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J’avais déjà repéré l’intéressé, un bonhomme déjà vieux, lent et compassé, qui faisait penser à un bedeau pour grande église bourgeoise. Alerté par le chef de réception, il vint à moi, majestueux malgré les tragiques circonstances, avec la démarche d’un chef d’orchestre retournant saluer.

Histoire de l’impressionner, je lui montras ma carte, mais il n’y fit pas davantage attention que s’il s’était agi du couvercle d’un pot de yogourt traînant sur le trottoir entre deux étrons canins.

— Qui a fait la table de M. Césari-Césarini ? je lui demandis.

Une lueur flétrisseuse passa dans son regard de vieux con blanchi sous l’habit.

— Un menuisier, je suppose, me réponda-t-il.

Non, mais tu te rends compte ? En un pareil moment, se payer ma frime aussi bassement ?

Ce fut plus fort que moi. Je glissai quatre doigts de main droite entre son col amidonné et ses fanons fanés et tirai de toute mon énergie. Le nœud de soie blanc, le plastron gaufré, et cinquante centimètres carrés de chemise me restèrent dans la pogne. N’en ayant pas l’utilisation, je fourrai le tout dans la poche intérieure du chef loufiat.

Mon regard implacable, noir de rage, se planta dans sa face de méduse avariée.

— Tu continues sur ce ton et tu termines la noye en cabane, sans dentier et probablement aussi sans gencives, tu sais que je ne te mens pas, grosse gonfle, dis-moi que tu le sais avant que je t’envoie mon poing dans le portrait.

Il eut un piètre mouvement approbateur.

— Maintenant, réponds correctement à la question que je t’ai posée !

— Eh bien, c’est… c’est le patron qui a fait la table.

— Césari-Césarini ?

— Oui.

— Sous quelle forme ? Des petits cartons préalables ?

— Non, il a placé son monde comme ça, au dernier moment.

A cet instant je perçus un bruit d’échauffourée en provenance de l’entrée. Je sautai de mon perchoir pour courir dans cette direction. Un coup de feu claqua ; je me pressis davantage. Je trouvai alors mon petit Lurette tout pâle, la manche de son veston fendue sur quarante centimètres au moins. Son bras saignait. Lui tenait encore son feu à la main, tout chaud, tout fumant.

— C’est les deux types en complet rayé, Patron, me dit-il, ils ont dû arriver en rampant. Ils se sont brusquement jetés sur moi, l’un avec un couteau. Il a essayé de me le planter dans le baquet, j’ai juste eu le temps d’esquiver, pas complètement toutefois. Je crois l’avoir atteint, il a poussé un cri et a marqué un temps d’arrêt avant de sortir.

— Je reviens, mon lapin.

Et je couris à perdre ma laine jusqu’à la rue. Des bagnoles passaient, en folie ; leurs conducteurs se jouaient mutuellement « ta tagada gada tsoin tsoin » au klaxon prohibé, pour marquer l’ivresse de cette nouvelle année qui allait leur apporter un plein chargement de merde en tout genre, ces nœuds : accident, maladie, chômage, cocufiage, compte à découvert, rappel d’impôts, voisins grincheux et j’en passe, t’auras qu’à remplir les blancs. Mais enfin un chiffre venant de changer au calendoche, tous les espoirs leur étaient permis : fortune, santé, troussées géantes sous les palétuviers roses, promotions en tout genre, Légion d’honneur, honneurs par légion, présidences de ceci, cela. Ils s’enivraient d’espoir.

Je me dis que certains ne finiraient même pas la nuit, comme Al Kollyc, par exemple.

Mais les hommes, tu peux toujours courir pour les faire croire qu’ils baignent dans la gadoue : le cancer du fumeur, bobonne qui décarre avec un fringant julot, la bagnole sous un camion, fifils qui se came, fifille qui pompe tous azimuts, c’est pour les autres, les paumés malchanceux. Eux, ce qui les guette, c’est la gloire pur fruit, pur sucre, sans édulcorant ni colorant d’aucune sorte. Ils pataugent dans les apothéoses probables, ruissellent d’honneurs en préparation. Les biftons gagnants de la Loterie, irrésistiblement ils iront les acheter mañana, pas mèche de faire autrement. Ils voudraient passer outre que la chance les leur fourrerait d’autor dans les vagues. La veine, quand elle t’a à la chouette, pas la peine de feinter : elle te chope sans vergogne. Ils braillaient par les portières ouvertes comme s’ils en étaient les auteurs, de ce 1er janvier ; comme s’ils l’avaient fabriqué à la main, kif kif le facteur Cheval a bâti son édifice à la con. Le lendemain, personne n’y penserait plus. Le 2 janvier, c’est le Poulidor de l’année.

Enfin quoi, faut les laisser à leur innocence. Le jour où ils morflent en pleine poire, ils sont à la hauteur, dans l’ensemble. Ils assument pas mal, tout compte fait. La loi de soumission qui joue les aide. Ils prient le Bon Dieu et s’arrangent du reste. Exister, c’est pas tellement simple ; chacun se comporte comme il peut. Chacun s’efforce de devenir humble quand y a vraiment plus moyen de faire autrement.

Et je pensais plus ou moins ces lieux communs en galopant comme un qu’a des ratés. Les deux vilains en gris venaient de claquer la lourde d’une chignole et se taillaient déjà en trombe. L’espace d’une chiquenaude et j’enregistra une chiée de faits. Primo : la voiture est une Citroën noire immatriculée à Paris, son premier et son dernier chiffre sont 1 et 8 (méthode santantoniaise) ; deuxio le blessé est très blessé car il n’arrive pas à rentrer ses cannes dans la tire ; troisio, inutile de vouloir s’interposer, le conducteur est en transe et passerait sur un rang d’école maternelle sans hésiter ; quatrio, ma propre pompe est garée à deux rues d’ici, alors le temps de la récupérer et mes malfrats seront déjà à l’autre bout de Pantruche ; cinquio, le blessé a perdu quelque chose que j’aperçois d’ici au bord du trottoir.

Je couris à l’objet mentionné. Il s’agissait d’une enveloppe Kodak jaune contenant un paquet de photos. L’éclairage de la rue n’étant pas propice et le temps pressant, je les enfouillis.

Lurette dégueulait sur les marches du Grand Vertige. Il s’était morflé un vache coup de saccagne dans le gras du bras. Je mobilisai le portier galonné comme Amin Dada et lui ordonnai de conduire aussi sec mon gars à l’hosto le plus proche. Là-dessus mes collègues du Quai se pointèrent et nous commencèrent sérieusement à boulonner.

Tu vas voir la suite, c’est pas triste.

CHAPITRE 1

Comme j’aime, dans les cas d’exception, avoir mon équipe à dispose, je lance des appels à mes différents archers, et avant tout à Mathias. Il radine, avec un air étrange, venu de chez lui et huit de ses lardons. Embarrassé, il m’explique que sa panthère rosse a fait un patacaisse de tous les diables en le voyant partir un soir de 31 décembre (plus exactement une nuit de 1er janvier) et n’a consenti à ce qu’il sorte qu’à condition qu’il prenne avec lui les huit aînés qui n’étaient pas encore couchés. Probablement est-ce la première fois dans les annales policières qu’un flic s’amène sur les lieux d’un assassinat, flanqué de huit mômes rouquins, avec des minois qui ont l’air martelés dans du cuivre rouge à force de taches de rousseur. Il les installe au bar du Grand Vertige où ce lycée Papillon d’un nouveau genre se met à écluser des Coca.

— Occupe-toi du fusil, lui enjoins-je. Empreintes, s’il y en a, calibre, signes particuliers, tout le chemelu ! Etudie aussi à fond la loggia pour s’il y aurait des indices…

Quant à ma pomme, j’ai déjà fait embarquer César Césari-Césarini par deux inspecteurs jusqu’à mon P.C. des Champs-Zé. Qu’ils le mettent au secret dans le local situé près des lavabos et ne lui adressent pas un mot en attendant mon arrivée. Interdiction au taulier de bigophoner à qui que ce soit.