San-Antonio
Pleins feux sur le tutu
Rappelle-toi que dans cette affaire j’ai drôlement mouillé mon maillot.
Tu parles d’une escalade !
Je pédalais que d’une !
Tout en danseuse, mon pote !
Et avec pleins feux sur le tutu !
Change pas de main, je sens que ça vient.
A Bernard Frangin,
mon frère.
Bon, allez, ça repart.
Ecrire, mais pour dire quoi ?
Si t’écris sans dire, vaut mieux tout lâcher, te filer ta plume dans le cul et imiter le cri du paon pour épater les petites paonnes paonnasses.
Alors, il faut dire.
Mais dire quoi ?
Des gravités ? Des assertions très inquiétantes ? Des funesteries ? Des présages ?
Ou alors écrire pour regimber, comme quoi je ne suis pas d’accord pour être aussi con que les autres, dirigé n’importe comment par n’importe qui, les uns après les autres, droite ou gauche, tous enfoirés à grandes gueules qui font le don de la France à leur carrière saugrenue d’inimportants. Dire qu’on racle ses plaies sur le tas de fumier ? Vise mon job ! Dire qu’y en a classe d’avoir peur, jour after day, du matin au soir et du soir au morning ? c’est plus des dentiers, mais des castagnettes. Ah ! merde, assez ! On vit sur un terrain surminé. Y a plus de terre, juste une couche de gazon par-dessus l’arsenal. Une couvrante végétale pour camoufler. Surtout bêchez plus, piochez plus, les gars, sinon tout pète, crame, désintègre. Tes couilles seront même pas dans le pommier : y aura plus de pommiers ; plus rien qu’un féerique tournoiement dans l’espace, de nébuleuse avariée, de galaxie merdique en train de se faire ou défaire, qu’importe !
Et moi, glandu ; ma plume, mon faf à souiller, mon cœur en chamade. Dire quoi ? Que les Français n’aiment pas la France ? Le général Deusétoiles (font cinq) l’aura assez seriné. Du coup, je me penche ; on y arrive toujours par humilité ou contrainte. Et j’avise les mômes, qu’alors le besoin me prend de les emballer, tous, comme un service de verres pour les expédier ailleurs, là qu’ils craindront rien, là que le fragile a sa chance. Où ça ? J’sais pas encore, je vais chercher sur le Bottin ; doit bien y avoir une petite planète pas chère où ils pourront recommencer, non ? Pour peu que la teneur en oxygène soit à peu près conforme, qu’il y pousse du blé, qu’il y coule de l’eau, qu’on puisse y voir le soleil…
Ah ! mes petits chiares, quelle aventure ! Cette monstre chierie qu’ils vous ont mijotée, les grands zainés.
Adultâtres, va ! Tous des torves et des sournois, mes pauvres gamins. Saccageurs d’innocences ! Vous n’avez qu’une jeunesse et ils vous la laminent, la fouettent avec des orties. Votre seule part de bleu, ils défèquent dessus, mes agneaux ! Votre part d’innocence, ils la tressent comme de l’osier pour en faire des paniers à charrier LE savoir. Votre part de beauté, ils l’encarcannent sauvagement. School is good for you, mes drôles. Many work, many lessons ! Manu militari ! J’ai honte. Toutes ces choses… Programme scolaire… Passage en sixième… Examens… A peine êtes-vous sortis de vos langes, hop ! Assez de belles couleurs, bye-bye Nestlé, te vous font pâlir et trembler, te vous angoissent jusqu’au trognon, mes trognons. Maths, français, physique, anglais, deuxième langue, histoire-géo, tout le grand boxif qu’on met quinze ans à apprendre et quinze jours à oublier !
Moi, je crie carrément aux assassins ! Je suis avec vous, les petits gars ! J’interdis qu’on vous pompe l’air ! J’exige que votre jeunesse soit une longue récré. Puisqu’ils savent plus quoi foutre des gens, pourquoi ne décideraient-ils point un décalage ? On commencerait l’école à vingt piges, une fois bien goinfré d’enfance. On passerait leur chiotte de bac à trente-cinq berges. Sur les coups de quarante carats on débuterait dans la vie active ; ça durerait une vingtaine d’années, tout juste. Bien suffisant. Dès lors, comme ils causent, y aurait du turbin pour tous.
On va se battre, je jure. Mes dernières forces ! Toute l’énergie de mon désespoir, je les fous dans la balance. Vingt ans de vacances ! Faut réclamer. Cessez de déburner nos gamins, bande de nœuds ! De leur bourrer le crâne de théorèmes et autres turpitudes à l’âge où ils n’ont pour soucis que les oiseaux, les fleurs, les jeux et les ris. Honte à vous, sauvages !
Je vais descendre dans la rue ! J’installerai des barricades devant les portes des écoles ! Les compos ? Fume ! Les devoirs du soir, espoir ? Tiens, regarde ce que j’en fais ! Décalage ! Décalage ! L’école à vingt ans ! Je veux plus qu’on touche au printemps !
Voilà, c’est des choses semblables que j’ai à dire.
Mais ils vont rigoler, croire que je déconne, ces enconnés à sec. V’là l’Antonio qui fait son numéro !
Comme un voisin à nous, jadis, qui picolait. Certains soirs, il filait des branlées atroces à sa bonne femme. Elle était couverte de bleus, t’aurais cru un paquet de Gauloises. Quand ça clamait fort dans le Landerneau, les gens hochaient la tête, ils disaient : « Arsène Guérillet est encore soûl », comme ils auraient dit : « V’là le vent du nord qui se lève. » Une simple constatation. Je signale au passage que le mec en question s’appelait autrement, je précise pour s’il existe un Arsène Guérillet qui voudrait la ramener, me faire chier à procès. Je connais pas d’Arsène Guérillet, n’en ai jamais connu, n’en connaîtrai jamais, car maintenant c’est classe, finito, je n’accepte plus personne, mon plein est fait.
Je te l’ai déjà dit : je revends. C’est pas commode. Même au plan échange, tu vois, ça rend pas. « Echangerais bonne relation, contre poire à lavements, ou collection du Figaro de l’année prochaine », ça leur dit rien. Y troquent autre chose : des raquettes de tennis, des babouches marocaines, un lot de machins ou de trucs, mais tes potes, ils refusent. Ou alors, ils te les volent quand ils ont le sentiment que tu y tiens. Ça oui, ça les excite. Ils te piquent tes aminches comme ils piquent ta gonzesse, histoire de t’encorner un brin. L’enculade expresse. Ça leur pimente la médiocrité. Ils croivent faire avancer leur pauvre charrette embourbée. Je les connais bien, t’inquiète pas. Les sais par cœur. Au début on essaie de s’y faire. On s’en arrange. Par la suite on les dégueule d’autorité, vu qu’on ne peut se nourrir d’ipéca, tu conviens ? Ça devient un réflexe conditionné. Sitôt que je les aperçois, poum : à l’équerre, mon fiston ! Je gerbe tripes et boyaux.
Mais enfin, on ne va pas filocher sur ce ton jusqu’à la Saint-Trouduc, qui coïncide avec le jour de ta fête, justement.
T’es entré parce que t’as vu du feu. Tu t’es dit, comme disaient les gens de mon quartier, autrefois, à propos du faux Arsène Guérillet qu’était chlass : « Tiens, l’Antonio est chez lui : y a déconne sur fond de police story. » Entendu, amigo. Attends, je chausse mes cuissardes, à cause du sang qu’on va patauger. Je sangle mon holster. Voilà, le mec est paré. Non, non, range ta bibite, on ne baise pas tout de suite !
Le plus duraille à déterminer, dans cette affaire, ce fut la date de l’assassinat.
D’ailleurs on n’y parvint point. Les avis restèrent divisés. Certains prétendaient qu’il avait eu lieu le 31 décembre, d’autres soutenaient qu’il s’était produit le 1er janvier. Cette controverse venait du fait que le coup de feu avait claqué très exactement au douzième coup de minuit et que la mort avait été instantanée. (Une bastos en plein cœur, tu voudrais faire autrement, toi ?) Personnellement, je serais plutôt enclin à opter pour le 1er janvier, car la balle, partant sur le douzième coup de gong avait mis un certain temps — infime, mais l’avait mis — pour accomplir sa trajectoire, traverser la viande de la victime et stopper son cœur. Quand bien même cela se chiffrerait en millionièmes de seconde, elle était peut-être partie le 31 décembre, mais n’avait tué que le 1er janvier. Tu vas m’objecter qu’une pareille précision est sans grande importance et que le dénommé Al Kollyc est extrêmement mort, ce pour une durée qu’il m’est impossible de préciser n’étant pas informé de la date du jugement dernier ; aussi ne l’évoqué-je que par souci d’être fidèle à chier partout dans ma narration de l’événement.