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— Vréneuse.

— L’adresse ?

— Une maison qui s’appelle Les Lilas bleus.

— Justement, je suis à Vréneuse.

— Tu veux que j’viende ?

Je gamberge longuement, mais en une seconde huit dixièmes. Le temps, tout dépend de la manière dont on l’utilise. Les plus belles heures de ma vie, je les ai toujours vécues en deux minutes. Si tu veux en savoir plus long sur la question, potasse mon camarade Einstein qui lui s’est fait chier la bite pendant des années pour démontrer la justesse de ce que j’avance.

— C’est cela, arrive : Auberge du Pont Fleuri, c’est au bord de la rivière et à l’entrée de l’agglomération.

— Jockey, mon pote, j’arrive.

— Passe-moi Mathias.

— L’v’là, y finit d’éponger sa gerce.

L’organe haletant du Rouillé est déjà saisi par la navrance. D’ici pas loin, il va se traîner devant sa gonzesse en se lacérant la poitrine, implorer un pardon dont il devra régler les dividendes jusqu’à la fin de ses jours.

— Ecoute, fiston, moule-nous un peu avec tes problèmes familiaux. Si j’ai un conseil à te donner, c’est de garder la balle dans ton camp. Cela dit, il est temps que ta tribu rejoigne sa base. Téléphone à la Maison Bourreman qu’on t’envoie un fourgon et rapatrie tes éclopés. Ma mère va arriver avec des photos. Tu vas les examiner, les agrandir et me trouver ce qu’elles représentent et où elles furent prises. Ça joue ?

— Comptez sur moi, monsieur le…

Je raccroche.

Des choses s’organisent. Ça remue un peu. Mais qu’est-il advenu de ma consœur Hélène Dussardin ? Je commence à me sentir en manque d’elle. Non, sérieux. Le béguin, tu crois ?

CHAPITRE 7

Je guignais le Gros depuis un banc situé sous des platanes. L’air s’est radouci et un soleil timide vient promettre des trucs positifs pour l’année nouvelle.

La charrette à Béru se pointe dans un gros vacarme de bielles déglinguées, de pistons ravagés, de carrosserie en haillons. Les cartons suppléant à l’absence de vitres (seul le pare-brise n’a pas été remplacé) claquent comme des drapeaux.

Sa Majesté stoppe tant bien que mal. La carriole a des soubresauts convulsifs, comme un zèbre capturé cherchant à se dégager des liens qui l’entravent.

Le Gros lui balance un coup de saton dans le capot pour la faire tenir tranquille et sa batteuse, modèle MacCormick 1924, cesse de renâcler.

— Faut qu’j’l’envoye à la révision, dit-il. Ell’ m’fait un peu d’automobile-allumage ; ça doit proviendre des visses platinées qu’est entartrées. T’as repéré la casa du mâchuré ?

— C’est une grande bâtisse derrière l’église, au fond d’une impasse. Tu dis qu’il habite un gourbi, rue Montholon ?

— Le vrai piège à rats !

— Comment se fait-il en ce cas qu’il possède une bagnole américaine, pas neuve, certes, mais qui doit tuter des hectolitres de benzina ! Il fait quoi, dans la vie, ce pèlerin ?

— J’ai interviouvé sa pipelette, révèle le Mastodonte, paraîtrait qu’il serait grutier au chômage.

Mon sang ne fait qu’un tour : mais réussi. Grutier ! Et les photos que Félicie porte à Mathias représentent une grue dans une rue peinarde.

Le teuf-teuf mérovingien de Sa Majesté déferle dans une Vréneuse accablée par la gueule de bois. Dans les maisons, on se cogne du Vichy Saint-Yorre pour se colmater les brèches hépatiques de la nuit. Sur mes indications, il emprunte l’impasse au sol inégal garni de pavés ronds dits « têtes de chats » et va jusqu’au portail plein, pas mal rouillé, qui la termine.

— Laisse ta ruine au milieu de la chaussée, Gros.

Il ronchonne sur l’épithète malsonnante car il tient sa bagnole en grande estime. Je suis déjà à pied d’œuvre, bricolant la serrure du portail à l’aide de mon fameux gadget que toutes les cours d’Europe m’envient et que je proposerai un jour au con court les pines.

Le vantail s’ouvre sur ma poussée avec un gémissement triste comme le bêlement d’un agnelet sans mère. Je glisse une teillée dans la propriété. J’avise une grande cour à l’abandon, envahie par les ronciers et les herbes en délire. Une traction noire immatriculée à Paris, dont la plaque généalogique (comme dit le Mammouth) commence par 1 et se termine par 8 est stationnée là. Au bout de la cour, il y a la maison. Elle fut belle, mais maintenant elle ressemble à la reine d’Angleterre. Volets clos, elle dérive vers la convoitise des promoteurs immobiliers qui, bientôt, la transformeront en supermarket, comme on dit en français.

On entre, on referme. Le Dodu m’interroge du regard. Je lui fais signe d’avancer. A la file indienne, je gagne la porte-fenêtre centrale. Les volets sont tirés, mais non crochetés. J’en ouvre un. La porte est également à disposition.

Nous voici dans la place. Y a de quoi claquer des chailles. Le froid de cet hiver plutôt calme s’est concentré dans la masure, renforcé par une humidité perfide et des courants d’air à n’en plus finir.

J’ai une dilection pour les maisons abandonnées, au point que j’en fous dans presque tous mes books. Cela doit issir de ma prime enfance, je suppose. Je passais mes vacances dans un hameau dont la première maison était en ruine. J’allais jouer dans cette masure qui sentait la très vieille paille et l’étron desséché, car nombre de gens y posaient culotte à l’occasion. Et alors bon, depuis, j’ai dans la tête plein de baraques désertées, angoissantes de solitude et si pitoyables à force de décharnance.

Apparemment, cette taule paraît vide, et pourtant j’y subodore une présence. Effectivement, je découvre, au premier, dans une chambre moins ravagée que les autres, un gazier en train de roupiller dans un sac de couchage. Une caisse lui tient lieu de table de chevet, laquelle supporte une grosse lampe à forte batterie, feu rouge clignotant à volonté, lumière sur deux positions, etc. Il y a également une Thermos et un poste de radio à transistor. Le dormeur (qui ne s’appelle pas Duval) est noir comme un marchand de charbon sénégalais qui serait en grand deuil, ce dont je conclus qu’il se nomme Méoutuva Didon.

Il pionce avec tant d’énergie que notre intrusion n’a pas troublé le moins du monde son sommeil. Ses deux bras hors du sac se rejoignent derrière sa tronche. Je fais signe à Mister Cachalot de lui passer les cadennes, ce dont il s’acquitte. Crois-moi ou trotte te faire triturer le chinois par la reine Babiola, mais ce double clic ne perturbe pas davantage la dorme du Noir.

Je m’approche de lui et ramasse l’un des mégots jonchant le sol autour de son pageot de fortune. Pas besoin de les renifler longtemps pour piger qu’ils ne sont pas farcis aux herbes de Provence ; et d’ailleurs, fumés aussi courts, tu parles ! Le gars s’est dosé sérieusement pour tromper la tante.

Je le fouille. Bilan : des fafs à son nom, du pognon (six mille pions environ), un rasoir à manche, un poinçon de cordonnier dont la pointe est fichée dans un bouchon (pas déchirer sa poche), une boîte en fer de chez mon amie Valda (dont le prénom est Pastille, au cas que t’ignorerais) contenant une demi-douzaine de joints (et pas des joints de culasse, espère !), un grigri confectionné avec de l’ivoire et des poils de cul (ne représentant rien, mais très ressemblant quand même) et pour conclure, une petite culotte porno blanche, à dentelle rose, fendue de l’entrejambe, trop délicate et proprette pour lui servir à essuyer sa jauge à huile. Cela dit, le personnage me paraît massif, jeune, il a une grande frime de chourineur et porte un sweet-shirt jaune qu’a écrit dessus « Ta gueule, je parle ! », car ça se fait beaucoup de nos jours d’arborer des slogans, déclarations, invectives ou professions de foi sur sa poitrine, là où les croisés de Charles IX portaient des croix.