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Elle hausse les épaules.

— Aujourd’hui, jour de fête, je n’ai que vous et de la famille.

On sort. Je gagne ma voiture, blottie derrière les fusains, et me grouille d’appeler la Grande Cabane. J’apprends qu’on a retrouvé Lurette dans la cabine publique de Vréneuse, près de la poste. Il a pris un coup de sacagne dans le bide et on l’a drivé à l’hosto où on est en train de l’opérer. Donc, pas mort.

— Il était inconscient ?

— Tout à fait : coma.

— De l’espoir ?

— Les toubibs n’ont rien dit, mais ils n’avaient pas l’air très joyces.

— Notez les numéros de chignoles que je vais vous communiquer et grouillez-vous pour en apprendre un maxi sur leurs propriétaires. L’une d’elles est italienne. C’est une Alfa rouge. La seconde est une Juva blanche fatiguée. La troisième une grosse tire américaine bleue avec deux obus noyés dans le pare-chocs. Ces deux dernières sont immatriculées dans les Yvelines.

Mon correspondant prend note et je raccroche.

On se dirige, enlacés, vers la berge, Hélène et ma pomme. Bien chiquer aux amants épris de belle nature après le coup de verge de l’arrivée. On se refait de la sève parmi les arbres dénudés, en matant l’eau claire et la vieille roue disloquée de l’ancien moulin, verte de mousse et d’algues.

— On est en plein dedans, n’est-ce pas ? murmure Hélène.

— Qu’entends-tu par là ?

— Cette auberge est tellement louche que je m’étonne qu’on nous y ait acceptés.

— Ils sont sur le qui-vive depuis qu’ils ont repéré et neutralisé ce pauvre Lurette. S’ils se mettaient à refouler la clientèle de passage, ils savent bien que ça paraîtrait suspect. La petite vieille est une excellente couverture.

— Vous avez une idée à propos des gens qui sont ici ?

— Oui, et une idée assez précise même.

Et tout à coup, ma décision se fait.

— Viens, grouillons !

— Quoi ?

J’arque à grandes enjambées pour contourner les ruines du moulin et rejoindre la petite route secondaire bordant les communs de l’auberge. Parvenu sur cette voie discrète, je me mets à raser les murs en marchant sur le petit contrefort herbeux qui les sépare du chemin. J’ai retapissé une petite porte au niveau des fusains. Dieu soit loué, elle n’est pas fermée à clé. Nous pénétrons sur le parking sans être vus de l’auberge. Je tire de ma fouille intérieure un petit objet qui a la forme d’un nœud de barbelé, mais en très gros, et vais le placer devant l’une des roues de la chignole ricaine. Dès qu’elle démarrera, les pointes acérées de l’objet s’enfonceront dans la gomme du pneu, le crevant superbement. Cela accompli, j’extirpe mon sésame et ouvre le coffre de l’énorme carriole.

— Je me planque là-dedans, dis-je à Hélène, j’ai un bip-bip sur moi, le récepteur se trouve dans ma tire. Quand le mec de ce tas de ferraille partira, laisse-lui prendre du champ, puis mets-toi à le suivre avec ma pompe. Grâce au bip-bip tu n’auras pas besoin de nous voir, donc de risquer d’être vue. Selon mon estimation, il ne fera guère plus de deux ou trois kilomètres avant de constater qu’il a un pneu à plat. Il devra donc changer de roue. Pour cela il ouvrira son coffiot et qui trouvera-t-il alangui sur sa roue de secours ? Le cher Sana, feu en pogne. Nous aurons alors une explication, lui et moi. Toi, tu surviendras gentiment. Arrête-toi dès que tu nous verras et attends que je te fasse signe d’approcher. Vu ?

Elle opine.

— Maintenant, retourne dans la rue et attends que nous décarrions. Oh ! auparavant, sois gentille : referme la porte du coffre.

Par veine, il y a une couverture dans la malle de l’auto. C’est un plaisir que d’être hébergé dans cette voiture ricaine. A peine si je dois me mettre un tout petit peu en chien de fusil. J’espère néanmoins que le visiteur ne passera pas la journée à l’Auberge du Pont Fleuri !

Il s’écoule près d’une heure avant que des pas fassent crisser les graviers du terre-plein.

A l’oreille, j’en détecte trois. Ils viennent à l’auto sans parler. Mais au moment de la séparation, ça se met à jacter. Un homme, ayant un fort accent italien, murmure :

— Alors, vous êtes bien sûr que c’est fichu ?

L’interpellé répond, sans accent, lui :

— Archifichu, ou alors, il faudrait mettre en œuvre les grands moyens, c’est à vous de voir.

Un silence. Celui qui vient de jacter monte en bagnole côté passager. Donc, ils seront deux. A toi d’aviser, mon San-Antonio.

Le premier qui a parlé reprend, mais en italien cette fois, à l’adresse du troisième qui n’a encore rien dit :

— Explique la situation à ceux de Milan ; je préfère ne pas m’y risquer d’ici. J’ai l’impression que ça va sentir le brûlé.

— O.K. ! répond l’autre (mais en italien). Il y a du monde dans l’albergo, en dehors de vous ?

— Un couple vient d’arriver.

— Inquiétant ?

— Je ne pense pas : ils ont baisé comme des fauves et sont partis se balader.

— Tu es sûr ?

— Je me suis payé un jeton par le trou de la serrure, la fille a un cul superbe, comme je les aime !

Il ricane.

— Tiens, c’est leur voiture, ça. Une Maserati ! T’as déjà vu des flics en Maserati ?

— Allez, ciao !

Le troisième s’installe au volant. La portière claque lourdement et on démarre.

J’étudie la stabilité de la voiture, mon appareil perforateur est en train d’accomplir sa mission, j’espère qu’il aura raison de ce boudin. Parfois, dans les tubless, ils foutent un produit qui obstrue les trous de l’intérieur du seul fait de la pression. Note que mon diabolique engin est conçu pour déchiqueter, car ses pointes sont en lame de scie et ont en outre la forme de petites baïonnettes.

En effet, au bout d’un instant, je perçois des tic… tic… tic… réguliers et je pige que mon barbelé d’amour entre en contact déjà avec la jante, preuve que le pneu est presque à plat.

L’auto chasse du fion. Malgré la paroi isolant le coffre de l’habitacle, j’entends le chauffeur pousser un juron.

— On a crevé ! dit-il à son passager.

— Bon Dieu, un bateau pareil, ça ne doit pas être commode de changer la roue ! rétorque ce dernier.

L’auto accentue ses écarts, ralentit et stoppe.

« Ça va être à vous, monsieur le commissaire ! » me dis-je fort cérémonieusement.

Le gonzier sort de son sous-marin, claque la porte, pas qu’il se remplisse d’eau et vient délourder le coffiot en pestant.

Un ciel gris comme une frime d’huissier me projette sa lumière dans les vasistas. J’avise un grand diable avec un blouson de daim. Il est très brun, les pommettes osseuses, les arcanes souricières (comme dit Béru) proéminentes, avec des rouflaquettes comme on n’en porte plus depuis que la mode des danseurs argentins est passée.

Je lui souris. Il paraît stupéfait. Mon gros pétard l’intimide.

— Tes bras ! chuchoté-je.

Il murmure :

— Qué ?

— Tes bras : lève-les !

Bon, il se déguise en silhouette gaullienne en train de françaises-francer sur un balcon d’hôtel-de-ville.

Je sors de mon logement, un peu engourdi, et même beaucoup. Exécute quelques mouvements assouplisseurs.

Nous nous trouvons en rase campagne. Au loin, un type bricole je sais pas quoi dans son champ, perché sur un tracteur. En cette saison, je me demande ce qu’on peut maquiller en fait de cultures.

— Je peux vous donner un coup de main ? demande le compagnon de route du grand daim.

— Ça va ! je lui grommelle moi-même personnellement. Tourne-toi dos à moi, Grand ! enjoins-je.