— Vous avez un lavabo et un bidet derrière le rideau, annonce-t-elle ; par contre, je dois vous prévenir que les toilettes et la salle de bains sont dans le couloir. Un cœur est peint sur la porte, vous ne pouvez pas vous tromper.
Bon, merci beaucoup, m’dame.
Elle carapate à regret, attendrie par notre couple. Je lourde au loquet et vais à la fenêtre. En effet, elle « donne » sur la rivière et on aperçoit les ruines (en ruine) du moulin annoncé précédemment. Un jardin engourdi dans l’hiver, un verger aux arbres décharnés… Le ciel est bas. Quelques corbeaux y tournoient, sans espoir.
— Alors, programme ? me demande ma « consœur ».
Je la regarde, je regarde le plumard. Elle a un sursaut.
— Hé ! dites, commissaire, surtout ne vous gourez pas d’intentions. Je suis fiancée à un toubib que j’adore et je ne fais pas d’extra.
Furax, je lui riposte :
— Qui vous a parlé de forniquer, mademoiselle l’inspecteur ?
Elle hausse les épaules.
— Le cheminement de vos yeux qui sont passés de mon cul au lit sans escale.
Je lui souris.
— Bravo pour la vertu, ma chère ; c’est un bien inestimable. Cela dit, il va bien falloir faire « semblant ».
— C’est-à-dire ?
— Nous sommes censés fêter ici la fin du ramadan, non ? Des gens occupent cet hôtel, qui ne sont pas catholiques, et auxquels nous devons donner le change. Ils sont sur leurs gardes.
— J’ai vu, en effet, cette porte qui s’entrouvrait dans le couloir.
— Bravo, et quoi encore ?
— Deux voitures sur le parking, dont l’une est immatriculée à Padova, Italie.
— Parfait.
— Et je sais également qui est la vieille.
Là, elle me cyclone les roupettes, la mère. Hélène dit, sans me regarder, tout en ôtant son manteau :
— Lorsque vous m’avez appelée pour me dire que nous partions mimer les amoureux transis dans une auberge louche de Vréneuse, j’ai téléphoné au sommier. La vieille qui tient ce coquet établissement est une ancienne bordelière qui fut la gagneuse de Miquet Lardeuss, un superbe bandit d’avant-guerre mort au champ de déshonneur, à la Libé, de douze balles dans la poitrine, plus une treizième dans la nuque.
— Dites donc, môme, vous êtes une vraie pro !
— Vous pensiez quoi ? Que je fourbissais les menottes à la peau de chamois ?
Elle est saine comme du pain chaud, cette gosse. Son toubib de mes pauvres deux a bien de la chance d’avoir de la veine. Avec une gnère de cet acabit, il est paré pour attaquer la vie. Elle lui donnera de beaux enfants et se montrera très aimable avec sa clientèle.
— Excusez, dis-je, il est temps de donner cours à notre frénésie. Un brin de toilette, pour commencer…
Je vais ouvrir les robinets un instant. Toujours rester dans la vraisemblance. En songeant que, si au lieu de mimer, on y allait franco, Hélène serait en train de se rafraîchir le joufflu, j’ai comme des vapeurs nitreuses qui m’investissent.
Une fois les robinets fermés, je vais me jeter sur le lit. Ça grince, comme toujours dans ces sortes d’auberges à baise. Tant mieux.
— Essayez de faire vrai, je vous en conjure. Vous êtes du genre invectiveuse, soupireuse ou silencieuse ?
Elle rougit et balbutie :
— Vous, alors…
Je renaude :
— Ecoutez, petite, je ne vous ai pas embarquée dans ce sirop pour recoudre les boutons de mon pardingue : ils tiennent, maman les vérifie tous les jours. Je vais démarrer une petite danse du scalp et vous aurez la bonté de me témoigner de manière assez bruyante votre satisfaction, O.K. ?
Et voilà que je me mets à faire chanter le sommier, à la languissante pour commencer, ensuite plus frénétiquement. Je fais un signe à ma « collaboratrice ». Elle se détourne et se met à gémir des « Ohhh ! Ahhh ! Ehhh » assez lamentables.
Je m’arrête.
— Dites, môme, ça ne va pas la tête ! Vous poussez ces interjections quand le docteur Lapurge vous lime ? Je crois que vous ne m’avez pas encore compris : je suis sérieux, moi ! C’est pas de l’amusette.
— Mais comment voulez-vous, proteste-t-elle, je ne suis pas dans l’ambiance. Tout ça est… grotesque.
Putain, ce qu’elle vient de cracher, fifille ! A moi, l’Antonio tous azimuts ! Ami privé et personnel du président de la République ! Grotesque.
— Je vais t’en foutre de l’ambiance ! grondé-je.
Mon regard est si ardent qu’elle prend peur. Moi, péremptoire, je l’entraîne jusqu’au dodo et l’y renverse. Qu’aussitôt : la grosse bisouille mouillée, accompagnée d’une main tombée au futal ! Cric, crac, le bouton du haut saute, la fermeture-Eclair fulgure. Ma paluche impitoyable se faufile, retrousse, rabaisse, se glisse, trouve, se met en place, puis en action.
— T’inquiète pas, chérubine, tu vas la garder ta chère vertu, le toubib pourra passer les lourdes la tête haute. Mais cela dit, tu vas me prendre ton peton, chérie. Et bien comme il faut ! Je veux du vrai, du spontané. Banco ?
Crois-moi ou va te faire godemicher par les Grecs, mais elle cesse de regimber, la môme. Une vraie pro, je te répète. Capable d’abnégation dans les cas difficiles. Elle se laisse déterger les robloches. J’occupe la totalité de son territoire sensoriel : nichemards, frifri… La bouche, les mains, hardi ! Bientôt elle y va à la roucoulade sublime.
Elle balance des « Ohhh ! » de grand style, garantis pur foutre. Elle trémulse des miches. Elle m’agrippe (espagnole) et ses ongles labourent ma chair comme on disait puis dans les romans grivois de jadis…
Au bout de dix minutes de cet échange, tu sais quoi ? Non, je veux pas le dire devant Dutourd, ça me gêne ! Il est pas là ? Bon. Figure-toi qu’elle me balance un désespéré : « Ahhh ! Prends-moi ! »
Non, tu te rends compte ? C’est changeant, une gerce, t’avoueras ! Il y a un instant, c’était l’hymne à la fidélité, mon toubib adoré, tout ça. Et maintenant, juste à cause d’une petite papouille au clito, mam’selle s’empâme et réclame la venue du Grand Mongol ! Que tant pis pour l’interne des hôpitaux de Paris, futur chef de clinique !
Je m’offre le luxe de refuser :
— Non, non, ma chérie, il ne faut pas, songe à ton fiancé ! Je t’ai promis de te respecter…
Elle hurle :
— Si ! Si, prends-moi ! Vite ! Ohhh ! Ahhh !
— Je te jure que c’est pas raisonnable, placé-je encore en dégainant néanmoins mon piolet.
Alors elle éclate :
— Prends-moi, je t’en conjure !
Eh ! dis, t’entends, Bazu ? Elle m’en conjure !
C’est pas la conjuration d’Amboise, mais celle de Vréneuse.
A l’Auberge du Pont Fleuri (qui ne l’est plus). Elle va m’injurier si je refuse de céder à ses instances. Bon, moi je taquine, mais ça ne va pas plus loin. Alors c’est l’enfourchement cosaque. La superbe délivrance épique. La charge héroïque. Messieurs les mousquetaires, sus aux ferrets de la reine. Plus besoin de lui supplier de faire semblant, Hélène. La grande gueulée grégaire. Depuis l’époque des cavernes, c’est du kif ! Le big vrahou sauvage ! L’appel de la forêt ! La cérémonie du panard ! Tu les jettes dehors à coups de rapière, ces merveilleuses. Les défenestres de leur standinge. Allez, ouste !
Je lui en livre vingt boisseaux, qu’elle ait des provisions d’avance pour si des fois y aurait la guerre. Elle est d’accord : « Mettez-le là, et puis là encore ! »
Elle est très saine, très fraîche. Une athlète polak, championne de saut à la perche. La perche, elle la maîtrise superbement. Moi, d’ordinaire, je l’avoue, je donne plutôt dans la viceloque. La bourgeoise friponne, la nana en bordure de nervouze capable de hardiesses vertigineuses. Je suis porté sur la cérébrale, celle qui s’explose scientifiquement, qui se réserve pour la fin ; la très savante, turluteuse de Mohicans. Ou alors la vachasse extra-conne qui monte en bite comme une mayonnaise ; toute plate au début, inerte, huileuse, et puis les sens s’en emparent. Très intéressant comme expérience. Tandis que l’Hélène, c’est du gabarit sérieux, de la fille à faire les bonnes brus, solides, équilibrées, pondeuses d’enfants roses. Chair ferme et lisse, formes généreuses mais musclées. L’abandon naturel. Les glandes vérifiées au banc d’essai. De la poulinière à pelage luisant, à réflexes impecs ! Après la troussée matrimoniale, elle court utiliser M. Propre et préparer la pâte pour sa tarte du soir.