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Je me relève. Les trois sbires ont le même comportement, ainsi d’ailleurs que le vieux professeur. Au tas, tout le monde ! Ils sont out pour le restant de leurs jours, tous ! Quel gâchis !

Hébété, Pinuche considère son œuvre en tétouillant son mégot.

— C’est quoi ? fait-il. Hein, Antoine, que se passe-t-il ?

— L’abomination, réponds-je.

— J’étais en état de légitime défense, plaide l’Ancêtre.

— Tout ce qu’il y a de légitime, confirmé-je.

Le spectacle de ces cinq personnes démantelées, privées de sens, affolées par leur complet déséquilibre, est insoutenable. Se peut-il qu’on ne puisse plus rien pour eux ? Des idées euthanasiques me viennent ; je les repousse avec effroi. Il faut garder espoir. Peut-être que cette invention n’a pas des effets aussi définitifs que l’a prétendu le professeur ?

Et puis quoi, il reste Lourdes, non ?

— Alors, rien ?

— Rien !

Je suis accablé ; mort de fatigue. Terrassé par l’amertume, je m’assieds sur une marche. Nous avons eu beau fouiller la maisonnette de fond en comble, nous n’avons trouvé aucun plan. Et pourtant, avec quelle minutie avons-nous perquisitionné. César, qui est un orfèvre en la matière, est catégorique :

— Les papiers ne sont pas ici, Antoine.

Je contemple les cinq personnages qui continuent de se trémousser en vagissant sur la prairie. Hallucinant ! Ils tournoient sur eux-mêmes, se redressent à moitié pour repartir à la renverse, ou bien le nez en avant.

— Que décidons-nous ? demande la Relique.

Je hausse les épaules.

— On se barre, on ramasse Béru et on se grouille de passer en Suisse avant que le ciel bavarois nous tombe sur la frite.

— Tu renonces ?

— On a le prototype, c’est déjà quelque chose.

Comme je dis cela, un ronflement de voiture retentit dans la côte et une énorme Mercedes noire débouche. On s’est placardés derrière un massif, Pinoche et moi, sur le qui-vive.

L’auto s’arrête. Quatre personnes en déboulent : Béru, Carson, Duck et Abdulah.

Ils s’arrêtent, en ligne devant la pelouse, considérant avec ébahissement les cinq personnes en folie qui s’y roulent en glapissant.

Je me montre.

— Hello ! Mister Duck !

L’homme en smoking ne s’émeut pas outre mesure.

— Que leur est-il arrivé ? demande-t-il.

Je désigne l’escopette posée contre le perron.

— Il leur est arrivé ça, mister Duck. Croyez-moi, cette invention va faire du bruit. Si toutefois on parvient à la mettre en exploitation car nous n’avons toujours pas retrouvé les plans.

Il s’approche, très droit et sa chevelure de neige étincelle au soleil comme les sommets des Alpes, au loin.

— Je ne vous pardonnerai jamais d’avoir abandonné ma fille dans un appartement piégé !

Alors là, il rebiffe, le beau valeureux commissaire de ses belles grosses deux.

— Dites, c’est elle qui s’y est abandonnée dans l’appartement !

— Si je n’étais pas arrivé opportunément, elle allait sauter. Le tiers de l’immeuble a été soufflé un instant plus tard.

— Comment avez-vous trouvé cette planque de l’Arabian Company ?

Il caresse ses favoris d’un doigt léger.

— Dites, San-Antonio, c’est mon affaire ! Vous devriez partir de l’idée que je sais heure par heure ce que vous faites.

— Et également ce que fait votre fille ?

Je lis dans son regard impassible une lueur qui me paraît être de profonde amertume. Bien sûr qu’il est au courant de la nymphomanie de sa fifille, le B.B., puisqu’il sait tout !

Une diversion est apportée par les abeilles. Magine-toi, Dunœud, que la grosse Martha, à force de se tortiller sur la pelouse a renversé une ruche, et pour lors les locataires, furax d’être démiellées en plein labeur, se précipitent sur nous en un nuage blond, grondant, féroce.

Dès lors, c’est le sauve-qui-peut !

On se disperse dans toutes les directions. Ceux qui sont les plus près des bagnoles s’y engouffrent et se grouillent d’en remonter les vitres.

Seul, Pinaud conserve son calme. Je me rappelle confusément qu’il a fait de l’apiculture jadis et qu’il en sait autant que Maeterlinck sur les abeilles, leur vie, leur œuvre. Sans un geste brusque, il va redresser leurs ruches. Il leur parle… Les guide ! O génial bonhomme qui sait se faire écouter de ces laborieuses ouvrières, comme disent les manuels scolaires.

L’ordre revient.

Alors on se retrouve un peu penauds, les autres, d’avoir fui devant des mouches.

— Donnez-moi cette arme, San-Antonio, et continuez de chercher les plans ! m’enjoint Duck, sévère.

— D’accord pour l’arme, mais ne comptez plus sur moi pour rechercher quoi que ce soit, mister Duck. J’en ai terminé avec le Big Between. Voyez-vous, je suis trop français pour diriger votre énorme mécanique américaine. Je préfère rester simple flic chez nous que de devenir un prince des ténèbres chez vous.

Et je vais chercher le fusil.

Duck est très pâle. Carson ne souffle mot. Elle caresse subrepticement la cuisse de Jupiter-Bérurier et je mesure, à ce simple geste, combien elle a été comblée par Queue d’Ane !

Ce dernier se dégage et s’interpose entre Duck et moi.

— Pas question, dit-il, ce flingue a été découvert par un officier de police français, c’est à la France qu’il appartient. Donne !

Je regarde alternativement mon gros pote et le grand Duck.

— J’sus ton ministre, bordel ! se met à gueuler le Gros. Si t’as quéqu’chose dans ton froc, c’t’à ma pomme qu’tu dois z’obéir.

Vaincu, je lui remets le fusil.

— Vous ne pensez pas que ça va se passer comme ça ? demande Duck.

Il adresse un signe à son formidable gorille et Abdulah marche sur le Mastar.

Béru le regarde se déplacer sans émoi.

— Eh ! dis, bébé rose, modère tes mouvements si tu voudras pas qu’aye un sixième gonzier su’ c’te p’louse av’c la danse des cinq guis.

Duck soupire :

— Laissez, Abdulah !

Nous prenons place dans notre chignole, Pinaud, Béru et mézigue, le fils distingué de Félicie.

En passant devant la Mercedes, le Gravos dégonfle un pneu d’un coup de couteau.

— L’temps qu’y changent la roue, on s’ra loin !

Je pars sans un regard pour Carson.

Mon expérience B.B. est finie. Tournons la page.

Je rêvasse à Heidi qui doit souffrir avec les condés bavarois. Et puis je frissonne à l’idée de ces personnes décimées pour l’invention.

Une plombe plus tard, nous atteignons Garmisch-Partenkirchen et passons sans encombre la douce frontière helvétique.

Le Gros me donne une claque dans le dossard.

— On a eu du bol, dit-il. Et si tu saurais l’à quel point j’sus content qu’tu r’prendes ta place parmi nous. J’vas te nommer sous-directeur de la Rousse pour commencer, pas fout’ le Vieux au chômedu, ensute on verrera.

Il me lorgne du coin de l’œil.

— Ça te fait pas plaisir ?

— Si, si.

— T’as l’air d’un merlan qu’aurait traversé l’Sahara ?

— J’aime pas terminer sur un demi-succès, car il implique un demi-échec. Je suis comme ça.

— La vanité qui te mène ! ronchonne le Dodu.

— Erreur, Alexandre-Benoît, je ne suis pas vaniteux, seulement orgueilleux.

— C’est bonneterie bonnetier ! ricane l’Enflure en balançant une loufe de décompression.

Pinuche me tapote l’épaule.