre. Il est là, comme une échelle infinie que tu dois escalader. Simplement tu peux tenter de penser à autre chose en gravissant les échelons.
Pinuche hoche sa chère vieille membrane sinistrée.
— J’ai demandé la guérison de mon ulcère à l’estomac, la stabilisation de mon arthrose et que mon épouse meure le plus tard possible, mais avant moi.
— Tout cela est très louable, complimenté-je ; chez toi, l’altruisme est sans cesse sous-jacent.
Béru laisse partir un pet, exagérément répercuté par l’ampleur du lieu. Soucieux de ne pas être catalogué sacrilège, il l’annule d’une génuflexion.
— Quel est le programme des réjouisseries ? s’inquiète-t-il.
— Vous remettez la dalle en place, la mastiquez et pliez bagage.
— On laisse la frime du gazier dedans, œuf corse ?
— Ce type aura au moins un brin de sépulture, car je ne suis pas certain que le solde de sa carcasse soit inhumé en Terre sainte.
Pour me contenancer, j’entreprends de mettre à plat la cabine pliable (que m’aida à construire celui dont la tête gît à mes pieds). Je ne suis pas pressé de retrouver Carson. Après mon magistral coup de verge, la courbe de mon prestige va plonger à pic.
Minuit et demi (ou bien une heure ?) tombe du clocher lorsque nous nous pointons au parking de l’auberge. Je suis archifourbu, écœuré au-delà du possible. Une carrière, je vais te dire : ça n’existe pas. C’est l’illuse d’un moment. Un miroitement. Il suffit de si peu pour qu’elle s’écroule et te laisse le cul dans les touffes d’orties, au pied de ses décombres.
Il est devenu bon à nib, le fameux San-A. Jamais il n’a connu d’échec aussi cuisant.
La vérité, tu veux que je te la dise, toute nue, toute crue et sans plume dans le train ? J’ai trop lambiné. Trop voulu fignoler. La cabine insonorisante ? De la branlette ! Fallait s’attaquer à la dalle séance tenante, y aller d’autor, sans perdre de temps. Au lieu de ça, j’ai chiqué les maîtres d’œuvres. Finassé. Comme un con, j’ai fait des dribbles savants devant mes buts : haute démonstration ! Parfait organisateur, Tantonio ! L’homme qui a du chou, qui balise avant de se poser. Et un malin est arrivé en trombe, a shooté et marqué le but. Maintenant, je regarde la balle au fond des filets (en l’occurrence la tête de Streiger), je me grattouille l’os qui pue (comme dit l’Obaise) et la honte me grimpe de partout, kif les bestioles d’une fourmilière.
Carson à qui j’ai révélé le cuisant échec a détourné la tête pour me cacher sa façon de penser. Mais je la lis sur sa nuque aussi clairement que je la lirais dans ses yeux. Elle me prend pour un bon queutard, mais pour un lavement, question turbin. Son illustre papa a accordé sa confiance à un poulet de grain trop fragile.
Misteur Bérurier, ministre, ouvre le petit réfrigérateur de ma chambre pour y dénicher du réconfortant.
— Tu comptes faire quoi t’est-ce ? grommelle-t-il. T’ostiner ou bien mett’le compteur à zéro et passer à un aut’gendre d’exercice ?
— Je n’en sais rien.
Il déniche quelques petites boutanches échantillons d’alcools forts et doux, les réunit dans un grand verre à bière, en alchimiste expert.
— Faut qu’tu saves, gars. Ma pomme, j’rentre dans mes bercails c’t’aprème, biscotte, demain morninge y a Conseil extraordinaire des miniss. On doit débloquer à propos de la Nouvelle-Calédonie, au sujet d’à propos d’ce con d’Edgar Panzani qui s’prend pour Fidèle Castré. Moi, j’précone qu’on l’oblige déjà à s’raser, y f’ra moins marchand d’tapis.
Il écluse son riche cocktail aux teintes jaspées.
— Si tu décides de poursuivre, murmure Pinuche, je peux rester, étant en vacances jusqu’à la fin de la semaine prochaine.
J’enregistre ces différentes déclarations. Mon caberluche est vide, avec un nuage effiloché à la place de la cervelle.
— En ce qui me concerne, je repartirai avant midi, déclare froidement Carson.