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— T’es content, connard! siffla-t-il en montrant son moignon.

Le type recula devant l’orbite vide, il n’avait jamais vu une chose pareille, et rendit le passeport sans demander son reste. Le ciel tombait quand Mc Cash sortit de l’aéroport, son sac à l’épaule. Rameutant l’été, un vent tiède époussetait quelques palmiers poussiéreux. Il prit un taxi pour le centre d’Athènes, dans le quartier d’Exarchia où habitait Stavros Landis, vaguement calmé.

Mc Cash n’avait jamais mis les pieds en Grèce. Après un tronçon d’autoroute surplombant les collines et un parcours le long des avenues embouteillées délimitant les grands axes de la capitale, un taxi affable le déposa dans une des rues encaissées du vieux centre, à quelques encablures de chez Landis.

L’Athens Way, à l’angle d’Arachovis, louait des chambres avec balcon et cuisine équipée. Mc Cash ne chercha pas à joindre sa fille chez Marie-Anne; il prit une douche, évita son regard terrifiant dans le miroir de la salle de bains, changea le pansement sur sa plaie et quitta l’hôtel. Les rues étaient animées, minuit sonnait et les gens dînaient encore. Un toiletteur passait le sèche-cheveux dans les poils d’un lévrier ravi. N’ayant rien avalé de la journée, il dévora une assiette de poulpes grillés à la terrasse du restaurant voisin. Le goût de médicament passa doucement, la douleur de son dos blessé, pas le sentiment de solitude en terres étrangères.

Mc Cash n’aimait pas les voyages, abhorrait le tourisme et les cohortes de gens en short qui photographiaient les monuments en maniant leurs tablettes comme des volants. La fatigue le rendait encore plus maussade. Bientôt une heure du matin; il descendit la rue pentue où les échoppes toujours ouvertes proposaient pâtisseries et autres spécialités locales, poursuivit sur les trottoirs défoncés.

Des murs crasseux tagués de slogans vengeurs délimitaient le territoire d’Exarchia, le quartier anarchiste de la ville. Il croisa des jeunes lookés, des vieux à mobylette traînant des charrettes remplies de ferraille, moustachus courbés sur leur vie de labeur, des filles vêtues de noir au bras de leurs copines. Il jeta un œil sur le Google Maps de son smartphone, visa la colline indiquée sur l’écran.

Zoodochou Pigis. Tu parles d’un nom de rue à la con, maugréa Mc Cash en gravissant la côte qui menait chez l’ancien éditeur. Il stoppa au numéro 56, face à un hôtel de passe visiblement fermé depuis longtemps. Une grille bloquait l’accès à un porche ouvert sur un petit jardin mal entretenu et touffu qui cachait une maison à étage. Mc Cash sonna à l’unique bouton — «Calypso», le nom de la maison d’édition —, ne reçut pour réponse que le gazouillis d’un oiseau nocturne… Il se tordit le cou derrière les barreaux pour deviner quelque lumière, se pencha vers la grille et constata que le mécanisme d’ouverture avait été forcé. Il attendit qu’une voiture dévale la pente pour pousser le loquet.

Il faisait sombre dans le jardinet isolé de la rue; une volée de marches donnait sur une terrasse où une table de jardin en marbre jonchée de pollen prenait le frais au milieu des plantes grasses. Mc Cash évalua la façade blanche rongée par le lierre — toujours aucune lumière en vue — puis la porte principale de la maison: elle avait été fracturée.

Il pénétra à l’intérieur, les sens aiguisés par l’afflux d’adrénaline. La torche de son smartphone actionnée, il découvrit un bureau foutraque, avec des piles de manuscrits et de papiers jaunis portant le logo Calypso, puis des tiroirs à terre, leur contenu vidé sur le sol. Même les 33 tours gisaient sur les tomettes… D’autres étaient passés là avant lui. Que cherchaient-ils? Landis? Quoi encore?

L’ex-flic passa dans l’autre pièce, une petite cuisine avec toilettes, rebroussa chemin et grimpa l’escalier. La chambre aussi avait été fouillée: matelas, draps, placards, étagères, table de nuit, tout était sens dessus dessous. Mc Cash sonda le sol, ne décela que des objets ou livres jetés là. Aucune trace de lutte ou de sang sur les tomettes byzantines. Si Landis avait été enlevé, les ravisseurs n’auraient pas fouillé la maison de fond en comble. Il redescendit vers le bureau de l’éditeur et la cuisine adjacente, trouva un sous-bock au nom de Blue Fox, et une pochette d’allumettes estampillée Rhinokéros. Le premier lieu, un club, avait fermé six mois plus tôt d’après les infos de son smartphone. Le second était un bar du quartier branché sur le rock indé, qui rappelait les 33 de Fugazzi et Shellac répandus sur le sol.

*

La rue Ippokratous traversait le quartier de Kolonaki qui bordait Exarchia. Mc Cash remonta la colline, l’adrénaline contrant les effets des analgésiques. Beaucoup de bars dans le coin, de lumières rouges et tamisées où les gens s’acharnaient à oublier les mauvaises nouvelles quotidiennes. Deux heures sonnaient quelque part lorsque le borgne poussa la porte du Rhinokéros.

Une population de tous les âges s’épanchait au-dessus d’un verre, en majorité des trentenaires tatoués des deux sexes, dans une ambiance éthylique amicale.

Ayant vécu des années à Brest, Mc Cash savait déceler à la seconde le bar où les soûlards vous tombent dessus comme des mouches à emmerde. Lou Reed, Debbie Harry, Bowie, Nick Cave, Joe Strummer, les visages des icônes se reflétaient dans les miroirs plaqués sur les murs. Une jeune brune en jean moulant alignait les cocktails sur un long comptoir de bois verni, un tee-shirt «Desobey» sur ses fines épaules. Des mâles aux cheveux bouclés faisaient les paons sur les tabourets, certains fumaient, un DJ surfait sur son ordinateur, casque à l’oreille. On passait de l’électro, principalement issu de la French touch post-Daft Punk, de la pop guimauve pour Mc Cash, qui se rangea au bout du comptoir.

Il but un verre à l’ombre des spots qui inondaient le zinc, près de la pompe à bière. La jolie barmaid pencha un verre sous la source à houblon, le salua et constata que l’homme au bandeau ne parlait pas grec. Dimitra avait un master de philo mais comprenait la langue de Shakespeare.

— Stavros n’est pas là?

— Stavros? Ben non, tu vois…

— Je suis un ami.

— Contente de le savoir.

— Tu l’as vu ces temps-ci?

— Je croyais que c’était toi, son ami?

L’accent de la barmaid était moins vif que son esprit, mais la voix qui susurrait en français depuis les enceintes rendait le dialogue laborieux.

— Stavros ne répond plus au téléphone depuis quelques jours, relança Mc Cash: je m’inquiète un peu.

— Je ne l’ai pas vu depuis au moins trois semaines, lâcha Dimitra en relevant la pompe à bière.

Cela correspondait plus ou moins à la date du naufrage. La petite brune servit le demi qu’elle avait entre les mains, prit une autre commande. Mc Cash fuma en observant la foule, des habitués d’après leur façon d’être, attendit que la fille revienne à la source.

— Tu ne sais pas si quelqu’un ici peut me renseigner à son sujet?

— Essaie Pirros, le DJ. C’est un de ses anciens auteurs, répondit Dimitra avant d’embarquer ses bières.

Le style musical changea — un remix de Radiohead qui sonnait comme du Trent Reznor. Mc Cash profita du moment pour aborder le DJ, sympathique et disert. Stavros Landis avait en effet publié son premier (et dernier) roman quatre ans plus tôt, mais avec la crise Pirros avait dû réintégrer l’appartement familial et oublier ses rêves d’écrivain. Il faisait depuis des extras dans les bars de nuit d’Athènes, parfois à Corfou ou sur les îles quand il avait un contrat. Pirros confirma qu’il croisait souvent son ancien éditeur au Rhinokéros, seul ou accompagné, que cela n’était pas arrivé depuis des semaines mais que Mc Cash n’était pas le premier à le chercher.