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— Ma vie est finie, annonce-t-il. Je serai radié de l’ordre des médecins, je vais faire de la prison, ma femme qui déjà me trompe demandera le divorce et je serai privé de mes chers enfants.

Pleure, infortuné maniaque ! La loi est dure, mais sed lex ! Toute faute doit s’expier.

— Vous n’aviez jamais vu ce type ? insisté-je en désignant celui qui aspirait à devenir mon meurtrier mais qui, de ce fait, devint ma victime.

— Mais non, jamais ! Excepté les petites exigences de Rolande, j’ai une vie irréprochable.

— Les vies irréprochables ne comportent pas d’exceptions, doc. Allez, bye-bye !

Je quitte la chignole.

Avant de m’éloigner, je me penche sur sa portière.

— Tenez, je vous fais une propose, mon vieux ; la même que vous fit la Rolande, jadis : démerdez-vous ! Vous êtes dans la mouscaille, essayez d’en sortir.

Il bleuit (ce qui est le paroxysme du vert).

— Vous n’êtes donc pas de la police ?

— Si ; mais j’ai ma vitesse de croisière à moi. Je me taille. J’ai tout mon temps pour m’expliquer sur les événements de ce matin. Je vous laisse carte blanche. Si vous parvenez à convaincre mes collègues que vous faisiez du stop et que ce type est mort du S.I.D.A., tant mieux pour vous, je laisserai pisser le mouton. Je vous signale toutefois que j’ai déjà communiqué le numéro de cette bagnole à mes confrères.

Là-dessus je m’éloigne d’un pas martial sur la petite route. Le tracteur a disparu et les corbeaux voltigent au-dessus du champ désert comme des feuilles mortes.

CHAPITRE 6

Un camionneur obligeant m’a drivé jusqu’à Houdan. De là, j’ai frété un taxi pour Vréneuse.

L’auberge paraît tranquille. J’avise ma tire sur le parking, au côté de la Juva. Par contre, l’Alfa ne s’y trouve plus.

Inquiet, je gagne l’habitation après avoir casqué mon driver. Tout est silencieux. D’un pas souple, je grimpe jusqu’à notre chambre : vide ; mais un désordre indescriptible y règne. On l’a fouillée à la va-vite, sans se soucier de refaire un brin de ménage par la suite. Je fonce alors à la chambre 4. Elle est vide aussi, si l’on excepte le cadavre d’un des deux Ritals en complet rayé du Grand Vertige. Il gît sur le lit, tout enchifrogné par la mort. On lui a fait péter la tronche d’une balle dans la nuque. Le coup de grâce, somme toute. Puisqu’il était irrécupérable, c’était la meilleure manière de se séparer de lui.

Cette fois, il a la rate au court-bouillon, l’ami Sana !

Je dévale l’escalier cinq à cinq (quatre à quatre, c’est pour les podagres). Parvenu au rade, j’actionne le timbre d’appel comme un wattman la carillonnette de son tramway lorsqu’il aperçoit une fillette en train de faire des pâtés de pavés sur la voie. Mais la vioque n’apparaît point.

Bon, y a eu emergency d’urgence. Pourtant, une mouillante odeur de confit d’oie en train de se déconfire, titille mes naseaux. Je cherche la cuistance et la trouve facile. Une coquelle noire, toute semblable à celle dont use ma Félicie, se laisse chauffer le cul sur un fourneau grand comme un comptoir des Indes. Mamie Rolande est affaissée devant son piano. Elle aussi a eu droit à la praline dans le bulbe. Il a une façon peu orthodoxe de prendre congé de ses hôtesses et de ses potes, le second Rital rayé. De profundis à répétition. Seulement voilà, quid de la gentille Hélène ?

Je parcours tout le bâtiment en la hélant. Une espèce de dinguerie me biche. Le phénomène dont je lui parlais naguère se met à jouer à plein. Je ne veux pas qu’il lui soit arrivé malheur, à cette gosse. Il me la faut encore ! Elle me manque déjà ! Hélène, ma fliquette ! J’ai besoin de tes belles cuisses solides et douces, de ton duvet, de ton odeur de femme saine, de ton regard apeuré par la vie… Hélène ! Ah ! non, je ne t’ai pas entraînée au casse-pipe, dis ! Où es-tu ? Hélène, ma chérie, ma Jeanne d’Arc, ma pouliche hennissante, mon royal cadeau du 1er janvier !

Hélas, hélas, hélas ! comme l’a dit si justement un ancien président de la République (à présent ce sont les Français qui reprennent l’expression) : « seul le silence me répond » (Ponson du Terrail).

Treize abattu, je décroche le téléphone pour appeler mes collègues de la maison mère.

— Du nouveau à propos des bagnoles dont je vous ai fourni les numéros ?

— La Juva appartient à une certaine Rolande Froidevache, domiciliée à Vréneuse, Yvelines.

— Je sais, after ?

— L’Alfa est une voiture de démonstration attribuée au garage Mortadelli, de Padova. Elle a été volée, mais le patron du garage ne s’en était pas aperçu, à cause des fêtes.

— Diffusez son numéro à tout-va, le dispositif number one ! Et, attention, en cas de coup dur, notre gentille consœur, l’inspecteur Hélène Dussardin a probablement été embarquée en otage ; ensuite ?

— Concernant l’américaine, Ford Custom bleue, elle appartient à un danseur noir nommé Méoutuva Didon, domicilié 613 rue de Montholon, dans le neuvième.

— That’s all ?

— Non, monsieur le commissaire : c’est tout !

Parvenu à cet équinoxe de l’histoire, comme chaque fois, t’auras remarqué, j’en fais le point dans ma poche.

Toujours récapituler au bon moment, ça permet de prendre ses distances, de contrôler le développement des faits, de percevoir les agissements des êtres.

Washington prévient l’Elysée qu’il se pourrait qu’un coup tordu se prépare contre le président ; coup tordu mijoté par un gangster illustre : Al Kollyc, lequel serait en contact avec des chefs des Brigades rouges ritales.

Al Kollyc est descendu chez un bon ami à lui, espèce de vieux forban garé des voitures et ayant pignon sur rue : César Césari-Césarini.

Voilà, ça, c’est le premier paragraphe. Net, carré, sans bavures.

Deuxième paragraphe.

Kollyc passe quatre jours chez son ami. Il vit pratiquement enfermé dans sa chambre où il use la plus grosse partie de son temps à téléphoner. Le soir du 31 décembre, il refuse de réveillonner avec la famille Césari-Césarini car il a rendez-vous avec deux « messieurs italiens ». Sur les instances de César, il revient sur son refus, et convie ceux-ci au Grand Vertige.

Troisième paragraphe : la soirée !

Au douzième coup de minuit, un tireur déguisé en dame abat Al Kollyc depuis une petite loggia, au moyen d’un fusil à lunette dont, ensuite, Césari-Césarini prétendra qu’il lui appartient.

Assertion confirmée par sa famille, mais démentie par ses deux domestiques. Les deux Italiens (présentés sous les prénoms courants d’Aldo et de Luigi) se font la paire immédiatement après l’attentat. Ils poignardent mon collaborateur, l’officier de police Jean Lurette qui leur coupait le passage. Celui-ci riposte avec son flingue. L’un des deux Transalpins est très gravement touché, malgré tout le tandem parvient à fuir, à bord d’une Citroën noire.

Quatro : les deux Italiens vont chercher refuge dans une coquette localité de la banlieue ouest, à l’Auberge du Pont Fleuri, tenue par une vieille bordelière reclassée. Jean Lurette que j’ai laissé au Grand Vertige parvient à retrouver leur trace, j’ignore comment. Les gars, ou des complices à eux, le reconnaissent et le plantent une deuxième fois, mais dans le ventre. Le jugeant mort, ils le laissent sur le carreau. Lurette retrouve ses esprits et suffisamment de forces pour se traîner jusqu’à une cabine téléphonique, d’où il me prévient. Ensuite il sombre dans le coma.