Quand on a terminé de galiper, elle reste un instant inerte, à reprendre souffle et conscience, un sourire comblé au coin de la bouche, comme une pâquerette.
— Alors vous, vous me la copierez ! dit-elle.
— En autant d’exemplaires que vous voudrez, lui dis-je.
Je tends l’oreille, certain de percevoir un glissement dans le couloir. Je te parie une caisse de bière contre une caisse d’horloge que quelqu’un nous a écoutés, et peut-être même visionnés par le trou de la serrure. Tant mieux, c’est tout ce que je souhaitais, bien que je n’aime guère batifoler en devanture.
Nous demeurons allongés, côte à côte. Elle a cessé de sourire, elle gamberge.
— Tu penses à ton toubib ? je la tutoie.
Elle acquiesce.
— Je m’étais promis de lui rester fidèle.
— Les sens et l’amour, ça fait deux, tenté-je de plaider.
— Va lui dire ça, à Albert…
— D’accord, mais comme il l’ignore, seule tu es concernée. La fidélité, c’est dans la tête, pas dans les fesses.
— Dans ma tête aussi il y a du remue-ménage, si j’ose dire. Tu m’as fait jouir comme un sauvage. A ce point, j’ignorais. Alors, je me pose des questions. Et les questions, il n’y a pas plus nocif pour l’amour. Rien ne peut empêcher que je pense à toi en le retrouvant. Et quand il me fera l’amour, je comparerai, c’est fatal.
— Y a pas que le zob, ma poule. C’est sûrement un type d’exception, Albert ; je l’imagine délicat, intelligent, prévenant…
Elle pouffe :
— Penses-tu ! il pète devant moi et ne parle que de tennis.
— Alors pourquoi l’aimes-tu ?
— Il a une belle gueule et son cynisme m’impressionne.
— Je t’accorde la belle gueule, mais le cynisme, tu sais, ne compose pas une personnalité. Oh ! merde, je sens que je t’ai cassé la cabane ! Je te demande pardon…
Elle caresse ma joue comme seule sait le faire une fille en état d’amour.
— Naturellement, ce qui vient de se passer ne compte pas pour toi. Il s’agit d’un simple « coup », comme disent les mâles. Tu as tiré un coup au hasard de notre équipée. La situation nous y conduisait droit et nous sommes tombés dans le panneau. Moi, du moins. Pour toi, c’était l’épisode polisson ; à raconter aux copains ensuite.
La voilà qui me fout le bourdon, tout à coup. Elle paraît infiniment amère. Un peu comme si je l’avais violée, Hélène. En fait, j’ai violé l’idée qu’elle se faisait d’elle-même. C’est moche. On saccage toujours. Il y a en nous une sorte de louche vandalisme qui s’exerce sans même que nous le voulions.
Je m’assieds en tailleur, près d’elle. Elle est encore offerte, ses cuisses un peu fortes me font penser à une statue de Mayol. Sa toison pâle ajoute à la beauté formelle du spectacle.
— Je vais être franc, Hélène… Je ne puis te dire à cet instant si cette étreinte a ou non de l’importance pour moi. Je ne le saurai qu’un peu plus tard. Tout à l’heure ou demain. Pour l’instant, je ne suis en effet qu’un mâle assouvi, merveilleusement assouvi. Il faut que mes burnes se rechargent pour que je sache, tu comprends ? Si j’ai envie de recommencer, envie de caresser ton corps, de te regarder, de te parler et de t’écouter, bon, alors ça voudra dire que ce moment pesait son poids de secondes ; sinon, il n’aura été qu’un chouette petit nuage rose qui s’effiloche à l’horizon.
Elle ne dit rien, se lève et passe derrière le rideau masquant pudiquement le matériel post-baisatoire. La flotte, glouglou ! Bye bye ma folie ! Bonjour, petite chattoune neuve.
Y a pas que son Albert : moi aussi, je suis cynique ; et sûrement davantage que lui ! Pas exactement cynique : je comprends trop l’inanité des choses, quoi. J’aperçois trop la dérision des gens, la mienne en tête ! On est dérisoires à ne plus oser se regarder. Mais faire quoi ? En dehors de se pencher sur la souffrance, y a rien à tenter, rien à espérer. Je me demande ce que je fous là, moi qui suis bien pénétré de cette certitude, au lieu d’aller porter de la bectance aux chiares squelettiques des pays maudits. Moi qui sais la chose, qui y pense et qui me contente d’écrire des conneries. L’opprobre me submerge. Je sais même plus à qui demander pardon. Et d’ailleurs pour quoi foutre, pardon ? J’y ai pas droit. Le pardon, c’est pour ceux qui ne savaient pas, qui n’avaient pas bien compris. Il est interdit aux lucides, aux délibérés, à ceux qui voient et qui se commandent un plateau de belons triple zéro !
Un ronflement de bagnole se fait entendre dans la cour. Je tends l’oreille. Une rumeur de conversation en bas. Les marches de l’escadrin qui craquent. On marche dans le couloir. Une porte s’ouvre et se referme non loin de la nôtre.
— Grouille-toi, l’amour ! lancé-je à ma compagne.
CHAPITRE 5
On perçoit, au passage, un bruit de conversation derrière la porte 4. Des gens parlent à voix basse, mais véhémentement. Plutôt que de tendre l’oreille, je préfère descendre dans la vaste cour servant de parking. Hélène m’escorte, pensive. Nos ébats l’ont complètement chanstiquée. Ce fumant coup de bite lui cause un grave cas de conscience. C’est une personne à scrupules. Quelqu’un « de bien », quoi. « Les filles, jusqu’à ce qu’elles aient quinze ans, leurs parents ont peur qu’elles tombent en avant, et ensuite qu’elles tombent en arrière », déclarait avec un gros rire mon oncle Hugues qui en possédait cinq. M’est avis que Mlle l’inspecteur se fait, en tombant en arrière, des bosses à l’âme plus grosses que celles qu’elle se faisait à la tête en tombant en avant.
Avant de descendre les marches, je la saisis par le cou et l’attire à moi afin de lui rouler une galoche fougueuse.
— Je ne veux pas que tu te rendes malheureuse, petite chose, c’est joyeux, l’amour !
Elle rit mais ses yeux s’embuent.
— Tu m’en fais une drôle de femme-flic, chuchoté-je.
— Ça n’a rien à voir ! rebiffe-t-elle.
Mamie Cheveux-Bleus est en train de s’offrir un caoua derrière son rade. Les méchants dragons de son kimono crachent le feu pis que des lance-flammes.
Elle nous virgule un sourire radieux ; probable qu’elle a perçu notre gracieux tohu-bohu amoureux et qu’il l’a attendrie.
— Vous formez un beau couple, nous déclare-t-elle ; et vous commencez bien l’année.
Hélène rougit et reste coite. Je remercie la taulière d’un sourire complice irrésistible, du genre de ceux qui poussent les dames moins vioques aux sécrétions.
— C’est vraiment douillet, chez vous, lui dis-je. A quelle heure passe-t-on à table ?
— Ah ! oui, je voulais vous dire, aujourd’hui mon chef a congé. Mais j’ai du confit d’oie. Avec une bonne salade et une tarte aux pommes, pensez-vous que cela irait ?
— A merveille. Vos autres pensionnaires s’en satisferont également, je suppose ?