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— Monsieur le président, vous avez bien sûr le téléphone dans votre voiture ?

— Evidemment.

— Me permettez-vous de l’utiliser, c’est toujours relatif à l’affaire Al Kollyc et l’instant est grave.

— Faites, consent le Magnanime.

Je m’élance jusqu’aux bagnoles extérieures et j’explique aux gorilles. Dix secondes plus tard, je suis en communication avec la Maison Bourremen. Je leur communique mon numéro de tubophone et leur ordonne d’usiner dare-dare pour déterminer avec quel poste je suis actuellement en ligne. Dès qu’il sera repéré, qu’on envoie une ambulance équipée de tous les appareils possibles de réanimation sur les lieux. Je les rappellerai plus tard.

Drôle de Premier de l’An !

Je roupillerais volontiers quelques heures. Mais ouichtre…, comme on dit en Auvergne.

M. le président regarde l’heure. Il doit reprendre son dur collier et se remettre à tirer la France. Halez, Luia !

— Vous avez des difficultés ? demande-t-il de cette voix menue, qui sort à regret semble-t-il.

— Il paraît que l’on a mis à mal un homme de mon équipe, monsieur le président.

— Fâcheux ! résume-t-il avec son sens extraordinaire de la concision.

Puis il nous prend congé.

— Tenez-moi au courant, n’est-ce pas ?

— Bien entendu, monsieur le président.

Je le raccompagne jusqu’à son carrosse. Lorsque je me la radine, je supplie m’man de préparer une grande cafetière de jus très chargé pendant que j’irai prendre une douche froide et changer de fringues.

L’Auberge du Pont Fleuri de Vréneuse doit son nom au pont qui la surplombe, pont qu’une municipalité délicate a garni de bacs à fleurs. Depuis mèche des vandales ont pillé les fleurs et brisé les bacs de fibrociment, mais le nom est resté.

Au moment où j’entre dans la localité, je croise une ambulance de forte taille, glapissante et gyropharante, escortée par deux motards. Aussitôt mon sang ne fait qu’un tour de circuit, car j’ai la certitude que Lurette se trouve à l’intérieur du véhicule. J’adresse une ardente prière au Tout-Puissant pour qu’Il sauve la vie de mon petit Lurette. Il serait tellement injuste que ce môme laisse sa peau dans l’histoire.

Hélène Dussardin fume à mon côté une atroce cigarette orientale à bout doré qui me fait songer à ces papiers parfumés qu’on distribuait autrefois et qui célébraient les mérites de quelque marque de savonnettes.

Hélène, deux mots pour te la présenter. Elle est femme inspecteur. C’est une solide fille blonde, avec des joues de luronne et des loloches solidement arrimées par du Cœur-Croisé de Playtex. Fringuée un peu trop girl-scout pour mon goût, elle ne se farde pas, mais ses pommettes et ses lèvres sont d’un pimpant rouge plein air.

Comme elle se trouvait de permanence, je l’ai mobilisée dans la foulaga. Elle porte un pantalon gris, un pull en grosse laine aux tons bariolés, et un gros manteau de drap beige avec une écharpe jaune tricotée par sa vieille mère. Cela dit, sympa. Un cran à la Jeanne d’Arc, prête à bouter les malfrats de France. Je n’ai encore jamais eu l’occasion de bosser avec elle, non que je sois miso, mais mes occupations et les siennes ne concomitaient pas. Bien qu’elle soit une solide gaillarde, elle possède suffisamment de féminité pour qu’on préfère la grimper plutôt que l’Everest. M’est avis que je l’impressionne car elle ne dit rien et se tient parfaitement droite sur son siège, la ceinture bouclée serré, les mains croisées sur ses cuisses.

— Je crois que voilà l’Auberge du Pont Fleuri, non ? fais-je en découvrant une grande taule blanche avec des fenêtres à petits carreaux et de faux colombages pour faire normand.

— C’est écrit dessus, rétorque la belle Hélène.

Fectivement, un panonceau en arc de cercle au-dessus du portail annonce Auberge du Pont Fleuri. On entre, et tout de suite y a une esplanade semée de petits cailloux qui sert de parking. Ensuite, t’as une terrasse dallée, vide en cette saison, séparée du parking par des fusains. Des portes-fenêtres prennent sur la terrasse. Sur l’une d’elles on voit plein d’autocollants de l’American Express, de la carte bleue et toutim.

— Viens, collègue, fais-je en remisant ma tire, et essayons de faire vrai.

Je sors une valise du coffre, bourrée à la va-vite de n’importe quoi. Je la chope de la main gauche, je cueille la taille de ma compagne avec la dextre et on se hasarde.

La lourde aux autocollants donne sur un petit hall carrelé. Au fond, un comptoir d’acajou, avec des fanions du Rotary et d’autres clubs, sert de point d’ancrage à l’arrivant. Une petite pancarte flanque une sonnette à percussion. La pancarte dit comme ça qu’il faut sonner pour appeler. Je donne une tape au timbre et une longue note cristalline faufile ses ondes dans toute la taule.

Au bout d’un moment assez long pour mon impatience, une vieille dame s’annonce. Elle doit cogner le quatre-vingts facile ; elle a les cheveux bleus, très flous ; elle est peinte comme une marionnette et porte un kimono absolument bordélique, en soie noire incrustée de vilains dragons.

Son râtelier d’une pointure de trop nous sourit à l’anglaise.

— Monsieur, madame ?

Je m’incline :

— Bonjour, madame, et bonne année. On peut avoir une chambre ?

— Pour la journée ?

— Peut-être davantage, mon amie et moi cherchons un petit coin tranquille pour y passer quelques jours.

Elle nous vote un nouveau sourire de mère maquerelle réceptionnant une « petite nouvelle ».

— J’ai ce qu’il vous faut. La fenêtre donne sur la rivière.

— Merveilleux.

— Autrefois il y avait un moulin, mais il est en ruine.

— J’adore les ruines, assuré-je sans mettre trop d’intention.

Déjà elle a dégauchi une clé dans un tiroir et la voici qui trottine jusqu’à l’escalier verni.

— Je vous laisse monter votre bagage : Mathilde, la femme de chambre, a congé aujourd’hui parce que nous sommes le 1er janvier.

— De toute manière, je ne laisse jamais porter mes valises par une femme.

Elle me sourit.

— Vous êtes galant, ça se perd. Autrefois, j’ai connu des hommes galants, mais ils sont morts sans avoir été remplacés.

« De nos jours, les hommes ne tiennent plus la portière aux dames et entrent les premiers dans le restaurant sans s’occuper de leurs compagnes qui les suivent comme elles peuvent. »

Elle part à l’assaut des marches. S’arrête à mi-étage pour reposer son asthme. Sa respiration ressemble à celle d’une vieille locomotive à vapeur. Elle se tapote la poitrine pour nous signifier qu’elle a des problos côté soufflets.

— C’est paisible, ici, dis-je.

La mémé opine et halète :

— Juste les oiseaux… Et encore, en hiver ils la bouclent !

Elle achève son ascension et nous drive au bout du couloir. Chemin faisant, une porte s’entrouvre la moindre, juste pour permettre à un œil de nous capter, puis se referme aussitôt. Je note le numéro de la carrée : le 4.

Je tiens toujours Hélène par la taille. Ma valtoche racle les lambris peints en faux bois. La vieille aux dragons délourde et on a droit à une chambre vachement champêtre : papier cretonne sur les murs, rideaux et couvre-lit assortis. Les meubles font « campagne fin dix-neuvième ». Il y a même une coiffeuse avec du marbre blanc fêlé et un miroir rond orientable. Et puis deux tableaux à l’huile, très sombres, représentant des paysages.

— Exactement ce à quoi nous rêvions, n’est-ce pas, chérie ? demandé-je à ma compagne.

— C’est merveilleux, assure-t-elle.

Mamy Frisettes est toute joyce. Elle pressent un coup de verge imminent dans le Landerneau, la rhapsodie des sommiers pour dans pas longtemps. Et peut-être la bramade du pied, interprétée en duo par les arrivants.