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— Quelque chose comme son trou du cul, quoi !

Béru pousse un gémissement plein d’avidité et se dresse.

— Laisse, le calmé-je, les appréciations de monsieur ne doivent pas nous atteindre.

Comme le pif du taulier raisine, il arrache des bribes de son mouchoir dont il fait des tampons afin de s’en farcir les cavités. Un vrai oto-rhino sorti de l’Ecole nasale ! Ça lui compose le nez de l’ami Gnafron que les Lyonnais connaissent bien puisqu’il y en a plein les bouchons d’entre Rhône et Saône.

— Vous avez quel âge, monsieur Césari-Césarini ?

— Soixante-cinq.

— Donc, le temps des grandes chevauchées est passé. Vous êtes un homme arrivé, et en bon état, ce qui n’est pas évident compte tenu du milieu où vous gravitiez. Comment diantre vous êtes-vous flanqué dans une pareille béchamel ?

Je lui désigne un siège, il lui condescend son postère. Nous voici en tête-à-tête, dans la posture des confidences, kif Sa Sainteté rendant visite à son agresseur.

— Je peux vous jurer une chose, sur la vie de mon fils, murmure-t-il : j’ai le nez propre.

Affirmation assez cocasse, venant d’un homme dont le tarin ressemble à un tubercule sanglant.

— En ce cas, comment expliquez-vous l’étrange aventure de ce soir, faisant suite à ce message de la Casa Bianca ?

— Je ne me l’explique pas. Et j’en suis la seconde victime. Voyons, commissaire, phosphorez un peu. Je suis un ami de guerre d’Al Kollyc, auquel j’ai sauvé la vie, mais passons ; vous n’êtes pas forcé de me croire. Si j’avais voulu le faire buter, croyez-vous que j’aurais choisi comme cadre le Grand Vertige, fleuron de mes activités ? C’est, vous le savez, une boîte sélecte, absolument blanc-bleu. Vos collègues n’y ont jamais relevé la moindre infraction. Maintenant, sa réputation va donner de la bande : les clilles n’aiment pas venir folâtrer dans des cabarets où l’on dessoude du monde ! De plus, Al appartient au Mitan new-yorkais, et ces messieurs vont me tomber sur le paletot quand vous en aurez fini avec moi. Soit dit sans vouloir offenser votre gros méchant, ils sont un peu plus coriaces que vous autres !

Son regard est direct. C’est un homme pondéré, César, mais pas une mauviette. Il parle net, comme un vrai mec.

— Admettons, dis-je ; alors il se présenterait comment, d’après vous, ce coup étrange venu d’ailleurs ?

— J’aimerais le savoir ! réplique Césari-Césarini, les mâchoires serrées. Et je vais vous dire franchement une chose, commissaire : faudra que je le sache. Et je n’ai pas peur de me mouiller en vous assurant que, quand je le saurai, y aura des titres larges comme ça dans France-Soir, parce que je ne permets pas qu’on vienne liquider mes amis chez moi.

Tu materais ses prunelles ! Oh ! pardon, docteur, retirez votre médius de mon fondement, faut que je pète ! On voit passer des carnages dans ses yeux, César. Toute la bataille de Verdun concentrée. Pour te dire vrai, je crois à ce qu’il m’affirme. Il est des inflexions et des regards qu’on ne peut imiter.

— Parlez-moi de ce qui amenait Al Kollyc en France, lui demandé-je d’une voix à Croate ou, plus exactement, à Serbe[2].

César me visionne comme si je lui demandais de me chanter Petit Papa Noël.

— Enfin, voyons, commissaire, vous pensez sérieusement qu’on pose ce genre de questions à un pote ? Al m’a téléphoné pour m’annoncer sa venue ; je lui ai dit que sa chambre était prête, point à la ligne.

— Il est arrivé quand ?

— Ça fait quatre jours.

— Et qu’a-t-il fait depuis son arrivée ?

— Il s’est surtout reposé. Il a passé des coups de grelot, je l’ai emmené bouffer dans des restaurants de first quality parce qu’il était vachement sensible à la bectance, pour un Ricain.

— Des visites ?

— Aucune.

— Parlez-moi des deux types en costar rayé qui détonnaient si fort, ce soir, parmi votre clientèle huppée.

César Césari-Césarini hoche la tête.

— C’est Al qui m’a demandé la permission de les inviter. Nous avons une tradition dans la famille : chaque Nouvel An, nous le fêtons au Grand Vertige, c’est un peu du fétichisme, comprenez-vous ? J’ai raconté ça à Al ; il m’a dit qu’il ne pourrait pas se joindre à nous car il devait rencontrer deux gaziers venus d’Italie ce soir ; alors je lui ai dit de les inviter, vu qu’on allait pas se séparer un 31 décembre. C’était la première fois qu’on avait l’occasion de fêter le Nouvel An ensemble. Il a accepté et a prévenu ses bonshommes.

— Vous les connaissiez ?

— Ni des lèvres, ni des dents.

— Al Kollyc vous les a présentés ?

— Sobrement : Luigi et Aldo, point à la ligne.

— Qui donc savait que le Ricain allait réveillonner en votre compagnie au Grand Vertige ?

— En dehors des miens, personne… Sauf les gens auxquels lui a pu le dire ; je vous le répète, il passait ses journées à téléphoner dans sa chambre.

— Il vivait comment, l’ami Al ? Marié, des chiares ?

— Divorcé. Il avait épousé une danseuse, voilà une quinzaine d’années. Elle n’était pas sérieuse… Alors ils se sont quittés.

— Elle vit toujours ?

César réprime un petit sourire.

— Je crois qu’elle est morte dans un accident.

— Dites-moi, vous connaissiez les activités de votre caïd, je suppose ? Ne me dites surtout pas le contraire, je ne vous croirais pas.

César ressort les tampons d’étoffe obstruant ses narines. Il les enveloppe dans ce qui reste du mouchoir et les empoche. C’est un homme bien éduqué.

— Oh ! je savais bien qu’il n’était pas fondé de pouvoir à la Chase Manhattan Bank, soupire-t-il, mais je n’ai jamais abordé ce chapitre avec lui. Un ami, c’est sacré. Le questionner, c’est déjà le trahir.

— Jolie formule, apprécié-je, je la répéterai en prétendant qu’elle est de moi. Conclusion, vous ignorez tout de ce qui a motivé l’assassinat d’Al Kollyc ?

— Tout. Mais, je vous le répète, je consacrerai ce qui me reste de vie à le découvrir.

Je rêvasse. La fatigue me gagne.

— Une grande femme platinée, avec une robe bleue, ça vous dit quelque chose, César ?

Béru, dégoûté par le calme de notre entretien, s’est endormi et on a l’impression d’assister aux Vingt-Quatre Plombes du Mans.

— C’est qui, cette femme platinée ?

— Probablement l’assassin de votre pote, mon cher. Pas plus femme que moi, j’en jurerais. Le meurtrier a chiqué les travelos pour accomplir son forfait.

A cet instant, un grand brouhaha secoue l’immeuble. C’est Mathias qui se pointe avec sa tribu de demeurés alcoolos. Il en coltine deux qui sont complètement out et morigène les autres pour qu’ils essaient de se tenir droits.

— Monsieur le commissaire ! Un grand malheur ! Ces enfants sont ivres morts, figurez-vous que…

— Fais-les dormir dans le studio attenant, Rouquin, et ne te casse pas la nénette. Une première cuite… ça s’arrose ! Cela dit, quoi de neuf ?

Il prend le fusil à lunette sur l’épaule de son aîné et me le montre.

— Cette arme appartient à M. Césari-Césarini, dit-il, son épouse et son frère l’ont formellement reconnue. Il n’y a pas d’empreintes sur la détente car le meurtrier portait des gants. Ce pourrait être une femme : j’ai trouvé des traces de fond de teint sur la moquette de la loggia, et aussi de rouge à lèvres ; plus des cheveux très pâles, mais comme ils sont morts, ils proviennent d’une perruque.

— Merci, parfait. Tu pourras rentrer chez toi sitôt que tes albinos seront dégivrés. Tu n’as pas vu Lurette ?

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2

Ce sont ces à-peu-près qui nous retiennent de décerner le Grand Prix de l’Académie à San-A. Ah ! s’il voulait y mettre du sien !…

Maurice Rheims