Gracias, les mômes. Very mucho !
Je reprends haleine, puis ma course.
Juste voilà un vieux bonhomme qui se pointe sur une minuscule moto 125 cm3, japonaise à n’en plus pouvoir (même qu’elle a les roues bridées).
Je me fous en son traviole. Il pile, décrit un tête-à-couette. Ma pomme, ni hune ni dos, je puise une poignée de dollars dans mes vagues. Combien ? Deux cents peut-être. Et peut-être davantage, île nain porte, comme disait la marquise de Sévignoble dans ses fameux rébus qu’elle envoyait à sa fille. Fourre la liasse dans la main du notaire (pour le moins du notable) et enfourche son bolide avant qu’il ne l’ait quitté, achevant de l’expulser d’un coup de cul.
— Más tarde ! je lui promets.
De toute façon, il a de quoi se payer une autre épave.
RRRaoum ! I roum ! En piste. C’est là que, dans le vouesterne, retentit la musique de la chevauchée infernale. L’air des grands horizons. Tatatsoin ! Tatata !
Fond la caisse ! Hardi ! Suce (à) l’ennemi !
Au bout de la ruelle, coup de périscope. Un gauche-droite Roland Garros. « Il » est là-bas… A quelque deux cents mètres. J’accélère. Me rapproche.
Merde, c’est une femme ! Une personne rondouillarde, avec un foulard noué sur sa tignasse crépue. Y a gourance. Fourvoyance ! Forfaiture ! Haute trahison du sort. Du coquin de sort ! Je me suis mélangé les pinceaux. La navrance m’empare. Ça me biche au creux de l’estom’, me descend plus bas, dans les œufs de Pâques, dévale jusqu’aux pieds où ça m’occasionne des crampes de l’écrivain.
La grosse dame roule le train de sénatrice, et mahousse comme elle est, c’est un train de marchandises.
Me reste plus qu’à rejoindre Abdulah. Mais au moment que je prends ma décision : vrraoum ! splatch ! comme on dit puis dans les bandes dessinées. Je suis télescopé plein cadre par un véhicule. Du coup, suis propulsé hors du mien, lequel se met à tortillonner sur place en crachant bleu tandis que je volplane sur la chaussée. Heureusement, je tombe sur l’éventaire d’un marchand de bananes ambulant. Des jolies bananes minuscules, mûres à point. J’en héberge de partout, ou presque, qu’heureusement j’ai mon slip, sinon t’irais croire des choses.
Je visionne le point de collision. Malédictas ! C’est la Dodge qui m’a percuté. Elle continue imperturbablement son chemin. Lequel se trouve être celui de la mobylettiste.
Donc, les gars des services secrets israéliens ont eu la même idée que moi, et re-donc, la piste de la grosse femme pétaradante est bien une chaude piste. C’est très à elle qu’ils en ont.
D’un regard fripé je constate que la 125 est nase, ayant les roues en forme de 88. Alors ?
Alors, je vais te dire l’à quel point que ça s’enchaîne poil-poil dans mes books. Qui vois-je débouler ? Abdulah au volant de la Camaro. Il bombe à fond la caisse. Je me jette devant la voiture. Il pile. Je saute in. Go !
The infernal pursuit !
J’indique à bébé sombre la bonne direction, car il déboulait au pif, ayant perdu de vue la Dodge pendant un bon moment.
On la retapisse. Fatal : elle roule planplan. Tout à l’heure elle filait une jeune fille à pied, maintenant elle suit une vieille à mob. Du gâteau !
La grosse woman a pigé qu’elle avait du trèpe aux miches car elle prend des risques, brûlant les feux rouges, se faufilant follement dans le flot de la circulance. Sa témérité paie : elle sème du poivre en grains aux dodgistes, et par conséquent à nous.
Mais hélas, elle est trahie par le Seigneur. Pile comme elle va s’élancer dans l’Avenida Presidente Capotan Glès, une procession déboule, protégée par la police. J’allais oublier de te dire que nous sommes la Sainte-Inés de la Consternation, patronne des chômeurs, et qu’un monstre défilé a été organisé par le P.C. péruvien pour célébrer la fête.
La grosse femme comprend qu’elle ne pourra pas couper la procession et tourne guidon. Hélas elle dérape. Son engin, comme le mien naguère, continue de tourner et de trépider au sol par-dessus sa grosse cavalière.
Les quatre messieurs obligeants de la Dodge se précipitent avec un altruisme que, vrai, y a encore des braves gens sur cette terre ! Ils relèvent mémère, coupent les gaz de sa bécane, emportent Médème dans leur vaste chignole. Pour la soigner sans doute. Les témoins trouvent qu’ils sont very obligeants, ces gringos. Faut pas toujours dauber sur eux ! Y en a de convenables, la preuve !
La Dodge décarre. Un loustic confirmé chourave en loucedé la mob. Un second, qui passait par là, ne l’entend pas de cette oreille, ayant oublié son sonotone. Il en veut aussi. Bien qu’une mobylette soit pourvue de deux roues, elle est mal partageable. S’ensuit une bataille rangée des voitures pour faire valoir un droit de préemption hypothétique.
Abdulah contourne la bagarre pour s’élancer derrière la Dodge. Cette fois elle met la sauce.
La radio grésille et la voix de Duck retentit :
— Où en êtes-vous ?
— Vos petits copains viennent de kidnapper en pleine rue une grosse vieillarde à mobylette et se dirigent vers les beaux quartiers.
— Ils la conduisent sûrement à l’ambassade d’Israël. Intervenez immédiatement.
— Des consignes ?
— Pas d’autre que celle-ci : il nous faut la vieille ! S’ils atteignent l’ambassade, ce sera foutu ; alors allez-y !
— Vous avez pigé ? demandé-je à Abdulah.
Il acquiesce. Puis, comme pour me prouver qu’il est en forme, il enfonce le champignon et, en quelques seringuées rattrape et dépasse la Dodge. C’est l’instant où celle-ci s’apprête à obliquer dans l’Avenida Presidente Manuel Skoler. Avec une témérité digne des doges, le monstre grimpe sur le trottoir pour feinter la Dodge et l’oblige, en la serrant à droite toute, de couper l’artère et d’aller se coincer contre un arbre, de l’autre côté.
Les gars ont pigé l’attaque surprise et dégainent.
Alors Abdulah commence à justifier la confiance que Duck met en lui. Il tire, des plis de son vêtement, une arme — ou un outil ? — surprenante. La chose ressemble à un pic à glace dont la tige serait longue d’une trentaine de centimètres et dont le manche serait pourvu d’une boule d’acier grosse comme une boule de billard.
Ce qui suit, je t’y raconte calmos, que tu puisses comprendre malgré tes carences mentales, mais ça se déroule en moins de temps qu’il n’en faut à un lapin pour mettre sa femme enceinte.
Le sac de viande s’est jeté au sol, contre la Dodge, donc à l’abri des pruneaux, et crève les pneus droit du véhicule. Voilà une bonne chose de faite.
La tire se penche sur le côté. Il me crie « Go ! Go ! »
En bon gogo, j’obtempère et décolle la Camaro de la Dodge.
Le temps de la courte manœuvre, Abdulah a contourné l’auto des Israéliens. Il l’empoigne par le bas de caisse et la fait basculer aussi facilement que s’il renversait un guéridon Louis XV. La chignole est sur le flanc. Faut en sortir en se hissant par les portières de gauche qui à présent se trouvent à la place du plafond. L’ami Abdulah n’a pas terminé sa besogne. Il sort d’une de ses grandes poches une minuscule grenade, la dégoupille et la balance dans l’auto.
Ensuite, plus rien ne se passe. Alors, aussi facilement qu’il l’a fait basculer, il la remet sur ses quatre pattes (inégales du fait de la double crevaison). A l’intérieur, ces messieurs-dames sont inanimés. Pleines vapes, grâce à la bombe soporifique. Abdulah ouvre la portière arrière, dégage un gonzier roux, puis la vieille dame. Elle a perdu sa perruque crépue et c’est un homme aux tifs rasés, d’un blond presque blanc.