Выбрать главу

— Cette fois, me dit le Rital, je pense que je n’ai plus besoin de vous.

— Et alors ?

Il a un ricanement aimable.

— Ben, concluez…

— Dommage de supprimer l’unique témoin d’un tel exploit. Le coup de main du siècle ! J’avais l’occasion d’entrer dans l’Histoire.

— Qu’y feriez-vous ? Et puis vous n’êtes pas l’unique témoin : il y a ces messieurs et moi.

— Ça n’aura pas la même valeur d’objectivité.

Il sort de sa tire et m’ordonne de le suivre.

— J’arrive, lance-t-il au groupe.

Et à moi :

— Mettons-nous un peu à l’écart pour dégager la piste.

— Qu’allez-vous faire du président ?

— Ah ! ça, mon vieux, impossible de vous répondre. L’horloger sait-il ce que va devenir la montre qu’il fabrique ?

Nous allons à tout petits pas : moi parce que je ne suis pas pressé, lui par mesure de sécurité. Méfiant comme un loup, il reste à distance. Pas mèche de l’avoir par une ruade rapide. Que puis-je tenter ? T’as un conseil à me donner ? Un sprint ? Avec la pétoire qu’il a en main, c’est inutile. On ne la fait pas à un type de sa trempe. S’il a été choisi pour une action pareille, c’est qu’il a des références, non ? Il travaille dans le téméraire calme. Le sans bavures. C’est M. Pense-à-tout.

Désinvolte, je glisse mes mains dans les poches flottantes du trop grand pantalon. Crever en étant fringué en gugus, merde alors ! Mais ! Quoi ! Oh ! non, je rêve ! C’est pas vrai ! Tu sais ce que je sens, sous mes doigts ? Une boîte d’allumettes. Bon, m’objecteras-tu, avec ta cordiale ignardise coutumière, et après ?

Après ?

Ecoute, Toto, cesse de ricaner. Il connaît plein de petits trucs marrants, l’Antonio. Entre z’autres l’art et la manière d’enflammer toute une boîte d’alloufs à la fois. Petit jeu de société. Ça, c’est Gérard de Montauban qui me l’a appris, un jour qu’on éclusait un gorgeon avec Dédé de Toulouse.

Ça se pratique avec le pouce principalement. Bien entendu, les autres doigts y mettent aussi du leur. T’entrouvres la boîte. Tu dégages une allumette ; et puis tu… Oh ! classe, j’ai pas le temps de t’expliquer. Sache que je sors, mine de rien, la boîte de la glaude.

Je prépare mon petit bigntz. Tout ça en trois secondes. Ma dernière, mon ultime et bien infime chance.

D’un geste de l’avant-bras que le Rital ne peut prévoir, je virgule la boîte dans sa direction. Elle entre admirablement dans mon jeu, la chérie. Merci ! Oh ! cent millions de fois à la vaillante Régie des tabacs qui nous produit des alloufs de cette qualité. Cela fait comme une minuscule fusée éclairante qui éclaterait à vingt centimètres du pif de mon bourreau. La surprise le fait se cabrer. La force du désespoir me fait agir. Dedieu, ce mastar pain brioché qu’il prend en pleine poire. J’entends craquer des cartilages. Il titube. Je me jette sur lui, biche son bras armé. Un coup sur ma hanche, vraccc ! Cassé ! Bien fait, salaud ! La rogne meurtrière me soulève. En trois centièmes de seconde je me suis accaparé le feu. J’appuie le canon sur son bide.

— Tiens, pour la petite demeurée, fumier ! Poum ! ponctue le flingue. Tiens, pour sa grand-mère ! Re-poum ! répète l’arme docile. Tiens, pour mon pote ! Tiens, pour ma collègue ! Tiens, pour la vieille Rolande !

Chaque fois il se chope une bastos dans le baquet. Et c’est du beau calibre, crois-m’en.

Je me jette à plat ventre contre lui. J’ai sa gueule contre la mienne. Il respire encore. Il devient sadique, l’Antonio.

— Ça va, la santé, amico ?

Non, non, ça ne va pas. Il émet quelques bouts de râles et se fout aux abonnés absents.

Seulement dis : ça réagit ferme dans le groupe. Ils ont mal distingué, à cause de la brume et de la pénombre. Ils ne savent pas très bien où on en est.

Le faisceau d’une loupiote m’inonde.

— Jette ton feu et lève-toi ! crie une voix en bon français. Vite, sinon on abat le président !

J’hésite. Vont-ils abattre le président ? Ont-ils manigancé tout cela pour en arriver là ? Cet hélicoptère indique clairement qu’on veut l’emporter dans un lieu secret et qu’il va servir à bien d’autres transactions qu’à la neutralisation d’un poulet.

En guise de réponse, je tire sur le groupe.

Un gueulement m’indique qu’il ne s’agit pas d’une balle perdue.

— Prenez la mitraillette avec silencieux dans l’appareil ! dit une voix.

Compris : ils vont me mitrailler, mais sans trop vacarmer. Le Rital est mon unique rempart, bien fragile. Combien ai-je lâché de pruneaux dans le bide de cézigue ? Cinq ? Plus un à l’instant. Je suis un petit dépensier. Si ça se trouve, mon magasin est déjà vide. Tant pis. J’aurai tout de même risqué l’impossible. J’attends, recroquevillé au maxi, blotti contre l’homme mort, regrettant qu’il n’ait pas l’embonpoint de Carlos. J’entends discutailler les mecs. L’un d’eux gémit. Il dit, en allemand (tiens, c’est donc un des Autrichiens) qu’il faut le soigner tout de suite, pas le laisser se saigner ainsi… Pauvre homme.

J’attends la salve. Et elle vient. Un feu « nourri » comme on disait dans les récits de guerre (14–18). Ça roule, ça roule, ça balaie. Mais pas dans ma direction. J’entends gueuler. Et ça continue d’arroser, de nettoyer, rrra… rrra… rrra ! La curiosité me perdra peut-être, mais je veux en avoir la cornette (pardon, le cœur net). Alors je soulève ma tête d’aristocrate de la pensée.

Ce que je vois me fout droit. Ils sont quatre mecs, habillés de sombre, Borsalino rabattu sur le front, qui arrosent le groupe de l’hélico. Et les gars du commando, pris par surprise, jonchent. Qu’à peine si un ou deux remuent encore faiblement. Ils sont ajustés de première par un nettoyeur de tranchée.

La cour immense est tout ennuagée de mort. Elle pue la poudre et le sang. J’hésite. Vais-je avoir droit, moi aussi, à ma ration de plomb brûlant ?

— Vous pouvez venir, commissaire ! lance une voix qu’il me semble reconnaître.

Je me relève et je m’avance, les mains nues.

Décor hallucinant, mon ami. Pour tourner ça, faudrait Coppola (au lait et noisettes). Misère des hommes, cette hécatombe. Ces infirmiers bidon, rouges de sang, pêle-mêle. Ce mec vêtu d’une combinaison verte (le pilote de l’hélicoptère), gagé-je ?

Et ce gus brun, là, avec un pardingue en poil de chameau… Mais ! On dirait… Pas de doute, c’est lui ! C’est tout à fait et très extrêmement lui !

Les quatre mitrailleurs se sont rapprochés. Tu les materais, dans le brouillard, à la faible lumière sourdant de l’ambulance ouverte ! Pardessus noir, gants et badas idem. Visages blêmes.

Il y a là César Césari-Césarini, Couchetapiane son secrétaire (de plus en plus particulier), plus deux julots qui me restent inconnus.

— On est tombés juste, pour vous et pour le président, non ? fait le patron du Grand Vertige avec satisfaction.

— Impossible de prétendre le contraire. Comment se fait-ce ? je réponds en me retenant de claquer des chailles.

— Grâce à vous, somme toute, qui m’avez mis la puce à l’oreille, répond mon sauveur.

Il me montre le gazier au lardeuss en poil de camel, lequel n’est autre que Jean Bambois, son factotum (de Savoie).

— Un vilain déserteur, dit-il. Je suis bien content de l’avoir aligné de ma main. Bien entendu, compte tenu des circonstances, commissaire, j’espère que cette petite sauterie sera portée aux pertes et profits par la justice, non ?