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Il tire un feu de sa ceinture, y visse un silencieux.

— Merde, faites pas le con ! hurlé-je. Y a eu assez de gâchis comme ça ! A quoi ça vous sert de buter des innocentes ?

Au lieu de me répondre, il va au fauteuil de la demeurée et la praline en plein front. L’impact est si violent que la gosse bascule de son pauvre siège. La dame aux cheveux bleutés se met à hurler. Le tueur la fait taire d’une balle dans la bouche.

Après quoi, il dévisse son silencieux, comme un menuisier ôterait la mèche d’une perceuse, son travail terminé.

Il lance aux autres, en italien :

— Emportez-moi ces deux charognes à la cuisine !

L’un des Autrichiens comprend la langue du Dante puisqu’il traduit à ses potes. Les violeurs d’Hélène s’emparent des femmes mortes et les évacuent.

— Vous ne méritez pas de vivre ! crié-je au Rital.

Il hoche la tête.

— Mais si.

— Et vous ne méritez pas non plus d’avoir eu une mère !

Il marche droit à moi et se met à me pisser dessus.

— Encore un mot sur ma mère et je te liquide tout de suite !

Son jet chaud me cingle le visage. Je ferme la bouche, mes yeux aussi hermétiquement qu’il m’est possible.

CHAPITRE 10

Le Canard Donald Reagan…

Enchaîné.

Le Canard Enchaîné Donald !

Reagan qui ricane…

Mon cervelet se cogne au verre de la réalité tel un papillon contre celui d’une lampe[4]. Que m’est-il encore arrivé ?

J’essaie de…

Ah ! oui, le vilain tueur à sang froid. Il a piqué une crise. A la suite de quoi ? Que lui ai-je dit lorsqu’il m’a eu infligé cette humiliation insigne, la presque pire de toutes si tu exceptes l’empétardage inconsenti. Me souviens plus de l’insulte qui m’est venue aux lèvres. Mais c’est parti. Comme est parti son pied en direction de ma tempe : vlan ! Tout s’est dispersé dans ma pauvre tête. Comme si je venais de recevoir un coup de téléphone en bronze.

Et le noir.

Le noir, si noir… L’oubli… Le néant… Avec, pourtant, me semble-t-il, des images plus ou moins lointaines, plus ou moins floues. Scabreuses sur les bords…

Et là, Reagan. Pourquoi Reagan ? Je vais t’espliquer. Sur une table basse, non loin de mon visage, se trouve une pile de journaux et revues. L’une de ces dernières a chu de la pile. Sa couvrante représente Donald-le-canard Reagan. Pour ceux qui dans quelque temps ne se rappelleront plus Reagan, je précise qu’il s’agissait du Président des Etats-Unis au visage entièrement plastifié, pour qui des scientifiques avaient fabriqué un poumon d’acier en forme de complet bleu, aux plis de pantalon impeccables puisqu’il était en zinc. Cet homme exceptionnel qui jouait les cow-boys avant de jouer les présidents représentait un sommet de la technique. Il pouvait dire Hello ! I am the best sans avoir besoin d’ouvrir la bouche. Grâce à son poumon entièrement calorifugé, il sortait sans pardessus par les plus grands froids. Il n’avait nul besoin de voitures blindées car il était immunisé contre l’impact des balles, ce qui lui avait valu l’impertinent surnom de « Peau de balle et balle-écrin ». Il aimait copier ses façons sur le président français de l’époque et envoyait volontiers des troupes d’élite dans des îlots perdus sous prétexte d’y implanter des bureaux de l’American Express. Dans les manifestations publiques, on le sortait toujours en compagnie d’une dame conservée dans la neige carbonique, à l’aspect rassurant, dont personne ne doutait qu’elle sache confectionner d’excellentes apple-pies et dont la fonction consistait à embrasser son époux à la fin de ses discours, lui flanquant par la même occasion cinq cents grammes de poudre de riz sur la gueule. Mais comme, rappelons-le, celle-ci était plastifiée, on lui rendait l’éclat du neuf d’un coup de nénette.

Je demande pardon de ces précisions auprès des impatients, mais je suis pour la conservation de l’Histoire. La particularité du Président Reagan était d’être déjà lui-même en conserve au moment de la faire ; contrairement à notre président à nous qui ne l’était pas (conservé).

Mais revenons à nos sadiques. Il n’en reste que deux : le cruel Italien aux yeux de mort, et le petit Autrichien qui s’activait sous la grappe humaine dont Hélène était le centre de communication. Un troisième homme, inconnu de moi, a rejoint le commando. Un grand diable tout frisé, tout émacié, habillé d’un pantalon de velours noir et d’une blouse de cuir râpé.

Les trois discutent dans le fond de la pièce. C’est le Rital au complet rayé qui, visiblement, donne les directives. Je m’efforce de prendre des nouvelles de mes amis. Hélène a été ligotée, comme nous, et repose sur le canapé. Le Gros se trouve à deux mètres de moi, sur le plancher, mais il a retrouvé ses esprits. Ses gros yeux de chien ivrogne fidèle ne me quittent pas. Comprenant que je suis de retour, il sourit. Ce sourire, c’est du pain chaud avec du miel par-dessus, ou du Boursin à l’ail. Il me chauffe le corps, le cœur, l’espoir. D’un battement de cils, je questionne Messire Gradube. On se comprend si bien, les deux ! je lui demande si ses liens sont serrés à bloc, ou bien s’ils lui permettent d’espérer… Sa réponse est négative, catégorique. Non, tout comme bibi, il ne peut broncher. Des heures viennent de s’écouler et je suis engourdi, solidifié, glacé jusqu’au cœur de la moelle pépinière.

Les trois comparses se séparent. Le petit Autrichien boit un coup de gnole ou de je ne sais quoi à même un flacon. Le grand frisé regarde des bibelots d’ivoire disposés dans une vitrine et empoche l’un d’eux. Souvenir, souvenir…

Quant au tueur, plus méthodique qu’un ordinateur, il passe ses prisonniers en revue. Il commence par Hélène, continue par le Gros, finit par moi.

Il déclare :

— C’est lui qu’il faut prendre. Le Gros est trop gros, la fille est trop faible.

Ses compagnons ne répondent rien. Ils s’en foutent ; ils obéissent…

Du temps passe, tant bien que mal ; plutôt mal en ce qui me concerne. J’ai tellement de fourmis par les membres que je me sens devenir mille-pattes.

Un carillon, quelque part dans la pièce, égrène (comme écrirait Ponson du Sérail) le coup de minuit et demi ou celui d’une heure. Quelques secondes plus tard, il bisse. Donc il est une heure.

L’Italien va à la fenêtre et examine la rue.

— Bravo à la météo, soliloque-t-il. Pour du brouillard, c’est du brouillard !

Puis, au bout d’un silence :

— Vous devriez descendre, Tortollani, et attendre le signal sous le porche. Prenez votre talkie-walkie ; s’il se passe quoi que ce soit, prévenez-moi, je resterai en liaison constante. Concernant les bonbonnes, il vous suffit de les déboucher et de laisser la porte de la cabane ouverte, le gaz s’élèvera sans problème et s’opacifiera au contact de l’air. Ensuite vous grimperez dans la cabine de la grue et vous attendrez mes ordres.

Le nouveau venu dit un truc en italien, ce doit être de l’argot milanais car je n’y entrave que pouic.

Il s’en va après avoir accroché un talkie à son cou et remonté la fermeture de son blouson.

Quand il est parti, l’Italien va fouiller dans une sacoche de cuir accrochée au dossier d’une chaise. Il y prend deux grands sachets qu’il éventre. Les sachets contiennent des bandes de sparadrap de dix centimètres sur cinq. Sans vergogne, il me les superpose sur le clapoir. Heureusement que je ne suis pas enrhumé, sinon ce serait l’asphyxie !

— Je te fais un cadeau royal, plaisante-t-il ; tu vas assister à l’opération.

Mon regard expressif doit marquer une intense surprise puisqu’il ajoute :

— Il faut qu’on t’ait à portée de tir le plus possible pour le cas où il se produirait un pépin. Ta vie répondra de la nôtre.

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4

La métaphore, sémaphore (c’est ma force, pardon !).