— Sommeil, si, mais pas mèche d’en écraser, votre comique, vous l’avez recruté où ? Chez les fournisseurs d’Olida, non ? Il ronfle comme d’autres agonisent et pète à s’en déchirer le trou de balle. Je plains la malheureuse qui lave ses calecifs ! Ça me donne envie de gerber.
— Votre martyre va prendre fin, vous pouvez rentrer chez vous.
— Vrai ?
— Authentique. Ça vous surprend ?
Il hausse les épaules et raconte autour de son cigare :
— Plus rien me surprend et tout me surprend. Soixante-cinq piges, ça commence à peser. On a beau se démener, la vie finit par vous faire cocu.
— J’arrive de chez vous.
— Je m’en doute.
— Petite perquise dans les papelards du Ricain, normal ?
Il fait la gueule.
— J’y ai trouvé des machins codés que je devine joyces tout pleins. Demain j’aurai sûrement de quoi me distraire car j’ai ici un rouquin surdoué qui lit les papyrus égyptiens comme vous le catalogue de La Redoute.
— Eh ben ! bravo !
Certes, il regrette de n’avoir pas eu le temps de placarder ce butin. Mais quoi, il y a cas de force majeure, n’est-ce pas ?
Je me penche sur son fauteuil, une main posée sur chacun des accoudoirs.
— Un détail me turlupine, monsieur Césari-Césarini. Cela concerne le fusil. Votre couple de larbins jure ses grands dieux que vous n’êtes pas chasseur et n’en possédez pas.
César retire son barreau de chaise avec sa main libre.
— Je ne leur en ai jamais parlé, déclare-t-il.
— Depuis des années qu’ils sont à votre service, ils l’auraient aperçu.
— Pas fatalement. Il se trouvait dans une caisse de bois et il y avait tout un fourbi par-dessus la caisse.
Il retète son havane à plusieurs reprises, comme un bébé avide le sein maternel.
— Dites, commissaire, ce flingue, c’est l’arme du crime, non ?
— Exact !
— Pourquoi dirais-je alors qu’il m’appartient si ce n’était pas le cas ? Faudrait être maso, non ? J’ai déjà assez d’emmerdes !
Je continue de le fixer. Et je ressens un picotement dans mon subconscient. J’aimerais pouvoir le gratter, mais la peau du sub est assez difficile à atteindre.
— Je ne sais pas, monsieur Césari-Césarini, soupiré-je. Pour moi, ce détail constitue un mystère de plus dans cette mystérieuse affaire.
Ensuite je réveille le Mammouth pour qu’il délivre notre hôte.
Je raccompagne César jusqu’à l’ascenseur, civilement. On se serre machinalement la louche.
— Ciao ! dit-il. A bientôt, je suppose ?
— Probablement, oui.
Une fois le taulier embarqué, je vais retrouver Mathias qui roupille parmi un monceau de mineurs alcooliques.
CHAPITRE 4
Honnêtement, je ne le voyais pas ainsi, ce matin du 1er janvier. Je m’étais fignolé par la pensée une grasse matinée d’archiduc, avec Alka Seltzer en même temps que les informes à la radio ; ensuite, arrivée de ma Félicie d’amour, toute joyce de m’apporter un plateau surchargé de café odorant et de croissants chauds (mon vice). Je rêvais de tirer ma flemme jusqu’à l’heure du déjeuner. Je serais alors descendu, en robe de chambre, pas rasé, pour déguster la blanquette de m’man (immuable les 1er janvier) arrosée d’un Bandol frais et mutin. Y a des moments, avec ma vieille, quand je me laisse choyer, je me sens tourner curé de campagne. La tortore prend de l’importance. C’est l’art de Félicie, la jaffe. Avec le professeur Sauvy, on cause ; avec Mathieu, on regarde. Avec m’man, on déguste. De toute manière, c’est une forme de partance. Les seuls véritables voyages, ce sont nos sens qui nous les font faire. Les autres, ceux des dépliants, ne sont qu’illuses et retours écœurants.
L’aube commence à pointer lorsque je me pointe moi-même au maternel logis. Pas tout à fait l’aube, à vrai dire, mais une certaine bousculade au fond des horizons. On devine que ça va bientôt éclore. (Que le premier jour de cette année neuve sera là sous peu, pâlichon, sur les gueules de bois de la planète.
Habituellement, ma rue est tranquille, surtout depuis que le vieux voisin est à Charenton, bouclarès pour homicide, le biquet. Les bonnes portugaises qu’il hébergeait ont dû vider les lieux et on n’entend plus leur ramage, ni les disques d’Amalia Rodriguez. Et cela a cessé d’empester la morue frite. De même, son cador n’est plus là, avec ses jappements pour oui et non. Le vieil Arbi qui livre pour la blanchisseuse l’a adopté et lui enseigne l’arabe, au Médor. Ça fait une compagnie à Moktar, ce clébard frétillant. C’était un corniaud pure race, mais sans pedigree, un peu genre La-voix-de-son-maître, sauf qu’il avait la tête plus carrée.
Donc, il est un peu apathique, le quartier, malgré les grands ensembles qui nous cernent. Seulement, comme ils sont de « haut standinge » et tournés sur l’autre rue, tu croirais les bâtiments insonorisés d’un hôpital. Alors, bon, je t’en reviens que quelle n’est pas ma surprise de voir deux bagnoles stoppées devant chez nous, avec, à l’intérieur, des gonziers qui ressemblent tellement à des bourremen que ça doit obligatoirement en être. Affolé, soudain, à la pensée qu’il a pu arriver du grave à la maison, je m’élance comme un dingue vers le perron.
Un zigomar large comme la cathédrale de Chartres bondit de sous notre tonnelle et m’intercepte.
— Hep, vous ! Qui êtes-vous ?
Il me reconnaît et les bras lui redeviennent mous.
— Oh ! faites excuse, monsieur le commissaire.
— Que se passe-t-il ? égosillé-je.
Il me rassure d’un sourire.
— Tout de bon, monsieur le commissaire ! il fait, car il est d’origine helvétique par sa mère qui était native de La-Chaux-de-Fond.
Etant enfant, il passait ses vacances chez ses grands-parents jurassiens. Son grand-père était horloger (c’est lui qui, le premier, a mis son cul en montre).
Mal rassuré malgré sa jovialité, je pénètre dans la maison.
Tout de suite, ce qui m’atteint, c’est une revigorante odeur de beurre chaud. Je fonce à la cuisine. Te dire ? Certes, je suis payé pour. Mais commencer par quoi ? Ce qui me tombe sous la prunelle est tellement insolite, tellement impensable !
Bon, alors voilà. Maman est en robe de chambre (sa belle, la grise à parements écossais mauve et blanc), les pieds dans ses pantoufles bordées de cygne. Elle ne les met que dans les occasions particulières. Celle-là l’est.
La chère femme se tient debout devant notre cuisinière, souriante, bras croisés. A son côté, jamais tu devineras ! Tu donnes ta langue, chérie ? Ecoute ! Tu le répéteras pas, surtout ; qu’ensuite ça jaserait ; tu connais les gens et leur menteuse à enrouloir ?
Le président de la République. Parole ! En bras de chemise, un vaste tablier blanc noué sur le ventre. Tu sais ce qu’il fait ? Des crêpes ! Au sarrasin (son côté pro-arabe).
Il est appliqué vachement, pas goitreux le moindre, comme lorsqu’il visite le Salon de l’auto et questionne les fabricants sur le circuit hydraulique de la 2 CV Citroën. Relaxe, Max ! Il tient la queue de la poêle, ce qui est plus joyce que de tenir les cordons du poêle, et s’apprête à faire sauter la crêpe. Faudrait un roulement de tambour pour souligner le suspense infernal.
— Sec, le coup de poignet, monsieur le président ! chuchote Félicie.
Tchouc ! C’est parti. La crêpe décrit un saut périlleux et retombe impec dans la poêle. Du même côté, mais bien à plat.
Le grand homme n’est pas mécontent.
— Les crêpes, c’est comme les Français, pouffe-t-il, elles retombent toujours du même côté.
« Montrez-moi donc, chère madame. »