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— Je ne sais pas, réponds-je.

J’entends ma voix. Elle est faible, bizarre, mais distincte.

— Ben oui, tu peux, assure le tueur.

— C’est vrai : je peux, admets-je.

— Ta copine a parlé, j’ai une méthode sûre…

— Je n’en doute pas.

— Comment êtes-vous venus dans cette maison, ton gars et toi ?

Il tient toujours son verre de vin à la main. Malgré sa position inconfortable, le niveau du breuvage ne frémit pas.

— Je suis venu pour admirer votre esprit d’organisation.

— Tu sais tout ?

— Pour le président ? Oui, tout.

— Comment l’as-tu appris ?

— Dans votre équipe, des gars ont la langue trop longue.

Il n’a pas une réaction. Je suis contraint de fuir une seconde son regard, tellement celui-ci m’incommode. Je prends mal au cœur à subir sa fixité.

— Qui ?

— Demandez à mes chefs, moi je ne suis qu’un exécutant bête et discipliné. Surtout bête : à preuve je suis ici plus ficelé qu’une momie.

— Tu mens, c’est toi le patron, la fille me l’a dit.

— Un excès d’admiration l’a incitée au lyrisme.

— Arrête !

— Pardon ?

— T’écarte pas du droit fil, flic, sinon je fais amener la gonzesse au-dessus de toi et je l’éventre sur ta gueule. Ce sera mon seul avertissement. Compris ?

La vache ! J’en ai le rectum comme un glaçon. Mais tu sais qu’il me fout les foies, ce vilain !

Si j’ergote, il va faire ce qu’il promet. Non, bon, jouons franc jeu.

— J’ai eu une converse avec le Noir, le grutier, et j’ai visité le coffre de la Citroën noire.

— Le nègre ne sait rien.

— Si : il sait qu’il doit manipuler une grue cette nuit.

— Il y a des chantiers plein Paris.

— D’accord, seulement nous, nous savons, depuis le début, par un message de la C.I.A. qu’Al Kollyc est venu en France pour organiser un turbin contre notre président.

J’ajoute :

— La note est parvenue directement aux services de sécurité de l’Elysée, et c’est à cause d’elle que je suis sur l’affaire.

Ce type est tellement branché, tellement aigu qu’il sent tout : non seulement quand on le chambre, mais également quand on lui dit la vérité.

Je poursuis :

— Un grutier clandestin… Des travaux rue de l’Elysée. C’était suffisant pour que je vienne m’informer.

— Tu as découvert quoi ?

— Les bonbonnes dans la cabane. Votre plateforme sur le toit. Je dois convenir que le coup est super.

— Comment crois-tu qu’il va se réaliser ?

— Eh bien… Attendez. Les bonbonnes, je le suppose, doivent contenir un produit chargé d’épaissir le brouillard, de façon à ce que le travail de la grue soit absolument invisible du sol ?

— Ensuite ?

— Un gars ou deux décolleront du toit pour être gentiment déposés sur le balcon du président. Auparavant, on aura déroulé le tuyau se trouvant sur la plate-forme et qui est relié à une bouteille. Il traversera la rue avec les mecs chargés du coup de main. Parvenus devant la royale fenêtre, vous percerez un trou dans le bois du montant, à l’aide d’une chignole à main, afin d’enquiller l’extrémité du tuyau dans la chambre, on dévissera le bouchon de la bouteille et le gaz soporifique qu’elle contient ira anesthésier le Premier des Français. Les kidnappeurs attendront qu’il ait produit son effet, puis ils fractureront la fenêtre et entreront dans la piaule pour s’emparer du président endormi. Vous le flanquerez dans le hamac qui attend avec le restant du matériel, et la grue pivotera pour le déposer sur cet immeuble. Ensuite, si l’alerte n’a pas été donnée, vous l’évacuerez vers un endroit que j’ignore et où d’autres gars le prendront en charge. Notons qu’au cas où l’alarme serait donnée, avec un otage pareil, vous ne risqueriez pas grand-chose. Comme monnaie d’échange, on ne peut faire mieux !

Je me tais. Il médite un brin. Puis me toque sur le front, comme on frappe à une porte.

— Je ne vous dis pas d’entrer, c’est complet ! fais-je.

Il a un sourire pas catholique, bien qu’il soit italien.

— Il y en a là-dedans ! assure le Rital.

Bon, ma jugeote l’impressionne. S’agit maintenant d’assurer l’avenir immédiat du président.

— Malheureusement, le coup ne sera pas réalisable, dis-je.

— Crois-tu ?

— Sûr. J’ai prévenu l’Elysée qu’il se tramait du vilain et le président ne restera pas coucher dans son usine.

Mon nain terre loque ut heure, fidèle à son impassibilité, reste de marbre (ce qui est un cas rare, j’ajoute puis toujours quand on parle de marbre). Une fois de plus, il cherche à démêler le bluff de la réalité.

— Vous ne me croyez pas ? insisté-je.

Il demeure désert comme la cervelle d’un philosophe flamand.

— Je peux vous le prouver : téléphonez au secrétaire privé du président, j’ai le numéro sur moi, et faites état de notre conversation.

Le tueur murmure :

— Maligno !

Et tout à coup :

— Donne le numéro !

Il me serait difficile de lui donner quoi que ce soit dans l’appareil où je me trouve ! Alors c’est lui qui me fouille et engourdit mon petit carnet miracle. Il va jusqu’à Hélène, laquelle est prostrée sur un canapé. Il l’empoigne par les cheveux, l’obligeant à se mettre debout, la traînant, telle une esclave, il quitte la pièce avec elle.

Cela dit, je commence à penser que je vais encore poser un lapin à ma Félicie et à ma bouteille de Château d’Yquem. Tu parles d’un 1er janvier ! Tu en as déjà vécu de semblables, toi, Burnecreuse ? Si oui, écris-moi : on va fonder un club !

Quand le Rital revient, tirant toujours la pauvre petite môme par les crins, il me file un clin d’œil complice. Puis, ayant étendu Hélène d’une manchette impitoyable, il s’avance.

Il tapote son menton de mon carnet et, arrivé devant moi, le jette à terre.

— Merci du conseil, me dit-il. C’était une riche idée. La gosse a téléphoné de ta part pour dire que tout était O.K., on va pouvoir agir dans le velours.

— Vous avez trouvé un autre grutier ?

— Il arrive d’Italie en fin de journée, par l’avion de Milano.

Moi, tu l’auras remarqué depuis qu’on se fréquente, j’ai beau macérer dans des fosses à merde terrific, ma curiosité professionnelle continue de remuer la queue. Quand une crapule accepte d’engager la conversation, je pilonne jusqu’à ce qu’elle déclare forfait.

— Un grutier, ça se remplace, mais un chef ?

— Hein ?

— Ben, Al Kollyc est naze, non ? Vous avez même dû recevoir des brins de cervelle sur votre cravate ?

Il hausse les épaules.

— Ne t’occupe pas de ça, poulet !

— Il y avait un vice-président, comme aux States ?

Il me file un coup d’escarpin dans la gogne. Salaud ! Ma mâchoire en est toute dolente.

— Votre conversation est limitée, lui dis-je.

— C’est ma façon de répondre quand je n’ai rien à dire, rétorque le vilain.

— Bon, pour changer de chapitre, j’ai vu, à l’auberge, que vous faisiez le ménage à fond avant de calter : votre pote, la mère Rolande, ça décrasse ! Pourquoi sommes-nous toujours en vie, mes collègues et moi ?

Il pouffe.

— Parce que vous pouvez servir. On risque d’avoir besoin de vous d’ici la fin de l’opération. Jusqu’ici nous ne disposions que de la locataire de cet appartement avec sa crétine. Ça me fait penser qu’elles nous sont désormais inutiles.