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Maintenant, à vous de faire, messieurs.

Je devrais être tendu, voire anxieux. Tout au contraire, un chant d’allégresse me trottine par la tronche. Inespéré ! Je m’avouais battu. Tout me semblait foutu. Rome remplaçait Sparte, déjà Napoléon perçait sous Bonaparte… Et voilà qu’au moment du renoncement, alors que je me rabattais sur les joies du guerrier vaincu, c’est « l’affaire » qui renoue avec moi. Car, pas une seconde, je ne doute qu’il soit question du secret de Streiger. Je me dis : « Et s’il y avait eu un os, à l’église ? » Supposons que « quelque chose » ne soit pas éclairci et que « les autres » viennent chez la mère pour essayer de désembrouiller le sac de nœuds ?

Que miel !

Voilà les volets qui s’écartent.

Il leur reste à violer la fenêtre. Tu croirais assister à un documentaire sur l’effraction.

Mes doigts, instinctivement, se crispent sur la crosse du pétard. Pourtant je n’ai aucune envie de défourailler sur les mecs du Shin Beth. Ils ont une tâche à accomplir, une tâche qui leur est beaucoup plus sacrée que ne me l’est la mienne, le Big B. agissant en somme pour le profit. Eux, ils ont liquidé Streiger par esprit de châtiment, pour venger des centaines de milliers de morts qui ne le seront jamais assez. Certes, la suite de l’exécution tourne un peu à la récupération commerciale, ce qui est dommage et ôte de la grandeur à leur justiciance ; malgré tout je leur conserve mon estime. Alors, attendre et voir venir, comme disent les Anglais, en anglais.

Un crissement. Ils découpent la vitre à l’aide d’un diamant de vitrier. Bientôt, une main passe à l’intérieur de la pièce et actionne l’espagnolette. Ça y est : la croisée est béante.

Une silhouette noire, souple comme une panthère, bondit et passe dans le salon d’une détente aérienne. Entre les feuilles en palette du philodendron, je distingue un individu en combinaison noire de mécano, ganté, le chef coiffé d’une casquette sombre dont la visière mesure au moins vingt centimètres de long, et affublé de grosses lunettes teintées. Au reflet de leurs verres, je pige qu’il s’agit de besicles à infrarouge permettant de voir dans l’obscurité comme en plein jour.

L’arrivant se tourne vers l’extérieur et fait un signe. Une deuxième silhouette surgit, un peu plus massive que la première mais équipée de la même manière. Des duettistes. Le premier aide le second à escalader la barre d’appui. C’est duraille car les fenêtres du village comportent toutes des bacs à fleurs contenant des géraniums qui débordent de la façade.

Pendant cet exercice, je note que chacun des deux types porte une grosse ceinture de cuir, façon « cop » ricain, lestée de tout un fourbi plus ou moins évident, parmi lequel un pistolet à silencieux.

Les visiteurs du soir jettent un œil rapide à la pièce. Je me fais le plus mignard possible et retiens mon souffle en espérant très fort que, de son côté, Heidi agit de même. Et puis les deux zigs sortent.

Ils portent des chaussons de cuir à semelles de feutre. De vrais pros, espère ! C’est pas leur première expédition nocturne. La précision de leurs gestes, leur démarche coulée en disent long sur la mise au point de leur technique.

Ils traversent l’entrée et s’engagent dans l’escalier.

— Reste où tu es, mon cœur joli, susurré-je à l’exquise fillette au slip écossé.

Je pose mes tatanes et me lance à la poursuite du tandem.

Au pied des marches je m’immobilise, l’oreille tellement tendue que je suis contraint d’entrouvrir mon anus pour compenser.

Là-haut, je perçois des exclamations, puis des espèces de suppliques. Je te parie ce que tu sais contre ce que je veux que mes pierrots discutent avec les braves voisines veilleuses.

La trajectoire, je la pige fastoche, Loloche.

Ils réclament sur Heidi, comme dit mon buraliste.

Les mémés, terrorisées auprès du cadavre, doivent leur bonnir comme quoi la pauvre orpheline est allée prendre un peu de repos dans sa carrée.

La preuve : l’un des types s’y rend.

Nobody ! Il inspecte la pièce. Vide comme le bicorne d’un gagadémicien (excepté celui de quelques potes à moi qu’avaient envie de dictionner en couronne). Alors le gars ressort. Il va descendre, c’est rectal.

Oui : l’v’là. J’embusque dans le renfoncement, près du porte-pébroques. L’homme dévale très vite et silencieusement. Comme il parvient à la dernière marche, il déguste ma botte secrète la plus magistrale. Je dispose d’un éventail assez large de bottes secrètes dont l’efficacité n’est plus à célébrer ; mais celle dont je cause et que j’ai baptisée « la découillante » (car je leur donne des noms comme aux pizzas) constitue la perle de ma collection. S’agit d’un monstre crochet sous les roustons qui continue sa course pour s’achever au menton de l’intéressé. Faudra que je te montre, un jour qu’on aura deux minutes à nous. Tout part de l’épaule. C’est l’élan qui conditionne. Et puis faut viser juste. Chplaoff ! Ton poing percute les aumônières du gus. Surtout, pas marquer de temps d’arrêt. Produire le second effort dès l’impact premier pour remonter le long du zig et aller poser ton poing mignon, plein de belles phalanges de bronze, à la pointe du bouc. Quand c’est réussi cinq sur cinq, l’intéressé n’a pas le temps de dire ouf. Il est bâillonné par la douleur intense et fulgurante, puis soporifié par un ébranlement cérébral mimi en plein. Cette fois — est-ce le fait de mon énervement ? — , je peux te dire que je viens de produire ce qui se réussit de meilleur. Le gars s’écroule net. J’avance mon genou en équerre pour amortir sa chute. Mais il a son compte.

Je m’aperçois qu’il est muni de menottes, lesquelles sont maintenues à sa ceinture par une gaine de cuir. En homme d’expérience, je les dégage et lui entrave les bras dans le dos. Un dernier coup de saton dans le temporal manière de pas lui marchander le sirop d’absence, et bon, c’en fait un de moins.

Faut aviser avec mister Number two. Continuer la cueillette sans temps mort ni trompette. Alors, youp, youp, au premier !

En trois enjambées, mais en m’agrippant à la rampe, je m’hisse. La porte de la chambre funéraire est restée entrouverte. J’aperçois deux grosses dondons avec des chignons comme on n’en fait plus depuis la révocation de l’édit de Nantes, bien posés à la Guillaume Tell sur le dessus de la tronche. Elles sont blafardes, les mères. Les lèvres grises d’émotion. Le plus corpulent des deux loustics me tourne le dos et les couvre de son feu. Je tiens mon propre pétard par le canon et je me précipite sur lui. Il se retourne. Quels réflexes, madoué ! Avant d’avoir réalisé le danger, il praline déjà, l’Indien ! Quel vilain méchant ! C’est si fulgurant que l’une des deux dames déguste la première bastos. La seconde part à dame dans le globe de verre qui protégeait jusque-là la couronne de fleurs d’oranger que mamie Streiger portait à son mariage ; la troisième me troue le rembourrage du veston ; et c’était moins juste parce que si je n’avais pas bondi, j’accusais réception en plein poitrail et y aurait fallu m’épingler une décoration (moi qu’ai horreur) pour masquer le trou.

Ma crosse d’airain finit sa course sur la nuque du cruel. Ça le titube mais il ne tombe pas. Alors j’acharne du panard. Paoufff ! dans les côtelettes. Je dis paoufff ! parce que j’aime bien les onomatopées écrites, malgré que je sois pas un client des bandes dessinées. Ce vermisseur est groggy, et pourtant, il s’obstine à vouloir homicider. Il est de ces fauves terrassés qui cherchent encore à mordre et à griffer.