Et faut bien t’en revenir à l’escadrin de la cave. Tout en bas, se présente un couloir que nous suivons de bout en bout. Le fond en est muré, mais le Rital flanque quelques coups de pied dans les briques et celles-ci s’écroulent, démasquant une ouverture obscure pleine de sales exhalaisons.
Compris : les égouts.
Mes comploteurs n’innovent pas, mais des recettes éprouvées, lorsqu’elles sont bien cuisinées, valent mieux que des initiatives bâclées.
Une échelle roide, en fer rouillé. L’Italien allume une lampe torche à filaments maugréateurs inversés, ce qui donne une clarté éblouissante. Il descend le first. Moi le second, soutenant le président de toutes mes forces. L’Autrichien ferme la marche. J’ai les jambes qui tremblent. Les miasmes sont renversants. On se met à patauger dans la fange et la sanie. On en a jusqu’aux genoux.
— Pressons ! fait le Rital.
Et à moi :
— N’oublie pas un instant que si notre affaire foire, il y aura deux postes vacants en France : l’un de commissaire, l’autre de président de la République.
Non, non, qu’il soit tranquille. Encore une fois, je n’oublie pas.
D’ailleurs, je n’oublie jamais rien !
CHAPITRE 12
Longue marche. Il me faudrait une musique allègre pour me stimuler. Tiens, Le Pont de la rivière Kwaï, je le prends. La musique, ça assiste bien les hommes quand ils vont au casse-pipe.
On patouille dans la merde parisienne : la plus belle du monde ! Surtout dans le quartier Champs-Elysées où probablement nous vadrouillons. M’est avis que ça doit s’agiter en surface. On aura découvert et délivré Béru. Il aura parlé. Le rapt du président ne fait qu’un cri. L’opération du Rital est vraiment sans espoir, sauf, naturellement, s’il use du président comme mornifle d’échange.
Au bout d’une plombe au moins, on stoppe devant un collecteur plus petit qui se jette dans le nôtre comme la Saône dans le Rhône à la Mulatière, ce port fluvial où tant de gens vont passer leurs vacances d’été. On biche cet embranchement. Une centaine de mètres encore puis l’Italien stoppe devant une nouvelle échelle scellée dans la paroi. Rappelle-toi qu’il a dû préparer son histoire consciencieusement. Ça doit faire lulure qu’il était sur le coup, l’apôtre.
On hisse le président.
Une nouvelle cave. Le chef s’absente un moment et revient escorté de deux infirmiers qui ne sont autres que les deux Autrichiens manquant à la pelle. Ceux-ci portent une civière. On défait le président. On l’allonge sur le brancard, l’enveloppe dans une berlue, lui cloque un masque à oxygène sur le visage, histoire qu’on le méconnaisse. Tant de glandeurs se mettent un masque à sa ressemblance quand ils veulent faire les cons !
Les « infirmiers » emportent le « malade ».
« Bien, me dis-je. Leur coup se développe admirablement. Désormais, mon tagoniste n’a plus besoin de moi. C’est ici que nous allons nous séparer. Mais auparavant, il va me distribuer quelques pralines au poivre de son magasin de farces et attrapes. »
Nos regards se rencontrent. Il lit mes pensées.
— Non, non, me fait-il, pas encore ! Besoin de vous jusqu’au bout, mon vieux.
Tiens, voilà qu’il me vouvoie. Parce qu’il se sent plus détendu ?
Et de m’expliquer :
— On « l »’embarque en ambulance. Il se peut qu’on rencontre des barrages. Ce sera à vous de nous les faire franchir.
— Mais si on est au courant de mon propre enlèvement ?
— Vous tâcherez d’être convaincant, vous êtes notre seule chance en la matière, et celle du président. Suivez-moi. On va changer de fringues…
Un quart d’heure après, nous quittons l’immeuble. Tous les mecs du commando sont vêtus en infirmiers. Moi seul ai eu droit à un costar civil, beaucoup trop grand, à vrai dire, mais la nuit, les poulets, tout comme les chats, sont gris. Je ne reconnais pas tout de suite la voie où nous déboulons. Nous prenons place dans une grande ambulance à gyrophare, bardée de croix bleues et équipée d’une sirène qui t’escagasse les trompes. Je suis coincé à l’avant, entre le chauffeur et le Rital. Au bout de quelques centaines de mètres, je pige que nous déboulons rue de Ponthieu (Ponthieu de Ponthieu !).
Peu après, on enquille les Champs-Elysées. Je m’attendais à y trouver de la volaille survoltée, au lieu de ça, tout est peinard. On remonte jusqu’à l’Etoile (belle étoile du soir, messagère lointaine…) pour continuer ensuite par la Grande-Armée (ce qui me permet de te rappeler que la comtesse de la Trémouille, malgré sa grande piété, a usé plus de paires de couilles que l’Armée française de souliers). On va toute sirène glapissante jusqu’à la Défense. On oblique alors à gauche. L’ambulance fonce sans rencontrer d’obstacles. Mon effarement va croissant au beurre : ainsi donc, l’on n’a pas découvert le rapt du président ! Se peut-ce ? Béru n’a rien dit ?
Ma curiosité ne dure pas. Le Rital demande au conducteur :
— Tu as eu le temps d’achever le gros type et la fille ?
— Ja, répond l’interpellé, ce qui en autrichien comme en allemand signifie oui.
En moi c’est l’éboulade. Morte, Hélène ? Mort, Béru ? Pourquoi une fantastique fatalité me réduit-elle soudain ? Bon, ils sont morts. Et ce sera mon tour tout à l’heure. Fallait bien que ça arrive. Un peu plus tôt, un peu plus tard…
— Ç’a été moins une, continue le conducteur pile à cet instant, Kurt s’est planté sur le trottoir. Je n’avais pas d’arme sur moi, par mesure de précaution, avant l’opération camion je m’étais déchargé.
— Tu les as finis comment ?
— J’ai été footballeur !
Il éclate de rire… Je l’imagine shootant dans la tête de mes chers compagnons, leur faisant éclater la box crânienne, gicler la cervelle…
On s’arrache à la banlieue. Puteaux…
Qu’après quoi, le gonzier coupe la sirène et le gyrophare, baisse ses loupiotes. Il emprunte un chemin-rue qui longe des pavillons tristounets.
Ça cahote. On continue à allure modérée. Et alors on atteint une route secondaire qu’on prend sur un petit kilomètre. Je distingue, à travers la brumasse, des bâtiments aux toits en dents de scie : une usine. A mesure qu’on s’en approche, je m’aperçois que ses vitres sont brisées et qu’elle est à l’abandon. C’est néanmoins notre point de destination. L’ambulancier stoppe devant un portail rouillé et file un petit pet avec son klaxon. Les deux vantaux s’ouvrent (un vantail d’abord, puis un autre, ce qui fait bien des vantaux, pas la peine de me regarder comme ça !).
Nous débouchons (de carafe) dans une vaste cour d’au moins cent mètres sur cent, au beau milieu de laquelle stationne tu ne devineras jamais quoi. Un hélicoptère ! Quelques rares lumières éclairent mal un groupe d’hommes… Ils se tournent vers nous autres arrivants. Comme le chauffeur s’est mis en lanternes, je ne distingue pas leurs frimes. L’auto à croix bleues stoppe à quelques mètres de l’hélico :