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Encore un effort, Sana, mon fieu !

Maintenant, je découvre une infirme dans un fauteuil roulant, genre débile profond : petit corps tassé, grosse tête, langue à demi sortie, regard globuleux, inexpressif. Très bien, et puis ? J’entends jacter au-delà du paravent. On parle allemand, mais avec des inflexions moins gutturales que l’allemand d’Allemagne. Autrichien, non ? Ma toupie folle s’arrête de tourner et mes pensées se coordonnent. Je me dis brusquement : « Johann II ». C’était Strauss, Johann II. L’auteur des valses. Le Viennois. L’équipe Johann II, c’est une équipe autrichienne radinée en appoint pour compléter l’équipe italienne (Raphaël).

Donc, le coup de main s’opérera. Et à présent, nous sommes dans leur collimateur, impuissants.

Un nouveau cri de femme qu’on martyrise.

Quelqu’un ricane. Je perçois une effervescence, de l’autre côté du paravent. D’où elles se trouvent, la vieille dame et l’idiote assistent à la scène. L’idiote ouvre des lotos grands comme des ballons-sondes. La dame âgée, au contraire, ferme les siens.

Je voudrais voir aussi ; je tente de remuer, mais on m’a ligoté avec du fil de fer. Tiens, je découvre la chose à présent seulement. Entravé, garrotté, momifié. Les bras collés le long du corps.

L’obèse qui fume se lève et bâille. Il découvre la lucidité de mon regard.

— Oh ! fait-il. Fini déjà ?

Un temps. Les plaintes continuent. Il contourne le paravent et reste planté sur ses grosses guibolles écartées, une main dans sa poche, l’autre tenant son barreau de chaise.

Il se retourne vers moi et cligne de l’œil.

— Schön, me dit-il ; sehr schön !

Il brandit le pouce de sa main qui tient le havane. Des cendres embrasées tombent sur le tapis. La vieille dame ne peut pas s’empêcher de regarder les conséquences.

Le gros cul se renquille le cigare dans le trou de balle.

— Te vouloir regarder ? me baragouine-t-il.

Il déplace le paravent. J’ai, du coup, la perspective d’un grand salon vieillot. Ah ! l’effroyable vision ! Oh ! non, ce ne sont pas les meubles ni les tentures en satin écrémé qui me font réagir de la sorte !

Figure-toi qu’ils sont quatre types après ma chère et tendre Hélène.

Tu veux savoir ?

J’ose te raconter une pareille ignominie ?

Le narrateur, fût-il de classe, comme celui qui te cause, a le devoir de ne pas outrepasser les limites du tolérable. Il existe un seuil de décence à ne pas franchir, sinon l’on se ravale, et c’est déjà bien beau d’être avalé une première fois.

Alors je ne te dirai rien. Oui, je passerai sous silence le spectacle épouvantable qui agresse mes sens, mon cœur et mon esprit, d’un coup, en bloc, vlan !

J’aurai la force de me taire.

Ça y est : je me tais !

Tu vois ? Je me tais !

Ecoute comme je me tais bien, merde !

Mais c’est dur, tu sais, de garder pour moi une pareille infernale vision ! Que dis-je, c’est dur ! C’est inhumain. Pauvre chère adorable Hélène qui voulait se garder pour son toubib à la con !

Les soudards rassemblés n’ont aucune pitié pour elle. Ah ! cruelle flétrissure ! Ils la forcent monstrueusement. Certes, la combinaison est sophistiquée et a réclamé de l’imagination de la part des infâmes (de ménage) protagonistes. Mais quelle honte ! Quelle honte ! Un tel assaut ! Quadruple ! Non, n’insiste pas : je n’irai pas plus avant. Eux, les monstres, s’en chargent. Et déchargent !

J’en claque des dents avec les yeux. Mon cœur bredouille de compassion. Une indignation niagaresque me submerge. Mais ce sont donc des sadiques, dis ? Tous, non contents de la prendre, sodomiser, feller simultanément, ajouter encore à ce triple viol en lui brûlant le dos avec un cigare embrasé ! Ses cris sont étouffés et pour cause, le mec qui la bâillonne est chopiné façon bourrique ! Celui qui la marque au feu est une saloperie visqueuse, genre castrat, rose et gourmand, avec pas de cils ni de sourcils. Mais ne compte pas sur moi pour te décrire la scène. Sache que, dans les figures libres, ils en pratiquent un bout, les fumiers ! Et même trois bouts ! Et des bouts commaks, des vrais que tu pourrais battre le beurre avec ! Ah ! sacripants ! Ainsi, non seulement ils veulent s’emparer du Premier des Français (à gauche en sortant), mais en outre (de vin) ils tuent le temps en se livrant à des exactions inqualifiables.

Bien entendu, les brûlures la font se trémousser, cette adorable Hélène. Et c’est tout bénéfice pour les bandits occupés à l’obstruer de toutes parts. Tu te rends compte que, non seulement c’est chaud, mais qu’en plus ça remue ! Idéal, non ?

Celui qui assure son obstruction antérieure, arrive le premier au but écœurant qu’il s’est fixé. Il le gueule un grand coup, en dialecte germain. Mais ensuite, il veut se retirer de la combinaison diabolique, vu qu’il est dessous le tas de gens pour assurer la réalisation de la chose. Alors il se secoue. La pauvre inspectrice bascule. Son occupant postérieur, chassé, fulmine et lui file un coup de poing sur la nuque. Ce faisant, il porte atteinte gravement au fellateur (ne pas confondre avec fellaga) et doublement à Hélène qui s’étouffe jusqu’en deçà des amygdales (l’amygdale et la fourmi). Le héron au long cou emmanché d’un long bec (pour lors, n’est-ce pas ?) s’est fait scalper le Mohican. Il dégage, en hurlant, une rapière ébréchée et sanguinolente.

Bref, l’histoire finit mal. D’autant que le pyromane, dans cette algarade, a pris son mini-brasero à pleine main, se brûlant à cloques, le détestable individu ! Ces messieurs, dont un seul est comblé, s’en prennent sinistrement à Hélène et la criblent de horions. Celui qui empruntait la porte étroite (efforcez-vous d’entrer par la porte étroite. Luc, XIII) particulièrement vindicatif, tire un couteau de sa poche et lacère les seins de la pauvrette.

Je voudrais, à l’instar de Superman, faire éclater mes liens pour voler au secours de ma tendre consœur.

Ah ! que n’a-t-elle choisi d’être secrétaire de direction ou vendeuse aux Galeries Nous-Voilà, au lieu de faire policière ! Les filles idéalistes paient un jour ou l’autre un tribut à l’existence, tu remarqueras. Là, le prix est élevé.

Neutralisé, je ne puis que ronger tu sais quoi ? Mon frein à main !

Mon regard saturé d’horreurs dévie jusqu’à un canapé où le dernier des Ritals, que je reconnais parfaitement, est assis, un verre de vin à la main, contemplant tout cela d’un air neutre. La furia de ses acolytes autrichiens n’entame pas son self-control. Il est maussade, tendu, plutôt réprobateur. Rien n’est aussi captateur qu’un regard. Que des yeux s’attardent sur votre personne, et aussitôt les vôtres vont à leur rencontre. Il se tourne vers moi, puis se lève. Le gros ignominieux qui fumait le cigare s’étouffe de rire en voyant la manière dont la partouze a tourné court. Il se claque les cuisses et lance des quolibets à ses aminches.

L’Italien s’approche de ma pomme. Il enjambe Béru qui gît, face contre moquette, toujours envapé, semble-t-il.

Le Rital s’accroupit sur ses talons et me dévisage avec insistance. Il a une tête qui, progressivement, inspire la terreur. Ses yeux sont extrêmement écartés, comme ceux de certains Asiatiques. Le regard sombre ressemble à celui d’un oiseau de proie. J’ai rarement vu dans des yeux une lueur aussi implacable. Sa bouche aux lèvres minces est très rouge. Il porte une cicatrice au cou, plutôt laide. Coup de surin ou souvenir d’anthrax mal opéré ? Son costume rayé commence à se fatiguer, sa limouille est cradingue au col, sa cravate fait la ficelle, ses tatanes sont crottées comme des tartisses de parkings autoroutiers.

— Tu peux parler ? me demande l’homme.

Son accent chantant me ravirait s’il était serveur dans un restaurant italien ; mais il me laisse insensible, compte tenu des circonstances.