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Mc Cash grommela sous le regard incrédule de l’Irakien. Ça valait le coup d’aller jeter un œil.

8

Des collines de terres pelées piquées d’arbustes s’étendaient vers le nord, à perte de vue. Ils embarquèrent Khaled à bord du Kangoo et suivirent la route en construction sans croiser le moindre ouvrier. Les travaux entamés pour améliorer l’accès à cette zone peu développée semblaient avoir été abandonnés. Mc Cash stoppa la voiture quelques kilomètres plus loin. La piste, jusqu’alors aplanie par des machines à rouleaux compresseurs, redevenait un champ de ruines… Ils cahotèrent jusqu’au hameau d’Exo Vathy sous un soleil abrupt qui brûlait les cailloux.

Le bourg comptait une douzaine de maisons en parpaings, rarement peintes, dont la moitié semblaient inhabitées. Quelques chats jouaient avec des squelettes de poissons près d’un bar-restaurant à l’abandon. Stavros connaissait le couple qui avait longtemps tenu la seule enseigne ouverte sur ce versant de la côte.

Argyro et son mari avaient plus de soixante-quinze ans, des rides à s’y perdre et des photos d’eux jeunes, un mariage en noir et blanc qui prenait la poussière sur les murs de la cuisine. Khaled avait repris courage — Leïla faisait partie des femmes que les deux hommes recherchaient — et mourait de faim; Argyro leur prépara du poisson frais en faisant la conversation.

Le couple avait cédé son vieux restaurant l’été dernier à un Grec d’Athènes qui, depuis, n’avait toujours pas donné signe de vie. La crise sans doute. Quant aux travaux de la piste, ils avaient stoppé cet hiver sans qu’on sache s’ils reprendraient un jour. Les touristes étaient rares par ici, l’état de la route ne les aidait pas. Ils avaient pensé que l’hôtel-casino construit au bout de la baie attirerait du monde mais c’était presque le contraire. Leur restaurant dorénavant fermé, les derniers pêcheurs avaient quitté le hameau d’Exo Vathy pour le sud de l’île, et presque personne ne venait par ici. La vente du cap entrant dans les programmes de modernisation du nouveau maire, une colline entière avait ainsi été privatisée.

L’hôtel-casino n’avait pas fait la moindre communication à Astipalea, dont la population locale n’était pas la clientèle visée. Les acheteurs avaient fait venir des travailleurs et des matériaux pour la construction du site, alimentant un peu plus les rancœurs.

— Ils arrivent tous par la mer, avec leurs bateaux de luxe! s’esclaffait la vieille dame. On croyait qu’ils allaient embaucher des gens du coin mais tu parles qu’ils s’en foutent!

Argyro mastiquait son amertume de ses dernières dents valides. Son mari avait poussé dans la baie du casino avec sa barque la semaine dernière, mais les pêcheurs non plus n’y étaient pas les bienvenus; on lui avait signifié qu’il se trouvait dans une zone privée et devait s’éloigner pour ne pas déranger les clients.

La moue de la vieille femme rappelait le poisson dans les assiettes. Stavros attaqua la tête, le plus goûteux paraît-il, commença par les yeux. À ses côtés Khaled dévorait, ragaillardi par les nouvelles qu’on lui donnait. Mc Cash, lui, n’avait pas faim. Il pensait toujours à Angélique, au sang de l’Afrique déversé là, dans la poussière. Il allait faire un tour au casino pendant que Stavros appelait Kostas.

*

Le soleil déclinait sur les collines. Le site était isolé, comme coupé du monde. Mc Cash stoppa le Kangoo devant la barrière qui délimitait l’accès au cap sous l’œil suspicieux d’un gardien en tenue civile.

— L’hôtel est complet, annonça-t-il. Et le casino ferme ce soir.

— J’ai une chambre à Chora et il est encore tôt, renvoya le borgne par la vitre ouverte. Je viens juste gagner de l’argent. Ou en perdre. Une heure me suffira.

Le type le scrutait derrière ses lunettes noires, guère emballé par son véhicule.

— La mise minimum est de mille euros, le prévint-il. Changeable contre des jetons.

— J’ai plus que ça en poche, mentit Mc Cash. Bon, je peux dépenser mon argent comme bon me semble ou il faut demander à voir le patron?

Le garde ayant consenti à relever la barrière, Mc Cash longea le sentier balisé et gara la voiture deux cents mètres plus loin sur le petit parking prévu à cet effet. Seule une berline prenait le frais sous les feuillus. Une rangée d’arbustes masquait en partie la façade de l’hôtel-casino, une longue bâtisse blanche adossée à la colline. Il y avait aussi des baraquements à l’écart, probablement ceux qui logeaient les employés. La baie de Vathy, seulement accessible par la mer, devait se situer de l’autre côté de l’établissement. Mc Cash garda ses lunettes de soleil et approcha du perron où deux hommes portant le même costume accueillaient les visiteurs. Ces derniers semblaient plutôt rares.

— Vous venez jouer? demanda le plus aimable.

— C’est un casino, non?

— Oui, mais il ferme bientôt.

— On m’a dit ça, oui. Je suis en vacances dans le coin et accro aux jeux, ajouta-t-il. C’est pour ça que je me fixe toujours une heure autour des tables, pas une minute de plus, que je gagne ou que je perde.

Il passa devant les types de la sécurité, sentit leurs regards dans son dos. Un sol de marbre blanc menait à la réception, elle aussi désertée. Il y avait un ascenseur au fond du hall mais aucun escalier. Une femme l’accueillit, tailleur strict et cheveux noirs attachés. La brune souriait pour la forme, visiblement peu inspirée par l’allure du client. Elle posa quelques questions auxquelles il répondit de manière évasive — un simple vacancier accro au jeu. Mc Cash laissa l’empreinte de sa carte bleue, pria pour que sa banque ne bloque pas l’opération, respira quand la fille fit glisser une pile de jetons rouges sur le comptoir.

— Prenez l’ascenseur, c’est au premier, indiqua-t-elle. Bonne chance, monsieur, ajouta-t-elle sans y croire.

Suivant ses recommandations, il grimpa à l’unique étage. Une double porte de bois verni donnait accès à la salle de jeu. Black-jack, roulette, poker, personnel en tenue réglementaire, musique lounge à peine audible, bar à cocktails, il y avait les ingrédients habituels d’un casino mais peu de monde autour des tables. Une dizaine de clients paressaient devant les tapis verts, tous masculins. Moyenne d’âge cinquante ans, blazer et chemise blanche majoritaires, peaux tannées par le soleil. Certains lui adressèrent un regard transparent. La plupart se contentaient de jeter les jetons au hasard des feutres, trompant l’ennui à coups de mises corsées.

Mc Cash observa les lieux, ne vit aucune ouverture sur l’extérieur susceptible de distraire les joueurs. Un barman secouait un shaker derrière un comptoir surmonté de verres, non loin d’un lourd rideau bordeaux — était-ce un mur aveugle ou une autre salle? Un type costaud rôdait à proximité de la tenture, chargé de la sécurité sans doute, surveillant l’assemblée d’un œil morne. Mc Cash prit bientôt place à la roulette, où deux joueurs conversaient en grec. Beaucoup de jetons sur le tapis, peu d’enthousiasme en retour malgré les efforts du croupier. Mc Cash se mit bien avec le personnel en offrant un de ses jetons, laissa la bille tourner sur la roulette.

Sa pile paraissait ridicule face aux monticules des deux Grecs. Mise minimum, cent euros. Il posa un jeton sur le noir pendant que les autres dispersaient leurs plaques, poursuivit son inspection visuelle. Il y avait une porte au fond de la salle, probablement le bureau du boss. La berline qui prenait la poussière dehors ne pouvait pas transporter tous les clients présents ici, ils venaient donc de la baie, des bateaux, se rendant dans la salle de jeu par une autre entrée.