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La môme en écrase comme si on lui avait piquouzé la tuyauterie au penthotal. Telle qu’elle est partie, elle en a pour vingt-quatre plombes avant de remonter ses stores. Seulement, dans pas longtemps, les familiers des deux voisines scrafées vont s’inquiéter et venir aux nouvelles. Alors ce sera le départ d’une fameuse corrida. J’entreprends de remettre la table dans sa position normale ; ce qu’elle est lourdingue ! Tellement qu’elle me ripe des paluches et que je manque de la lâcher. Ça vient du tapis placé dessous qui a glissé sur le plancher trop briqué.

Je m’efforce de relever la table et c’est en m’arc-boutant que ça me saute aux châsses. Libéré du poids du meuble, une lame du parquet rebique comme une plume de queue de canard. Lla ! Tu mordrais le beau commissaire ! Un naufragé du désert voyant sourdre un peu de flotte du sable brûlant.

J’écarte table et tapis, me jette à genoux, joue du couteau. Me faudrait des outils plus compétitifs, mais ma frénésie me retient d’en chercher, comme si m’absenter un instant risquait de compromettre mes recherches. J’attaque à lame blanche, vite ébréchée. Dès qu’il m’est possible de saisir la lame du parquet, je tire dessus à m’en faire péter la peau des doigts. Craaaac ! Ça vient. A sa voisine à présent. Plus fastoche car je dispose d’une prise plus zaizée. Rrrran ! Recraaaaac ! Sous le plancher, il y a un panneau de contre-plaqué qui sonne le creux pire que ton front. Le défonce du talon… Une cavité. Je coule la main, l’avant-bras… Finis par palper un papier huilé. S’agit d’un paquet attaché avec une ficelle de chanvre. Ma joie ? Triomphale ! Gagné ! A quel prix ? Va regarder au premier.

Je dois retirer encore deux autres lattes avant de récupérer le paxif dans sa niche. Non : il ne pouvait pas tenir dans le trou sous la dalle car il mesure plus d’un mètre de long.

Je me fais languir. Au lieu de déballer ma trouvaille, je rassemble les lames du parquet, replace le tapis, puis la table.

Ni vu, ni connu.

Et maintenant, régale-toi, Antoine !

La lame de mon ya ressemble davantage à une scie qu’à une lame normale. Elle suffit néanmoins pour trancher les liens de chanvre usés à cause du temps.

Je me mets à déplier le gros faf huileux.

Que peut-ce être ? Jamais cadeau d’anniversaire ne m’a causé autant de joie. Le papier s’est presque stratifié dans sa planque. Raide comme des draps de collégien ! Les années malmènent tout : choses et hommes. Laisse s’écouler quelques décades sur la gueule de ton ennemi, et te voilà vengé !

Ça craque comme si la pâte à faf était redevenue arbre. Je parviens à déplier le colbard. Pas une mince affaire, car Streiger n’a pas chialé la came. Y en a dix mètres, cré bon de ça !

Qu’à la fin, je mets à jour un appareil qu’il te me faut décrire vu que j’ignore l’à quoi qu’il sert. Disons qu’il ressemble vaguement à un pot d’échappement de voiture. Ça fait comme un tuyau d’un diamètre de cinq centimètres environ. Il est recourbé pour composer comme une crosse épiscopale ayant aussi la forme d’une crosse de mitraillette. A cinquante centimètres de ladite, se trouve un tambour cylindrique long d’une trentaine de centimètres pour un diamètre d’une vingtaine de centimètres. Ensuite, le tuyau se poursuit sur encore vingt centimètres et se termine en s’évasant comme un entonnoir. L’ensemble est vachetement lourdingue.

C’est un machin artisanal. La manière dont c’est fabriqué indique qu’il s’agit d’un prototype construit à la main.

Une arme ?

Sa silhouette l’indique et la petite manette en forme de détente placée sous le tambour le confirme. Seulement ça tire quoi ? Pas des balles, car ce serait alors des obus. De la grenaille ? L’issue évasée comme le canon d’un tromblon le donnerait à croire. Cela dit, je ne vois pas pourquoi le B.B. et d’autres organisations se remueraient l’oignon pour s’approprier une arme aussi folklorique.

Perplexe, j’examine l’engin. Je pige qu’il a motivé la visite des deux sbires : les plans de l’invention se trouvaient d’un côté, son prototype de l’autre. Les deux doivent être nécessaires pour fabriquer l’arme de façon industrielle. De même, je comprends aussi pourquoi le commando s’est muni d’explosifs. Ils pensaient que Streiger avait peut-être muré la chose, ce qui était presque vrai.

Tout est calme maintenant dans la maisonnette rose truffée de cadavres. Va me falloir prendre une décision. La solution la plus simple, et la plus lâche, consisterait à tailler la route avec ma trouvaille. D’ici une heure on peut se retrouver en Suisse, loin de toutes tracasseries. Mais un profond sentiment de pitié me retient. J’imagine cette gamine affrontant seule la situation, sans personne pour cautionner ses dires, pour l’assister.

Mon cœur généreux déborde de pitié. S’y mêle une obscure tendresse. Je l’aime bien, moi, cette petite baiseuse, innocente et sensuelle. Elle a pris son pied, vaillamment, malgré l’épouvantable nuit qu’elle vient de vivre.

D’un autre côté, ai-je le droit de plonger dans la béchamelle qui s’ensuivra ? Vais-je compromettre mon entreprise et — qui sait ? — ma carrière pour les beaux yeux cernés de cette blonde Gretchen ?

Au plus fort de ma perplexité, j’ai tout à coup l’impression d’être observé. D’instinct, je me tourne vers la fenêtre dont les volets sont restés ouverts depuis l’effraction des deux loustics.

J’aperçois, dans la pénombre, une espèce de tête de tortue assez éprouvante. C’est sans poils, c’est osseux, ça n’a pas de lèvres mais, en revanche, ça possède d’énormes paupières fripées qu’on dirait en peau de lézard. Le frère d’E.T. venu sur notre planète pour le chercher ?

Dur dur à définir. L’extraterrestre me darde avec acuité. Constatant que je viens de le voir, il disparaît.

N’écoutant que mon machin, je bondis ! Pas le temps de passer par les voies normales : je franchis la fenêtre et me retrouve dans l’impasse.

Un mec grand et de noir fringué fonce vers la rue.

— Halte ! je lui crie.

Speak to my backside, my head is ill !

J’essaie de forcer l’allure, mais j’empêtre dans tu sais quoi ? Le tromblon d’échappement que j’ai toujours en main.

Tu penses que je ne vais pas l’abandonner volontiers.

Ce qui, alors, me traverse l’instinct, je veux pas l’expliquer. C’est l’impulsion incoercible, comme on dit en psychiatrie. Voilà que je braque l’escopette en direction du fuyard et que j’actionne la manette du tambour.

Je m’attends à une détonation. Zob ! Simplement, l’engin est secoué par une forte vibration l’espace de trois à quatre secondes (montre en main).

Au bout de l’impasse, l’homme-lézard s’est arrêté pile. Le voilà qui se prend la tête dans ses mains comme s’il voulait l’arracher de son buste. Il hurle à tous les échos en dansant de Saint-Guy. La farandole des ours ! Il s’agite dans tous les sens en continuant de bieurler comme un goret qu’on saigne.

Je le rejoins, l’examine. Pas une goutte de sang. Pas la moindre blessure. Il garde ses deux mains à plat sur ses oreilles à peine en relief. Et il crie, et il a une sotte gambade, impressionnante. Et il se penche en avant, tombe à genoux…

Ma présence le laisse indifférent. Il paraît coupé du monde, ce mec. Enfermé dans une douleur sauvage, étrange, et que je devine inguérissable.

Je perçois un bruit. Volte-face d’Antoine. Le temps de voir un avant-bras armé sorti d’une portière de bagnole, la balle me décoiffe. Je me jette au sol. D’autres dragées pleuvent, ricochent sur les pavés.