Un siège monté sur un rail étroit qui lui permet de se déplacer latéralement obstrue son anus déshydraté. Pinaud s’affaire (à repasser) sur ces mystérieux boutons, leviers, pranduques, zitrons, abracabrants. Toutouche à toutou, le Fossile. Brandouilleur patenté. Clic, clac… Toc tonc ! L’organiste de la cathédrale. Et c’est une pure magie qui lui naît des salsifis, l’apôtre ! Voilà que les écrans s’allument. Que des micros se mettent à jacter. On entend causer arabe, anglais, poulave, mordu, slovaque, hébreu, dauphinois, suisse roman… Une cacophonie !
— Un centre de communication ! m’écrié-je à voix basse (ce qui n’est pas incompatible, essaie, et tu verras, verrat !).
Sur les écrans les visages se précisent. On découvre un officier syrien habillé en saint-cyrien, un autre, Libyen, costumé en kadhafien, des mecs en civil qui ont l’air de militaires. Un Noir, un Jaune, un Rouge (tiens, le drapeau belge !).
Ça se chevauche, s’entrecroise, s’embrouillamine, se subjectife. César est devenu le César des ondes toutes catégories. Presque un démiurge qui se goinfre de son pouvoir. Il capte, fait basculer, chose, lâche, agrandit, précise…
— Mais où as-tu appris à manipuler ce genre d’appareils, vénérable moisissure ? m’écrié-je.
— Depuis quelques mois je suis des cours d’informatique, répond le trou de balle de bouc étique qui lui tient lieu de bouche. Il faut vivre avec son temps.
— Et à quoi cela va-t-il te servir ? ironisé-je comme un con inconsidéré, mais sidérant, alors même que cette chère survivance met en application son savoir nouveau.
— A connaître l’informatique avant de mourir, répond-il, paraphrasant, sans le savoir, je gage, Homère ou un vieux jeton de son époque, grec en tout cas à s’en faire éclater le fondement.
Il pique sur un plus grand écran qui lui oppose quelque rétivité. S’obstine à le dompter. Le veut à merci. Lui fait des grâces, l’implique, le choie, l’écrème, le nantit, l’apostrophe, le conjugue, le déballe, l’englue, le pétafine.
Qu’à la fin : euréka ! L’écran s’éclaire. Le son éclate, fracassant parce que le niveau sonore et branché sur la saturante. Que vite Pinauder shunte pour nous débloquer les cages à miel.
Une voix énorme beugle.
— … bourbe ! Salope !
L’image indiscernable au début, vacillante et ténue, se pose, se précise.
On découvre M. le ministre, sur un plumard avec la dame au peignoir bleu.
Il l’en a déballée et promène sa dextre sur la chaîne des monts Grampians dont elle offre une maquette parfaite. La femme se laisse inventorier sans déplaisir, mais avec pourtant une certaine passivité.
— T’vas voir comment t’est-ce c’sera bon, les deux, ma grande. J’ai tout d’sute vu qu’t’étais pile ma pointure d’prédiction. T’as l’gabarit hors classe. J’voudrais pas t’balancer des compliments eguesagérés, mais tu m’fais songer à ma Berthe. L’bustier surtout. Tu chipotes pas su’ les glandes, fillette. T’as la triperie complète… T’vois, j’t’ent’prends à la langoureuse, façon Adolphe Valentino. C’est la scène du balcon d’Alfa Roméo et Juliette, mignonne. Bouge pas qu’j’t’escalade le sensoriel, ma poulette. Ensute tu sauras c’que c’est qu’un coup d’rapière à la française. T’es vachement exsailletinge, la mère ! Et t’as pas la chaglatte en colimaçon, d’après ce que je m’informe. Oh ! dis, j’te fais de l’effet, petite charognasse. T’es partante pour l’grand bonheur ! Perds-le pas, ton ticket d’appel, l’embarqu’ment va z’être immédiat. Vise : ma pattoune est déjà dans la salle d’embarquement, à te frivoler le bistougnet. Tu parles d’un cent’ d’accueil ! Quat’ doigts, ma gosse, faut pas avoir peur des mouches ! Et si j’insisterais pour qu’ le pouce rejoinde l’bataillon, t’serais d’accord, pas vrai ? Allez, bon, on y va d’la chevauchée impériale ! Pas t’faire languir d’trop, et puis j’ai du monde qu’attend. Sans compter que l’président d’la République compte su’ ma pomme, c’soir.
Péremptoire, le Magistral se met en position de papa-maman. Et il y va à la décarrade aimable, sans peser, aérien car il sait se servir de ses coudes et de ses genoux.
Carson, abasourdie, demande :
— C’est cela qu’il appelle un interrogatoire, votre rhinocéros ?
Gêné, je m’abstiens de répondre, et c’est « l’informaticien » qui s’en charge. Il vole au secours de son gros pote, Pinuche :
— Laissez-le faire, mademoiselle ; chacun a sa technique. Alexandre-Benoît sait jauger les individus. Il a tout de suite compris que cette personne ne céderait pas à la force et qu’il devait user de moyens plus subtils.
Mais le scepticisme méprisant de Carson n’est pas entamé.
— Vous vous imaginez que ses prouesses amoureuses vont décider cette femme à parler ?
— Attendons…
Mais moi, il me vient brusquement un flot d’angoisse à goût de fiel. Tu sais ce que je me dis, avec ma vaste sagesse ? Que si nous captons la scène de la chambre sur un écran de cette cabine, d’autres correspondants peuvent la visionner également. Et je t’ajoute autre chose, grâce à mon esprit de déduction nettement au-dessus du niveau de la mer : la piaule où fornique Bérurier est équipée d’un système vidéo. Il y a au moins deux caméras (je le constate d’après les plans qui changent sur l’écran), un éclairage ad hoc, des micros… Donc, cette pièce sert aux émissions produites par l’Arabian Company. Si la grosse blondasse y a conduit le Gros, c’est justement parce qu’elle a trouvé ce génial moyen de donner l’alerte. A l’insu de Prosper, elle a déclenché le système d’enregistrement, sinon on ne recevrait pas d’images !
Et depuis dix bonnes minutes, pas inintéressantes d’ailleurs, on contemple le cachalot dans ses œuvres (de chair). On est dingues !
Mais qu’est-ce qui te prend, Sana, mon biquet, mon loulou, ma crotte ? Tu glycérines de la coiffe, mignonnet, ou bien ?…
Pinuche est en train d’expliquer à Carson la haute technicité des méthodes béruréennes.
— Vous allez comprendre, miss. Mon ami, le ministre, est très fortement membré, à tel point que la chose (si je puis dire) est de notoriété publique et lui a valu, passez-moi l’expression, le sobriquet de « Queue d’Ane ». Lorsqu’une personne du sexe accepte de s’abandonner à lui et qu’il la conquiert bibliquement, elle éprouve un plaisir si intense qu’elle ne peut accepter qu’il cesse sa divine gymnastique avant l’aboutissement. Or, mon diabolique ami, quand il veut exercer un chantage sensoriel sur sa partenaire, l’abandonne en pleine volupté, au plus intense de son déferlement sexuel. La malheureuse ne peut supporter d’être sevrée brutalement ; elle implore ce rude mâle d’aller jusqu’au bout de son propos. Dès lors, elle est à merci ; des tractations s’engagent qui, toujours, aboutissent à la soumission totale de la chère femme. Gardez confiance, cette dame est sur la voie des aveux.
Carson va pour ironiser sur la méthode singulière de mon ministre, mais elle aperçoit sur l’écran le corps du délice, le juge si exceptionnel, si volumineux, si incroyable, si confondant que sa nature femelle l’incite au respect et qu’elle se tait pour assister à l’enfourchement de messire Bérurier, seigneur de Saint-Locdu, baron des Madrés, chevalier de la Membrane à grosse veine bleue, abonné à la très réputée Compagnie du Gaz de France, titulaire du permis de pêche No 64885 délivré par la Société « Le Goujon Matinal » dont le siège se trouve au Café des Marronniers à Fouzydon-dans-l’Oigne (Il est Vilain[9]).
Je néglige ce spectacle, malgré son indéniable intérêt artistique pour fomenter un plan d’action.