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Elle n’a pas peur, elle ne geint pas. C’est une simple question qu’elle se pose, consciente d’être embarquée dans une curieuse galère.

— Il va y avoir du remue-ménage, bien sûr, et puis les choses se tasseront.

— Pourquoi ces gens sont-ils venus ?

Je n’hésite pas :

— A cause de ton oncle. C’était un criminel de guerre nazi ; beaucoup ont oublié mais certains se souviennent encore.

— Ils le recherchaient ?

— Oui. Vous étiez constamment surveillées, ceux qui en avaient après lui jouaient sur les grands élans humains et espéraient qu’il viendrait embrasser sa mère avant qu’elle ne meure.

— Et il n’est pas venu !

— Non, il n’est pas venu parce que c’était un authentique fumier.

— Pourquoi parlez-vous de lui au passé ?

Tiens, elle a du chou, la gosse. Merde ! Vivre ce qu’elle est en train de vivre et conserver la tête froide, c’est pas tout le monde !

J’avale le caoua lourd et parfumé, cent pour cent arabica ! Ça me brûle le conduit de descente. Opération coup de fouet.

— Heidi !

Elle me regarde.

— Je ne t’oublierai plus.

— Moi non plus.

Le coq bavarois remet la gomme plein tube. Il en casse comme quoi il est régnant, et qu’il va faire jour bientôt, et que ce sera la fiesta pour ces dames poulettes ! Te les chaussera d’importance, le bougre, en les saisissant par la crête !

Je reconnais sa voix : il égosillait déjà naguère. Je planterais ma tante dans ce bled, je sens qu’on deviendrait potes, lui et moi. On a le même tempérament.

— Heidi, ta grand-mère te parlait de son fils disparu ?

— Tous les jours.

— Que t’en disait-elle ?

— Qu’elle était persuadée de son retour. Chaque fois qu’on entendait frapper à la porte, elle pensait que c’était lui. Quand elle apercevait une silhouette dans la rue, elle sursautait.

— Malgré ce presque demi-siècle écoulé, elle continuait d’espérer ?

— C’était plus que de l’espoir : une certitude. Elle le « sentait » vivant, je vous l’ai déjà dit. Ces derniers jours, elle avait des périodes de demi-inconscience et lui parlait ; elle le remerciait d’être venu. Elle lui disait que tout était intact et qu’il pouvait descendre voir…

Mamma mia, qu’est-ce qu’elle raconte, Heidi ?

Un trait de lumière.

De feu, plutôt !

La vieille était certaine du retour de son garçon parce qu’elle conservait une chose qu’il lui avait confiée ! Elle croyait davantage à l’intérêt qu’à l’amour. Ce bandit de Streiger reviendrait chercher un jour ou l’autre la chose qu’elle détenait.

Heidi continue de parler, comme une source murmure (j’ai lu la phrase dans un article de Jean-François Revel et je la lui pique, tant pis pour lui, il avait qu’à la déposer), mais je ne prends plus garde (barrière) à ses paroles.

Je reste bloqué sur la phrase : « Elle lui disait que tout était intact et qu’il pouvait descendre voir. »

Elle se répète dans ma tronche, sempiternellement, comme tombant d’un disque rayé.

« Elle lui disait que tout était intact et qu’il pouvait descendre voir… »

— Heidi !

Elle cesse de jacter, soudain inquiète en me voyant le regard à cent mille années-lumière d’ici.

— Heidi, Mamie t’a-t-elle jamais parlé de quelque chose, papiers ou objet, que serait venu lui confier son fils avant de disparaître lors de la défaite allemande ?

Toujours une tronche nickel, la gosseline d’amour.

— Chéri, me dit-elle, qui êtes-vous ?

Bonne question à cent marks. Si je bats à niort, elle perdra confiance en moi et se recroquevillera. Faut lâcher du lest, mon bijou. Lui faire une petite livraison de vérité, à valoir sur la grande, l’intégrale.

— Je suis un policier français qui travaille en pool avec les services américains pour mettre la main sur une invention que s’était appropriée tonton.

— C’est pourquoi vous m’avez séduite ? questionne-t-elle tristement.

Comment lui faire croire que c’est inexact ? Que c’est le hasard seul qui nous a mis en présence ? Que j’ai été abasourdi en apprenant, hier, que je me trouvais chez maman Streiger ? La vérité est parfois difficile à exprimer.

— Si je vous jure que non, vous ne me croirez pas, Heidi. Et pourtant je vous jure que non, sur la tête de ma chère maman. J’ignorais que la mère de Streiger fût encore vivante et, a fortiori, qu’il avait une petite nièce délicieuse.

Ses yeux mélancoliques m’expriment les efforts qu’elle fait pour me croire. L’amour rend crédule. Elle ne demande qu’à me filocher le train, la mignonne.

Je vais à elle, l’oblige à quitter son tabouret et l’étreins farouchement. Elle sent le propre, l’amour. Ma paluche repart à son assaut. La culotte éclatée est un objet inanimé qui a donc une âme. Et quelle ! Je lui bouffe la gueule, Ninette. La presse contre tout moi, m’en fais un tricot Thermolactyl, un cataplasme. Mes doigts experts lui disjoignent les pétales. Quelle magnifique rose ! Tout enrosée. Merveille. Laisse aller, ma gosse, c’est pour ton bien que mon marteau travaille. Je te vais passer au pilon, future gourgandine encore mal déballée. Tiens, tu vas voir, accoude-toi seulement sur la paillasse de l’évier ! Mon grand air « Ris donc, Paillasse » Ris donc de tes malheurs ! Ris de ta face ! De tes fesses ! Le salut aux couleurs ! Bitoune über alles ! Oui, ma poule, en « V » retourné, t’as tout pigé. T’es coopérante tout plein. Un vrai velours. On croirait jamais qu’il y a pas trente-six plombes t’étais berlinguée comme un escarguinche en hibernation ! Déjà, on rentre chez toi comme dans un moulin. C’est ça : plus haut les noix, fillette ! Tu sais que t’as un Q. I. de surdouée, le sens inné de la brosse ; ça ne s’apprend pas, ou mal. Faut le don naturel. Mozart ! Tu mozardes divinement. T’as la fougue farouche, le coup de hanches déterminant. T’es participante à cent pour cent. Lorsque tu auras fait le tour des techniques, t’auras plus de succès que la Swatch. On te réclamera sur les cinq continents. Ton blaze figurera sur les carnets d’adresses les plus huppés. On causera de toi dans les soupers officiels. Tu épongeras les glands de ce monde : le corps diplomatique en tête (de nœud) comme toujours, et puis les grands politicards blasés, monarques plus ou moins républicains ; tu te feras embroquer par de vrais rois, qui sait ? Des Noirs, des Jaunes, des roses. Je lis dans les lignes de tes fesses, poupée tendre. Je lime dans ton destin.

Et tout en bavouillant, incorrigible que je suis, je réfléchis à la drôle d’histoire que nous vivons toi et moi. Je cherche à deviner pourquoi tonton Streiger avait réparti son butin, le butin Bruckner, en deux parties. L’une qu’il a placée sous la dalle de l’église, et l’autre chez sa vieille. Pas mettre ses œufs dans le même panier ? Je crois pas. Je ne « sens » pas comme disait sa pauvre mamie à propos de sa mort supposée. La planque de l’église. Un drôle de loustic, ton fumier de tonton, ma belette jolie.

Attends, je te place, là, un coup de reins fuligineux qui va te faire glapir à la lune. Vlan ! Et voilà ! T’as poussé ton chant d’alouette. Je t’avais prévenue : l’Antonio connaît bien sa partition. Et maintenant, je te vais électriser l’hémisphère austral en chipatant des doigts sur ta concavité à mollusque. Ah ! tu gazouilles, mon ange. C’est chouette, hein ? On en redemanderait ! T’en redemandes ? En revoilà !

Attends, c’est pas finito. Je connais encore bien d’autres trucs. Si je les nomenclaturais, ça donnerait le catalogue de la défunte Manufrance dont la France entière porte le deuil.