Mais qu’est-ce que je pensais ? Oui, la double planque de Streiger. Du moins, est-ce moi qui échafaude cette hypothèse. Mais admettons. Je suis bien obligé de pousser mon raisonnement, non ? Sinon je ferais du home-trainer avec mon ciboulot, et l’immobilisme cérébral, y a rien de plus néfaste. T’ankyloses des cellottes. Tu flasques de la matière grise. Ça tourne au calandos trop mûr, sous ta coiffe !
Je pensais donc à deux cachettes. L’une sous la sacrée dalle de l’église, l’autre quelque part chez maman. Pourquoi ? Attends, je jute ! Parce que sous la dalle, il n’y avait pas suffisamment de place pour tout contenir. Ça se tiendrait, non ? Maginons un truc volumineux. Ou plutôt, non, bouge pas : l’invention de Bruckner est en deux parties. Il y a les documents papiers, et puis un appareil, un engin, un truc, un machin, un objet, quoi. Et ce dernier est trop long pour être planqué dans la cavité de l’église qui n’est profonde que de cinquante ou soixante centimètres. Il dépose là les plans, le technique. Le reste, il a pas le temps, en pleine déroute, ayant Ruskoffs et Ricains aux meules, de se fignoler des cachettes top secret, le gueux. Bon, tant pis, cela, ce sera pour la mère. De toute manière, il faut les deux parties. Il est certain de la première planque, advienne que pourra pour la seconde.
Et ma pomme de continuer mon petit baisouillage savant sur l’air des scieurs de long dans la forêt finnoise. Ninette repâme. Arrive au bord du fade, le refoule pour savourer plus mieux encore. Je te jure, y a que les futures très grandes pineuses qui sont, d’instinct, capables de ça ! Je lui confirme son apothéotique avenir dans le pain de miches à cette Manon bavaroise.
Bon, c’est pas le tout, je vais pas lui tourner un documentaire sur le zizi-panpan-dans-la-lune à travers l’âge de foutre (celui de Pierre, tu le connais : il a deux ans de moins que moi !). On va conclure par le planeur fantôme, ça plaît toujours. Il a jamais essuyé de reproches avec cette figure libre, l’Antonio. Aucune greluse qu’ait protesté une seule fois comme quoi ça la blousait de fade le moindre.
Je commence par le vol du gerfaut, décrivant des paraboles (de riz) avec légers mouvements ascensionnels dus aux appels d’air. Et puis c’est le lent piqué tatouilleur. Et miss Gretchen sérénade comme sur la scène de la Scala de Milan. Je suis un milan qui lui agrippe le michier. Attention ! Elle décarre. J’opère le botté final, total, sec, comme l’officier remet sa rapière au fourreau à la fin de la prise d’armes. Tchloc !
La chérubine crie « Maman ! ». En allemand, elle en a d’autant plus de mérite. Sa pauvre maman défuntée depuis si longtemps, chère orpheline !
Je libère le territoire. Vaincue, elle se laisse glisser à genoux devant l’évier comme devant un maître-autel. Sa joue est appuyée contre la porte du placard à poubelle. Groggy, la gosse.
Y a ce délicat moment de confuse hébétude. Les bébêtes sont de retour soûlées de plaisir, penaudes d’en avoir fini, les bébêtes aux sens essorés et pendantes…
Oui, elle semble abîmée en prières, Heidi.
Son être comblé crie grâce et implore le repos.
Pour me rafraîchir l’asparagus, je passe dans la salle de bains ; logique. Tu verras jamais, au cinoche, des amoureux qui blablutionnent après le radada. Post coïtum animale crados. Moi, si. Propret comme un sou neuf, Tonio. Faut, quand on t’a surnommé « le grand raide ».
L’eau fraîche et Cadum préservent ma vigueur de troncheur d’élite. Et ma pensée à quatre pétales continue de survolter jusqu’au point de disjonction.
Revenu à la cuistance, j’aide la gosseline à se redresser. Elle dort debout. Je la drive au salon, l’allonge sur le canapé. Ses yeux se ferment.
— Tu vas te reposer, mon bel amour allemand, lui soufflé-je dans les cages à miel. Je te demande juste un dernier effort. Tu m’entends ?
— Oui…
— Grand-mère a dû te parler de ce que ton oncle est venu lui confier avant de disparaître ?
Son souffle régulier m’indique qu’elle dort. Je la secoue avec mesure (à deux temps).
— Réponds, Heidi. Mamie a fatalement mentionné que tonton Streiger a déposé quelque chose d’important ici au moment de la défaite ?
— Hmmm… Oui…
— C’était quoi, ma reine de volupté ?
— Je ne sais pas…
— Et ça trouve où ?
— Ici…
Elle pionce pour de bon. Epuisée… Des heures de veille, du drame, de la baisance en pagaille, des émotions fortes, les nerfs mis à rude épreuve. Tu voudrais qu’elle résiste ? C’est l’écroulement. Ma levrette-party a eu raison de ses ultimes forces, a liquéfié ce qui lui restait d’énergie.
— Ici, dans ce salon ? insisté-je odieusement.
Mais elle est totalement inconsciente, perdue dans les abysses d’un sommeil voisin de l’évanouissement.
Faudrait lui balader une lampe à souder sur la plante des pieds pour l’arracher de là. N’ayant ni lampe à souder ni le tempérament d’un tortionnaire, je la laisse dormir, poussant la galanterie jusqu’à la couvrir avec le dessus de table brodé.
Mains aux poches, je pivote lentement sur mes talons. Je me répète : « c’était trop gros pour être enfoui sous la dalle, la gosse ignore ce dont il s’agit, donc ça s’incorpore à l’habitat… »
Elle a dit « ici ». Elle entend la maison ou seulement cette pièce ? Putain de bourrique baiseuse, si tu pouvais au moins m’affranchir sur ce point !
Curieux qu’elle sache que tonton a laissé quelque chose mais qu’elle ignore quoi ? Mamie tenait sa langue. Craignait que l’adolescente ne se confie à quelque amoureux. Les filles, tu les connais ? Le feu au cul, prêtes à brader le domaine pour un coup de braque !
Devinette : supposons que « le machin » en question se trouve dans le salon ?
Cherche, Sana.
Et trouve.
Vas-y méthodiquement.
Sors, et entre !
Je sors, j’entre. Pas en plein : je demeure dans l’encadrement. Commence par la gauche et explore centimètre par centimètre.
Bon. La desserte. En noyer ouvragé. Loupe de noyer. A l’intérieur : vaisselle. Le bas du meuble ne comporte pas de double fond, t’es sûr ? Parfait. Et sous le meuble ? Rien ? Pas même des moutons ? D’accord. Dessus ? Des objets vieux et cons : souvenirs, souvenirs. Le kitch chleuh ? Le pire. Il l’est doublement. Après la desserte, un fauteuil. Soulève-le. Poids normal. Palpe-le… R.A.S. Examine-le… N’a pas été traficoté le moindre. Continue… Une patère austère. Pourquoi une patère dans un salon ? Parce que rien. Chacun ses marottes. Faut dire que celle-ci est en ébène, avec des incrustations de bois plus clair formant une fresque florale. Cela dit, elle est de bon aloi, Eloi, la patère. Voyons ensuite… Ah ! l’horloge ! Dans Goupil Mains-Rouges, la cachette du magot c’était le balancier en or. Donc, étudions le balancier. Nein, il est normal et la caisse est vide. Au canapé, à présent ! Sans importuner la dormeuse, je le sonde, mais il est absolument sans mystère. La caisse du philodendron lui succède. Je fouille la terre et rencontre un monstrueux écheveau de racines pareil à un nœud de serpents stratifiés. Ces racines ont bouffé presque toute la terre qui leur assurait vie. Elles doivent s’autoalimenter, c’est pas Dieu possible ! Les pots des autres plantes sont trop mignards pour receler quoi que se soit.
Voilà pour le pourtour du salon. Ne reste plus à étudier que la table, au centre, et les quatre chaises recouvertes de tapisserie.
Mais, dis-moi, cette table en marqueterie a un unique pied central très large, et un socle épais sur lequel elle repose. Je la fais basculer de manière à la mettre à la renverse et entreprends de dévisser tour à tour le socle et le pied. Quelque chose me dit que je brûle. Mais le quelque chose en question se fout le doigt dans l’œil car les deux éléments sont creux et vides. Pourtant, merde, quelle belle planque ils auraient constituée !