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Mathias a disparu derrière le garde-fou de la loggia, étudiant la moquette poil à poil.

Je biche un siège et m’installe à la table située devant celle-ci. Quatre personnes. La partouze chantée. Cadres supérieurement moyens, qui jouent à poéter plus haut que leur luth. Ça doit biberonner sec et, en fin de parcours, s’offrir une petite méli-mélodie en chambre. A trois, on frappe dans ses mains et les messieurs changent de partenaire.

— Pardonnez-moi, je leur fais-je en exhibant ma carte, juste quelques questions.

— Vous parlez d’une soirée ! gronde le plus autoritaire des messieurs.

— J’en parle, dis-je, et parlez-m’en aussi. Permettez-moi de vous faire observer que ce n’est pas moi qui ai tué un homme, mais quelqu’un d’autre que j’ai à charge de découvrir. Je le regrette d’autant plus que j’ai une bouteille de Château d’Yquem et ma vieille mère qui m’attendent au foyer.

J’ai pas fini ma phrase que chacune des deux dadames se met à me faire du genou à tout-va. Je laisse filer le câble…

Abondance de biens ne nuit pas, sauf quand les sans-culottes assiègent ton castel.

— Votre table est devant cette petite loge, dis-je ; or c’est de cette niche, purement décorative, que le meurtrier a tiré, utilisant un fusil à lunette infrarouge lui permettant de viser dans l’obscurité.

— Mon Dieu ! roucoule l’une des deux dames en déposant sa main, en secours, sur mon genou.

Très belle exclamation, révélatrice de sa parfaite éducation religieuse. Je lui souris. Sa main remonte en direction de ma grosse bébête à moustache.

— Pendant toute la soirée, reprends-je néanmoins, l’homme est resté tapi dans la loggia, attendant la petite cérémonie des douze coups de minuit : on éteint, on égrène les secondes à coups de cymbale, puis on rallume. Tous quatre, vous étiez les convives les plus rapprochés, vous avez fatalement perçu la détonation et la fuite précipitée du type, quand bien même vous ne songiez qu’à vous souhaiter la bonne année. J’aimerais que vous regroupiez bien vos souvenirs et que vous me fassiez part de vos impressions. Vous, madame ? dis-je à celle qui est en train de chercher (et de trouver) la tirette de ma fermeture Eclair pantalonnière.

Elle suspend son viol.

C’est une fausse rousse, mais vraie salope, avec des yeux fauves et une robe en lamé qui a failli n’être qu’un tutu. Elle entrouvre la bouche avant de parler, me montre son bout de langue prêt à tout, derrière des lèvres plus conséquentes que celles de son frifri.

— Oui, j’ai entendu une détonation, j’ai cru qu’on faisait exploser un pétard pour marquer l’an neuf.

— Et le gars qui enjambait la balustrade ?

— Rien remarqué.

— Et vous, deuxième et jolie madame ? m’adressé-je à la seconde, une brune dite piquante, coiffée court, façon garçonne, et je te passe pas le grain de beauté tapageur, style Pompadour (et pompons-la bien) qui trône sur sa pommette gauche.

Comme sa potesse (laquelle me masse le Nestor folâtre avec témérité), elle a pris la détonation pour l’explosion d’un pétard (le sien n’a pas l’air mal) mais elle est en mesure de m’en apprendre davantage sur le meurtrier ; je vais t’expliquer, mais auparavant, permets-moi de te signaler, cher lecteur ou trice de mes deux, qu’à l’instar de son amie, la voilà-t-il pas qui m’avance sa pattoune en terrain chibré ! Tu parles de dévoreuses ! La grosse goinfrerie ! Et moi, quand je quitterai mon siège ? Je vais marcher comment ? Façon relève de la garde à Buckingham Palace ?

Le nouveau qu’elle a à dire c’est le suivant. Après la dernière détonance, elle se précipitait dans les bras de leur ami Jean-René pour la bisouille nouvelle quand elle a été bousculée assez violemment. Si fort, même, qu’elle a tourné la tête malgré l’obscurité. La luce est revenue opportunément et elle a aperçu une femme assez forte qui fonçait entre les tables. Une grosse platinée, avec une robe bleue curieusement retroussée qu’elle s’efforçait de baisser tout en se déplaçant. Et puis elle ne s’en est plus occupée, les embrassades commandant.

Le Jean-René, un peu déplumé sur le dessus, début de brioche, début de bajoues, confirme. Lui aussi, surpris par la volte intempestive de Christiane, il a eu un regard dans la direction qu’elle fixait et il a aperçu la forte dame retroussée. Il a pensé que quelqu’un lui avait envoyé la paluche au valseur pendant la période obscure. Il a même estimé que ladite personne, étant donné sa carrure, devait être allemande, ou bien scandinave à la rigueur.

Je remercie pour ces tuyaux-minute.

Le deuxième julot, un blondasse moustachu qui compasse pour avoir l’air intellectuel, ne s’est aperçu de rien. Il déclare finement :

— J’embrassais Marie-Solange, ce qui m’ôte toutes mes facultés.

On rit.

La main de Marie-Solange rencontre celle de Christiane dans la touffeur de mon kangourou. Elles ont un sursaut, puis un rire.

— Ça se bouscule au portillon, n’est-ce pas, mesdames ? leur fais-je en me levant. Si vous voulez bien me lâcher, je descends à cette station !

Et je me réintègre posément Pollux, coucouche-panier, tout bien en ordre. Les deux bonshommes font une gueule pas croyable. Les pimbêches se marrent jaunasse.

— Merci, leur fais-je, je vous souhaite une bonne et heureuse année.

Là-dessus, je carapate vers la sortie. Dans l’escadrin devine qui je croise ? Lurette ! Le gamin m’explique qu’il a refusé de se laisser hospitaliser. Huit points de suture, une piquouze, une épingle de nourrice pour tenir le lambeau de manche, et vogue la galère ! Un courageux.

— J’allais pas me foutre à l’horizontale au moment où ça devient palpitant, me dit-il.

Je lui mets une caresse fraternelle sur la nuque.

— Tous mes compliments, môme. Je vois que je n’ai pas recruté une mauviette.

Le compliment met une tache de couleur sur sa figure livide, écrirait Ponton du Sérail.

— Je fais quoi ? demande-t-il.

— Questionne le personnel au sujet d’une grosse dame platinée, vêtue d’une robe bleue retroussée.

Il continue de descendre d’un pas évasif. Il a le bras en écharpe et je te parie ta petite sœur contre ce que les deux épouses des cadres tripotaient en chœur naguère, qu’il a besoin d’un grand godet de raide pour se vitaminer l’infrastructure.

Le portier du Grand Vertige bat la semelle devant la crèche. Il regarde l’agitation poulardière. Les voitures de police décrivent un petit ballet. Des autos de presse les rejoignent. Je me dis qu’il va me falloir mettre les bouts avant que ça foirdempoigne trop fort dans le coin.

— Dites donc, l’ami, au moment de minuit, avez-vous vu sortir une dame très blonde, plutôt forte, portant une robe bleue ?

Il prend l’air marri, ou mari, ou enfant de Marie. C’est un grand diable d’origine slave, moi je le vois assez polak d’après son accent.

Il m’explique qu’il a quitté son poste à minuit, selon la tradition, pour aller au bar s’en jeter un aux frais de la direction.

Tant pis.

Je vais rejoindre Bérurier. Le dénommé Couchetapiane est inerte le long du somptueux comptoir d’acajou. Le Gros biberonne de la vodka au poivre en rigolant avec les enfants Mathias, lesquels lichetrognent également, mais eux, « fais-toi pas de souci : c’est du Pimm’s », me rassure le Mammouth.