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Les deux premiers se tournèrent vers un grand frisé, leur boîte parlante, qui faisait office de meneur.

— Vous êtes bloqués depuis dix jours, je me trompe? réitéra le borgne.

— Pourquoi? répondit le frisé.

Des marins épais, trapus.

— Bureau des affaires maritimes, annonça Mc Cash en approchant. J’aimerais vous parler au sujet d’un accident survenu en mer il y a une dizaine de jours: dans la nuit du 26 juin au large d’Alicante.

Au moins deux marins comprenaient ce qu’il disait — un coup d’œil furtif du plus jeune trahit sa nervosité. Le frisé secoua la tête, pas inspiré.

— De quoi vous parlez?

— Nous savons que vous avez percuté un voilier cette nuit-là, lâcha-t-il tout de go. Nous voulons juste votre témoignage. Vous ne serez pas inquiétés: votre capitaine est légalement l’unique responsable de l’accident. Vous serez payés et pourrez rentrer chez vous.

Un vent de suspicion passa sur les quais déserts. Les marins ne réagissaient pas, sur le qui-vive.

— Vous en pensez quoi, les gars? reprit Mc Cash.

L’un d’eux dit une brève phrase en grec. Des mots qu’il n’était pas compliqué de prendre pour des menaces.

— On n’a rien à te dire, ni à toi ni à personne, répondit bientôt le chef du trio.

Ils firent un pas pour rejoindre le cargo mais Mc Cash s’interposa.

— Dites-moi ce qui s’est passé cette nuit-là.

— T’as pas compris? Va te faire foutre.

Échange de regards polaires. Le marin était presque aussi grand que lui mais véloce comme un tank; Mc Cash lui bloqua le poignet, l’aspira contre sa poitrine et lui tira brusquement le pouce. Pris dans l’étau, le frisé couina, au supplice.

— Un geste et je lui casse le pouce, feula le borgne.

Les deux Grecs regardaient leur compagnon qui se tordait debout, hésitant entre l’attaque et la reddition.

— Alors? s’impatienta-t-il.

— Lâche-le, siffla une voix dans son dos.

Mc Cash fit une brève contorsion, aperçut la lueur pâle du calibre pointé sur lui: à trois mètres, un homme, trop loin pour qu’il puisse le désarmer.

— Lâche-le, je te dis!

L’homme parlait anglais avec un autre accent. Il restait dans l’ombre, à distance, releva le cliquetis du chien et répéta sa menace.

— Lâche-le maintenant ou je te troue la peau!

Un pic glacé traversa l’œil de Mc Cash, qui le fit vaciller. Une crise. Son étreinte se relâcha sur le pouce du frisé, qui se dégagea aussitôt. Mc Cash voyait double, triple. Une crise fulgurante, comme elles lui tombaient parfois dessus. Le frisé agita sa main endolorie en pestant. D’autres phrases dans leur langue, l’arme dans son dos, ses sbires qui approchent: Mc Cash vivait au ralenti. Il chancela, les vit à peine l’empoigner par le col de son blouson et le tirer derrière le hangar.

Ils chuchotaient dans leur langue, l’homme armé à leur suite. Les docks déserts, leurs pas pressés sur le bitume, les avant-bras puissants qui lui pressuraient la glotte, le réel avait suspendu son vol; ils plaquèrent Mc Cash contre un mur de tôle et lui maintinrent les bras. Il ne résistait plus. D’un uppercut, le frisé le cueillit au foie.

Mc Cash avala ses poumons, en apnée. Une larme coula de sa prothèse tandis que des mains fouillaient ses poches. Il distinguait mal les visages à l’ombre du hangar.

— Pour qui tu travailles? fit l’homme en pressant le revolver dans son dos.

— L’I… L’ITF, souffla-t-il.

— Tu enquêtes sur quoi?

— La disparition d’un voilier, dit-il, au large d’Alicante.

— Qui a ouvert une enquête?

— L’ITF.

— Ces types-là sont dans des bureaux, pas à traîner la nuit sur des docks; alors?

— Alors rien.

Une main lui arracha son bandeau. Mc Cash se raidit. Sensation d’impuissance, de nudité, de honte. Son bandeau était tabou, source de putréfaction et de mort. Sans lui il devenait violent. Con. Méchant. Pluie pétrole sur ville en flammes. Une bête immonde tapie dans l’orbite fétide. Le frisé planta ses doigts sales sur sa prothèse.

— Réponds ou je t’arrache ton putain d’œil de verre! menaça-t-il.

Son haleine puait la bière. Mc Cash frémit quand il sentit ses doigts s’enfoncer dans l’orbite. Une douleur inconnue le tétanisa, qui faillit lui faire perdre la tête. Il ne vit pas l’homme armé se rapprocher mais sentit la gueule froide du canon contre ses cervicales.

— Tu as cinq secondes, fit-iclass="underline" après je t’assure qu’on te fait sauter l’autre œil… Tu étais sur le quai d’Audierne avant-hier, qu’est-ce que tu faisais là-bas?

— Et toi?

— Réponds, fils de pute! Pour qui tu travailles?

— L’ITF, répéta le borgne.

L’homme toussa, une toux grasse, puis fit un signe aux marins. Les doigts du frisé fouillèrent plus profondément dans l’orbite de Mc Cash. Une nausée l’envahit tandis qu’un liquide tiède s’échappait de ses paupières. L’arme martyrisait ses vertèbres, la pince du marin se recroquevillait sur sa prothèse, il l’entendait haleter près de son visage mais les autres le tenaient fermement. Mc Cash lâcha un cri quand le marin expulsa son œil de verre. Un filet de sang s’écoula sur sa joue.

— Regardez ce que j’ai trouvé! railla le frisé en brandissant la sphère sanguinolente.

— Alors? insista l’homme au calibre. Pour qui tu travailles, hein?!

Mc Cash chancela. Ses jambes le lâchaient. Le marin jeta l’œil de verre sur le sol goudronné.

— Alors? siffla l’autre. Tu veux que je te bute, c’est ça?

— L’ITF, répéta Mc Cash entre ses dents.

L’homme releva le chien du revolver, fit un pas de côté.

— Tuez-le, dit-il d’une voix neutre.

Les marins se regardèrent un instant, acquiescèrent sans relâcher leur étreinte.

— Et jetez-le dans le port, ajouta-t-il d’une voix blanche. Je vais chercher ce qu’il faut pour le lester.

L’homme rangea son arme et disparut en direction du cargo. Mc Cash entendit ses pas s’éloigner quand une lame jaillit dans l’ombre du hangar. Le frisé avança d’un pas, un couteau à cran d’arrêt prêt à frapper. Mc Cash ne tenait plus qu’à ses larmes de sang, mais son cerveau avait gardé le cap: muscles relâchés, concentration maximale avant l’assaut. Les leçons du vieux juif. Topographie. Obscurité, position à genoux, environnement étroit, plusieurs agresseurs, un couteau. Les marins croyaient le tenir fermement, ils se trompaient. Mc Cash attaqua si vite qu’il échappa à leur étreinte, saisit le poignet du tueur qui s’apprêtait à lui trancher la carotide et le tordit violemment: un bruit d’os qui cède, un cri étouffé. Mc Cash frappa la gorge de l’homme à sa gauche, qui recula sous le choc. Le troisième s’accrocha à son épaule mais un coup de coude lui enfonça l’œil.

Mc Cash s’était redressé. Le frisé regardait son bras cassé, avec un mélange de surprise et d’effarement. Le borgne empoigna sa mâchoire et d’un coup sec lui brisa le cou. L’autre s’écroulait quand un feu brûlant s’enfonça dans ses reins. Mc Cash balaya le sol d’une rotation aveugle, percuta un genou. Il vécut le reste dans un état second, fou de douleur. Restait le monstre; c’est lui qui se jeta sur le plus jeune et enfonça sa glotte dans sa gorge jusqu’à ce qu’il étouffe. Celui qui avait ramassé le couteau boitait bas. Il voulut enfoncer la lame dans son ventre mais Mc Cash le fit pivoter sur lui-même: sa tête heurta le bitume. Le marin resta un instant immobile, comme s’il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Mc Cash saisit sa main crispée sur la lame, et l’enfonça dans son ventre chaud. L’autre réalisa trop tard: la pointe effilée s’était enfouie de plusieurs centimètres. Il lâcha prise dans un spasme.