Выбрать главу

— Marco a appelé une autre personne en France, reprit-il, le 19 juin: vous aviez un complice, quelqu’un dont tu ne m’as pas parlé?

Zoé céda devant le regard inquisiteur du borgne.

— Gilles… Gilles Raoul, avoua-t-elle, un copain. Il travaille à la préfecture de Brest. C’est lui qui devait nous fournir les papiers des réfugiés. Il était là l’autre jour à Audierne. On a pris un café sur le port après que tu es venu me voir. C’est là qu’on a décidé de ne rien dire à personne.

Les traits de Mc Cash se durcirent. Il pensait au type du Jasper qui avait voulu lui faire la peau l’avant-veille sur les docks: lui aussi était à Audierne pour la commémoration.

— Bon, dit-il en redressant son corps fatigué. Il vaut mieux que tu restes chez ton amie pour le moment. Ne remets plus les pieds chez toi jusqu’à nouvel ordre.

— Pourquoi? s’inquiéta-t-elle.

— Le type qui m’est tombé dessus à Brest était aussi à Audierne l’autre jour.

Zoé pâlit malgré son teint d’ébène. Mc Cash quitta le local, les reins engourdis par les capsules de morphine, sans un regard pour le chien qui jappait devant ses pas.

— Qu’est-ce que tu vas faire? demanda Zoé.

— Me pendre.

15

Mc Cash flottait sur un tapis chimique en quittant l’antenne RESF de Douarnenez. La ville s’éveillait à l’heure de la messe. Quelques vieilles assurées contre la mort faisaient le pied de grue sur le parvis, parapluie au poing, sous le regard des rares touristes. Mc Cash marcha jusqu’au bar-tabac, épicentre de l’animation dominicale. Réfugié sous une bâche, un couple de vieux Anglais riaient en buvant leur première bière à une table à l’écart.

L’Irlandais acheta le Ouest-France au buraliste aux yeux de panda qui essuyait ses verres et consulta le journal, un café à la main pour passer le goût de médicament embourbé dans sa bouche. Aucune nouvelle des trois marins laissés sur le carreau l’autre nuit à Brest, ni de l’enquête qui aurait dû suivre. Bizarre. Ou les flics gardaient l’information sous le coude pour une raison qui lui échappait, ou quelqu’un avait fait le ménage derrière lui. Le tueur sur les docks? Dans tous les cas, le cargo était reparti en mer, avec ses mystères.

Mc Cash prit un autre café, l’œil torve. Ses reins lui tiraient des grimaces compressées et il avait l’impression que les regards se concentraient sur son bandeau, comme si les clients du bistrot savaient qu’il n’avait plus de prothèse… Sa paranoïa sans doute.

La pluie poissait son visage échaudé quand il quitta le bar. Il grimpa à bord de la Jaguar avec une infinie précaution et roula vers Daoulas où résidait le dénommé Gilles Raoul, tentant de recoller les morceaux sur la route. Que s’était-il passé sur l’île grecque lors de l’embarquement des réfugiées pour qu’Angélique ne parle pas à sa sœur? Pourquoi le Jasper s’était-il détourné pour leur couper la route? Comment Zamiakis et ses complices avaient-ils su que le Class 40 transportait des réfugiées? Stavros Landis, leur contact grec aux abonnés absents, les avait-il trahis?

Le cadran affichait onze heures trente lorsqu’il atteignit Daoulas, à l’entrée de la presqu’île de Crozon. Il suivit les indications de son smartphone. Une route serpentait à travers une forêt de chênes centenaires qui gouttaient encore sur l’asphalte gris, à la sortie du village. La Jaguar ralentit devant le numéro 167 — le portail était ouvert — et s’engouffra sous les branches de l’allée. Il y avait une écurie sur la droite, les vestiges d’un tracteur modèle soviétique sur les graviers de la cour, et un ancien moulin en cours de rénovation.

Un ruisseau coulait au pied du jardin. Plus loin un muret de pierres et une Renault blanche près de la table de ping-pong couverte de feuilles mortes. Immatriculée 29. Celle de Raoul probablement. On était aujourd’hui samedi. Mc Cash ne savait pas si le type de la préfecture était un lève-tard, si le crissement des graviers l’avait réveillé; il se gara devant la Renault et fit un bref panoramique sur le jardin bucolique après la pluie.

Un rouge-gorge sautillait sur le muret. Mc Cash sonna la cloche, effrayant le volatile. La première partie du moulin avait été retapée avec soin, l’autre restait en chantier — grange écroulée, roue vermoulue rongée par l’humidité. Il fit tinter la cloche une seconde fois, sans obtenir de réponse.

Mc Cash se pencha sur la fenêtre du salon, une ouverture qui tenait plus de la meurtrière taillée dans la roche épaisse, ne vit que les mouches qui couraient derrière les rideaux. Ce n’étaient pas les premières mouches d’été, des petites noires électriques capables de vous harceler une nuit entière, et puis elles étaient trop nombreuses. Non, il s’agissait d’une espèce qu’il connaissait bien… Mc Cash épia le monde autour de lui, ne vit que la brume au-dessus de la haie. Il tourna la poignée: la porte était ouverte.

L’odeur d’abord le prit à la gorge: les murs, les meubles, la maison tout entière empestait. Il se colla d’instinct contre la porte, balaya le hall d’un regard nerveux. Son cœur battit plus vite. Devait-il retourner à la voiture pour chercher son arme ou sa paranoïa lui jouait-elle des tours? La clé était encore sur la porte. Mc Cash ferma le loquet derrière lui.

Il faisait sombre dans la maison, le plafond était bas, la lumière opaque depuis les lucarnes. Un escalier menait à l’étage. L’autre entrée se situait après la cuisine, un vestibule avec machine à laver: Mc Cash posa une pièce de monnaie sur la poignée de la porte qui donnait sur l’extérieur, enfila les gants de vaisselle qui traînaient près de l’évier et suivit le cortège de mouches vertes qui zigzaguait au rez-de-chaussée.

Le bourdonnement se fit plus intense quand il poussa la porte de la chambre. Le lit était vide. Il y avait une bouteille d’eau sur la moquette, un placard à portes coulissantes entrouvert, quelques fringues sur une chaise à bascule. L’odeur pestilentielle l’accompagna jusqu’à la salle de bains. Le mort était dans la baignoire, à demi immergé.

Une nappe de merde flottait à la surface. Avec la rigidité cadavérique, les fluides accumulés dans le corps s’étaient libérés du cadavre, souillant l’eau d’un brun saumâtre. Mc Cash ravala ses poumons. Le visage était brûlé, méconnaissable, mais le sexe était celui d’un homme. Âge incertain: ses cheveux avaient grillé, ne laissant qu’une plaie purulente sur son crâne. Un fil électrique courait dans l’eau du bain, dont la prise était branchée près de la glace du lavabo. Raoul. La peau avait craqué à plusieurs endroits, causant des cratères inégaux, couverte de cloques sombres après le choc électrique. Quarante-huit heures au moins qu’il baignait là. Mc Cash fit abstraction de l’odeur pour inspecter le corps.

Il saisit la brosse à chiotte. Les mouches virevoltaient, au festin. Il se pencha sur l’eau trouble, repoussa les îlots de merde qui flottaient à la surface: il y avait un rasoir électrique au fond du bain. Raoul était mort électrocuté. Ou plutôt on l’avait aidé à cramer. Piètre mise en scène, songea l’ex-flic. Le cadavre était en trop mauvais état pour qu’on puisse y relever des marques de contusions, il faudrait voir après l’autopsie, s’il y en avait une.

Un tintement au bout du couloir le fit sursauter: celui d’une pièce de monnaie tombant sur le carrelage. Alors seulement il regretta de n’avoir pas pris son arme.

*

Xherban Berim tenait un Glock automatique à la main. Il avait mis du temps avant de retrouver la trace du borgne qui les avait interpellés sur les docks. Se méfier de ce type. Il avait tué les trois marins alors qu’il allait chercher de quoi lester son corps dans le port et réussi à s’enfuir malgré les traces de sang laissées sur le quai. Si, comme il le pensait, le borgne était impliqué dans le réseau de Kerouan, il finirait par se pointer chez son complice, Raoul, le type de la préfecture. Berim avait vu juste. Il pointa le canon vers le vestibule, atteignit le couloir en quelques enjambées et se tassa à l’angle qui donnait sur la chambre: la porte de la salle de bains était entrouverte.