— Un brin. Je manque de sommeil, probable.
— On devrait aller boire un coup de ce Pouilly Fusé qu’tu m’causais.
J’acquiesce et on se barre.
— Hé ! patron ! s’inquiète Méoutuva Didon, tu me laisses ?
— On passera te chercher plus tard. Dors !
— Et si les Italiens viennent pour la grue ?
— Tu leur dis de m’attendre.
— Tu m’enlèves pas ça ?
Il agite ses poignets enchaînés.
— Une autre fois.
Je m’arrête à la voiture noire avant de quitter la place. Un petit examen express. Positif. Sous la banquette arrière se trouvent deux fusils mitrailleurs. Dans le coffre, je déniche une sorte de grand filet aux mailles métalliques qui se ferme par un système d’anneaux dans lesquels passe un filin.
— Ils sont pêcheurs, tes gars ? bougonne l’Epidermique.
— Dans un sens, oui, probablement.
Mes recherches me conduisent à ouvrir une boîte à outils de ménage, avec un système de casiers qui se proposent lorsque tu écartes les deux anses de la boîte. Au lieu d’outils, j’y déniche tout un fourbi propre à neutraliser du monde : bombes de gaz soporifique, seringues, ampoules diverses conservées dans des emballages capitonnés, tampons, etc.
D’un geste vif, je rabats le couvercle de la malle. Des perspectives se constituent dans ma belle tête d’intellectuel surmené. Je décèle des bribes de vérité… Ce qui me turlubite, c’est une question majeure, comme le lac du même nom. Elle concerne l’assassinat d’Al Kollyc. Les Ritals sont-ils partie prenante dans ce meurtre ou bien ont-ils été surpris par l’événement ? Tout, en moi, me pousse vers la deuxième hypothèse. Ils sont arrivés d’Italie au volant d’une voiture dérobée, mais dont on ne pouvait pas découvrir le vol avant trois jours. C’est le Ricain qui les a fait venir. Lui qui les a conviés à la table des Césari-Césarini. Donc, Kollyc et les mecs en complet rayé avaient partie liée. Ils avaient besoin d’un grutier et c’est l’ancienne bordelière, la mère Rolande, qui le leur a recruté. Elle qui les hébergeait tous. Elle, toujours, qui a trouvé un toubib lorsqu’il y a eu de la casse.
— On peut savoir ? demande le Bestial que mon mutisme déconforte.
— Pourquoi Césari-Césarini prétend-il que l’arme du meurtre lui appartient alors que ses larbins affirment que non ? murmuré-je.
Sa Majesté a une réponse anglo-normande :
— Faut voir…
De retour à l’auberge, je sonne les gars qui s’occupent de moi à la Grande Taule.
— On a des nouvelles de Lurette ?
— Etat stationnaire, commissaire, le chirurgien ne peut pas se prononcer.
— Il est interviewable ?
— Pas avant plusieurs jours, vu son état.
Mon âme s’élève d’un bon mètre cinquante vers Dieu. Qu’afin, Seigneur, ce petit Lurette se tire du merdier ! Je compte sur Toi !
— Des nouvelles de l’Alfa Roméo du Rital ? poursuis-je.
— Pas encore.
— Tout est bouclarès, j’espère ? Aéroports, gares, frontières ?
— Le grand jeu, commissaire. Des brigades volantes banalisées arpentent le macadam parisien et les gendarmes verrouillent les carrefours de la Grande Ceinture.
Le Gravos, qui déguste une boutanche du fameux Pouilly fameux, me lance :
— V’là du peupl’, l’Artiste !
Je tire sur le fil du bigne pour pouvoir mater par la porte-fenêtre. J’aperçois une grosse Mercedes blanche sur le terre-plein. Elle se range près de nos propres tires et deux gaziers en descendent. L’un de ceux-ci n’est autre que Couchetapiane, le secrétaire particulièrement particulier de Césari-Césarini.
Je me grouille de raccrocher et fais signe à Bérurier de me suivre. On court se planquer dans un cellier jouxtant la cuisine. L’arrivée des deux personnages jetterait-elle, comme on dit vulgairement, un éclairage nouveau sur cette ténébreuse affaire ?
Nous l’allons savoir tout à l’heure.
CHAPITRE 8
Le timbre posé sur le comptoir des arrivées retentit moultes fois. Ensuite de quoi, la voix du gars Couchetapiane se met à glapir :
— Hello ! Y a du monde ?
Onc ne lui répondant, malgré qu’il réitère la question jusque dans la cage de l’escalier, il s’avance vers la cuistance. Le cadavre de Mamie Rolande lui saute aux yeux comme une photo porno dans un missel.
— Putain d’elle ! il s’écrie.
Oraison funèbre s’appliquant à la vie édifiante de la morte ou simple exclamation de surprise ? Je ne le saurai jamais.
Son compagnon, que je n’ai pas bien eu le temps de voir, mais qui m’a paru courtaud et large de poitrine comme un ténor d’opéra, pousse à son tour une exclamation, mais en italien, ce qui est plus mélodieux.
— Qu’est-ce que tu crois ? demande-t-il.
— Ils se sont tirés et ils ont refroidi la vieille pour l’empêcher de jacter.
Beau résumé d’une situation dramatique, ma foi.
— Nous attardons pas, conseille Couchetapiane. Si les perdreaux s’amenaient, ils seraient chiches de nous foutre ça sur les endosses.
— Mais non, penses-tu ! dis-je en apparaissant. Un mec de ta moralité est au-dessus de tout soupçon !
Le secrétaire aux Affaires étranges blêmit. Mon inopinée survenance le laisse sans voix.
Son camarade, le ténor de la Scala de Milan, fronce ses sourcils de ténébreux des années folles.
— Pas joli joli, hé ? leur dis-je. Et encore, vous n’avez pas tout vu. Allez donc jeter un regard au premier, chambre no 4, ensuite on prendra un pot, manière de se réconforter.
Je les pousse en direction du hall. Hébétés, ils grimpent, vont regarder, reviennent. Béru a déjà dégoupillé la tête chercheuse d’une autre boutanche. Il verse à boire avec cette générosité sans équivoque des gens auxquels elle ne coûte rien.
— Tu étais un habitué de la boîte ? demandé-je à Coucheta.
Il fait « non » avec sa belle tête d’aristo des faubourgs génois[3].
— T’es venu au pif, attiré par les cadavres, comme une mouche à merde, gars ?
Il ne répond pas. Je trinque à la ronde.
— Tu me racontes à moi, ou tu préfères te confesser à l’officier de police Bérurier, ici présent ?
Il porte encore des bleus et des sparadraps consécutifs à son premier « entretien » avec le Gros, aussi réagit-il vitos. Soumis, il déballe sa marchandise :
— Le boss a déniché l’adresse des Ritals convoqués par Al Kollyc dans le bureau du Ricain : Auberge du Pont Fleuri à Vréneuse. Il s’est rencardé sur l’endroit et il a appris qu’une vieille morue tenait la crèche depuis qu’elle avait dételé. Alors, il m’a demandé de venir aux nouvelles.
— Pourquoi s’intéresse-t-il aux deux Transalpins ?
— Bédame, ils se sont barrés comme des hotus du Grand Vertige au moment de la castagne, vous le savez bien. Alors, il aurait aimé leur causer. Il a juré de venger son pote, je vous l’annonce.
— Oui, il me l’a déjà dit…
Moi, il me donne une idée, Couchetapiane.
Je lui demande le fil de Césari-Césarini et compose le numéro du big taulier. C’est sa pomme en personne qui décroche.
— Vous avez pu vous reposer un peu, César ?
Il a l’oreille car il me remet aussitôt.
— Oh ! commissaire, du nouveau ?
— Des morts, mon pauvre vieux. Cette année démarre dans le funeste pour un tas de gens. Je suis en train de déguster un fabuleux Pouilly Fuissé avec vos deux scouts, à l’Auberge du Pont Fleuri.
— ????????????? rétorque Césari-Césarini, en silence.
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