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— Eh ben, Mc Cash, qu’est-ce que tu fais là?

— La même chose que toi, mon gros: je prends l’air.

Lefloc approcha, épais comme une bûche. Les deux hommes s’étaient connus lors d’une affaire de trafic d’héroïne, alternative à l’alcoolisme qui sévissait dans le quartier de Recouvrance, et ne s’étaient guère appréciés. Méthodes de travail, comportements, ils s’opposaient par magnétisme. Mc Cash avait la réputation d’un loup prompt à mordre la main qui le menaçait, mais Lefloc n’avait pas peur de s’y frotter. Du nez, il désigna la maison d’architecte qui dominait la plage.

— Qu’est-ce que tu fichais chez la fille Kerouan? relança-t-il.

— Donne-moi une seule raison de te répondre.

Lefloc fixa l’œil unique du borgne, le vent chahutant ses rares cheveux.

— Je suis au boulot, dit-il, ça se voit pas?

— Détective, c’est ça?

— Tu n’es plus flic d’après ce qu’on m’a dit, qu’est-ce que tu fiches là? réitéra-t-il.

— Marc Kerouan était un vieux copain.

— Ah ouais.

— Ouais.

— Une visite de courtoisie à sa sœur, c’est ça?

— Le deuil, ça te dit quelque chose ou tu comptes mourir en léguant tout aux pissenlits?

Lefloc eut une moue.

— Depuis quand tu te soucies des gens?

— C’était jusqu’à ce que je vous voie, toi et ton bidon qui dépasse des arbres.

— Toujours aussi drôle, le borgne. À propos, comment va ton œil? Il paraît que tu n’en as plus pour longtemps avant de tomber aveugle.

Mc Cash sourit jaune. L’oculariste de Brest avait dû vendre la mèche. Des mois pourtant qu’il ne l’avait pas vu. Lefloc revint à l’attaque.

— Tu es un vrai fouille-merde, dit-il d’un air convaincu. Je sais que tu n’es pas là pour des condoléances. Alors?

— Commence par me dire pourquoi tu me suis comme un chien moche.

— La famille Kerouan m’a engagé pour éclaircir deux ou trois points, répondit le détective privé. À commencer par l’argent de Marco. Tu te doutes bien que ton copain avocat en avait un paquet, et que tout revient à sa femme.

— Et à leur fille.

— À sa majorité. C’est-à-dire pas avant une quinzaine d’années, insinua l’autre.

— Tu veux dire que les Kerouan ont du mal à encaisser le fait que la femme de leur fils hérite du magot?

— Sans corps pour attester du décès, on peut faire traîner les procédures pendant des années.

— C’est beau ce que tu dis.

— Il y a aussi des choses louches, renchérit Lefloc: par exemple pourquoi Marc Kerouan a acheté un bateau si grand et si cher. Pourquoi en Grèce, alors qu’on peut trouver le même en France et d’autres choses encore qui mettent la puce à l’oreille de la famille.

— Dis plutôt que les Kerouan n’ont jamais accepté qu’une femme noire entre dans la danse, fit Mc Cash. Athée par-dessus le marché.

— Les parts de Marc dans l’entreprise familiale ne sont pas négligeables, rétorqua le privé. Les rapports de Zoé Kerouan avec le reste de la famille ne sont peut-être pas bons mais leurs craintes sont fondées: leur fils a fait un testament quelques semaines avant de partir en Grèce, léguant tout à sa femme et sa fille, ses parts des entreprises Kerouan comprises.

— Tant mieux. Comme ça elles auront de quoi vivre en attendant de se consoler.

Lefloc montra les dents, pas brillantes.

— Ta naïveté serait presque touchante. Qui te dit que tout ça n’est pas un coup monté?

— Tu as bu trop de chouchen, mon gros père.

Mc Cash allait partir mais le détective s’interposa.

— J’aime pas qu’on marche sur mes plates-bandes, dit-iclass="underline" tu enquêtes sur la disparition du fils Kerouan?

Il puait l’after-shave et la testostérone.

— Non. Maintenant fous-moi la paix.

— Alors à quoi tu joues?

— Je t’ai dit de dégager, rétorqua-t-il, glacial.

Mc Cash tira la portière mais Lefloc la retint de la main.

— C’est toi qui dégages de cette affaire, OK? Je t’aime pas, le borgne, mais c’est un conseil que je te donne si tu ne veux pas avoir affaire à moi. Pigé?

Mc Cash détestait les combats de coqs. Il maintint le poignet du privé sur la portière et la claqua violemment. Lefloc étouffa un cri devant ses doigts pris au piège, mais Mc Cash l’avait déjà libéré; il tira l’homme en arrière, prit le volant pendant que l’autre valsait dans les conifères et démarra sans s’attarder sur les jurons.

*

Le village de Penmarc’h abritait l’un des plus fameux phares de la côte sud. Mc Cash arriva en fin d’après-midi, passablement énervé après son altercation avec Lefloc. Il comptait demander des précisions à Zoé mais la femme de Marco se tenait devant la maison familiale, installant sa fille à l’arrière de la voiture. Les valises étaient déjà dans le coffre, le chien sur le tapis de sol à l’avant. Zoé vit le borgne qui sortait de la Jaguar et se tint immobile dans l’allée fleurie, regard au poing.

— Comment tu as eu mon adresse? lui lança-t-elle.

— C’est Marie-Anne qui me l’a donnée, dit-il en approchant.

— Qu’est-ce que tu veux encore? Si c’est pour me casser le bras, tu repasseras.

— Tu pars?

— Ça te regarde?

— Je sors de chez Marie-Anne. J’aimerais te parler deux minutes.

— Tu es dur d’oreille, Mc Cash.

— Deux minutes et tu n’entendras plus parler de moi. C’est au sujet de ta sœur. Et du voyage en Grèce avec Marco. Pourquoi tu n’en as parlé à personne?

Ils se regardèrent en chiens de faïence.

— Écoute, dit-il d’une voix conciliante, il y a un privé sur le coup, un détective qui cherche à savoir s’il n’y a pas quelque chose de louche dans la disparition de Marco, et sur le fait que tout cet argent te revienne.

— Quoi?!

Son expression de stupeur et de colère rappelait sa sœur.

— Je crains que les Kerouan aient du mal à encaisser le coup, résuma Mc Cash. On n’a pas retrouvé le corps de Marco; avec des bons avocats, ils peuvent bloquer l’héritage. Je t’en prie, fais-moi confiance pour cette fois.

Zoé soupira, un regard pour sa fille sur la banquette arrière de la Citroën.

— Qu’est-ce que tu veux savoir?

— Angélique naviguait avec Marco depuis longtemps?

— Tu connais ma sœur: tu la laisses seule dans la campagne, elle est capable de s’engueuler avec les arbres. La mer la calmait.

— Ils sont partis ensemble en Grèce pour convoyer le bateau jusqu’en Bretagne?

— Oui.

— Celui qu’il a acheté à Athènes? Marco avait déjà un voilier, pourquoi aller jusque là-bas?

— C’étaient ses lubies, répondit sa femme. Et les histoires de bateau ne m’ont jamais intéressée.

— Ton mari t’en a quand même parlé: alors?

Zoé soupira de nouveau, impatiente — sa fille Lila jouait avec une poupée sur le rehausseur mais ça ne durerait pas.

— C’était un Class 40, dit-elle. Un bateau de course. C’était son cadeau pour ses cinquante ans.

— Passés depuis deux ans.

— Comme si ça pouvait changer quelque chose pour lui.

— Et Angélique?