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Elle fit signe que oui.

Le garde grésillait toujours derrière la porte capitonnée. Mc Cash passa le premier. Il avait le Glock à la main, deux chargeurs dans les poches, la femme qu’il aimait dans son dos et sept jeunes migrantes resserrées comme un banc de poissons autour d’elle. Il guetta les mouvements dans le dédale des couloirs, bifurqua sur la gauche, braqua le pistolet à mesure qu’ils progressaient mais il n’y avait personne dans sa ligne de mire. Soudain, il fit signe aux filles de ne plus bouger: quelqu’un approchait. Il attendit, devina des pas à quelques mètres… Le type aussi le cherchait. Il semblait seul, la peur pour compagne — l’odeur du stress se faisait plus prégnante. Mc Cash retint son souffle, ce n’était plus qu’une question de secondes, sentit qu’une main invisible le poussait en avant, jaillit ventre à terre et tira deux fois coup sur coup.

L’homme reçut la première balle dans la jambe, l’autre à l’abdomen: il resta incrédule, un type de vingt ans à la fine moustache qui ne cadrait pas avec le décor. Mc Cash reprit sa respiration tandis que le jeune homme s’affalait doucement contre le mur, les mains serrées sur son estomac. Celles du borgne tremblaient. Qu’est-ce que ce gosse fichait là?

Il atteignit l’escalier de service dans un état second puis le grand hall où bruissait la fontaine, les filles sur les talons. Le comptoir de la réception était désert. On apercevait les lumières de l’extérieur qui donnait sur la mer mais pas trace de Stavros.

— Bon Dieu, où il est passé? grogna Mc Cash.

— Il nous attend peut-être au ponton? chuchota Angélique par-dessus son épaule.

— Tant pis, allons-y.

La troupe allait s’enfuir par le jardin quand une voix traversa les ondes.

— Qui tu es, toi?!

Varon Basha avait un pistolet pointé sur eux. Trois hommes armés l’accompagnaient, tenant en respect une douzaine de femmes apeurées. De nouvelles réfugiées qui venaient d’accoster dans la baie. Il y eut une seconde de flottement. Le géant albanais approcha de la fontaine, entouré par sa garde rapprochée. Mc Cash n’avait pas lâché son arme. Plusieurs captives le cachaient en partie: s’il tirait, ce serait un carnage et Angélique la première cible à ses côtés. Mais il ne se rendrait pas. À personne. Le chef du réseau sentit vite le danger: il s’arrêta à cinq mètres, le calibre bien calé dans sa main. Il ne voulait pas le tuer. Pas maintenant.

— C’est toi, Varon Basha?

— Tu connais mon nom…

— Celui de Zamiakis aussi, le propriétaire du Jasper.

L’Albanais comprit l’engrenage qui l’avait mené là.

— C’est pas recommandé de fouiner dans mes affaires. On t’a pas dit ça?

— Peu importe, renvoya Mc Cash. Laisse-nous partir, c’est tout ce qu’on demande.

Varon Basha goûta le moment de puissance.

— Tu préfères quoi, dit-iclass="underline" qu’on commence par toi ou par tes négresses?

Angélique eut un rictus. Les femmes d’instinct s’écartèrent. Varon Basha allait tuer l’homme qui avait tout risqué pour les sauver, au moment même où elles croyaient s’échapper.

— Non, s’interposa Zeïnabou. Non. Laissez-nous partir.

La jeune Somalienne fit deux pas et se tint en bordure de la fontaine, à mi-chemin des hommes armés. La voyant faire, Saadia l’imita, puis une, deux autres femmes.

— Laissez-nous partir, répéta Zeïnabou.

— Oui.

— Oui.

Varon Basha observa la scène, un instant interloqué, et partit dans un grand éclat de rire. Un rire qui durait trop longtemps.

— Il va vous tirer dessus, les informa Mc Cash.

— Vous croyez quoi, bande de petites merdeuses?!

Mc Cash bondit à la seconde où il fit feu, contourna la fontaine au milieu des cris de panique et pressa plusieurs fois la détente. Tout le monde s’était jeté à terre ou cherchait à fuir. Varon Basha abattit Zeïnabou en premier, d’une balle au thorax, puis sa voisine immédiate, en plein cœur. Le pistolet crachait la désolation et la mort, les corps des femmes tombaient au bout de son bras pour un dernier massacre, Varon Basha se frayait au forceps un chemin jusqu’à Mc Cash, son ennemi intime, celui qui s’imaginait voler ses femmes. Il pressait la détente pour se soulager d’un mal obscur, vidait son chargeur sur les femmes à terre, les impacts les faisaient rebondir comme des marionnettes, celles qui hurlaient et tentaient de se réfugier derrière les piliers en stuc, bang, bang, Varon Basha les voyait se contorsionner sous la pression de son index, une giclée de sang chaud inonda sa joue, ses hommes aussi tiraient tous azimuts, les projectiles fusaient à ses oreilles et il pressait toujours la détente, sûr de tomber sur sa cible, ce n’était qu’une question de secondes, les hurlements brouillaient ses ondes autant qu’ils galvanisaient sa rage, Varon Basha vit sa vie défiler dans la ligne de mire du pistolet lorsque soudain son poumon explosa.

Le géant fut frappé de stupeur. Le choc hydrostatique le fit reculer d’un mètre, près de la fontaine maintenant teintée de sang, mais il tenait encore debout. Que se passait-il? Il vit ses hommes à terre, leurs corps désarticulés comme tombés d’un immeuble, le visage ensanglanté ou foudroyé par l’acier brûlant, et le doux bruissement de l’eau pour oraison funèbre. Ses jambes se dérobèrent.

Varon Basha ne comprit pas tout de suite qu’il allait mourir: c’est en distinguant le borgne au-dessus de lui qu’il sourit.

Mc Cash était seul debout au milieu du carnage, une odeur de poudre suspendue, rempli de colère.

— Tu avais besoin de tirer, connard?

Les cris faisaient place à des gémissements. L’Albanais tenta de dresser la tête. Le pistolet reposait à quelques centimètres mais il ne pouvait pas bouger la main pour s’en saisir. Cette fois-ci il ne s’en sortirait pas. Il devenait froid comme le marbre qui l’accueillait. Qu’importe, qu’importe la mort puisqu’il la suivait depuis si longtemps.

Mc Cash fouilla ses poches, trouva une liasse de dollars, deux téléphones portables, une matraque télescopique et une clé crantée. Il embarqua le tout, le cœur à cent pulsations, repoussa le pistolet et laissa Varon Basha agoniser sur le marbre.

Angélique se tenait au chevet de Zeïnabou, la petite Somalienne qui s’était interposée la première face aux tueurs.

— Ça va? demanda Mc Cash.

— Moi, oui…

Zeïnabou ne respirait plus, un trou noir dans la poitrine. Il posa sa main sur la nuque d’Angélique, en signe d’affection. Autour d’eux, l’affliction se mêlait au soulagement d’avoir été épargnées. Les réfugiées se relevaient avec peine, tremblantes, encore silencieuses après le choc de la fusillade. Cinq femmes avaient perdu la vie sous les balles du trafiquant, d’autres retenaient le sang de leurs blessures avec ce qui leur tombait sous la main. Angélique parait au plus pressé quand Stavros apparut dans le hall dévasté.

— Bon Dieu, je croyais qu’ils t’avaient tué, gronda Mc Cash.

— Je guettais dehors quand j’ai entendu les moteurs des pick-up, mais je n’ai pas eu le temps de te prévenir. Et je ne sais pas me servir de ça…

Stavros regardait le browning qu’il tenait à la main comme un bouquet de fleurs mortes.

— Aide Angel à grimper les blessées à bord, abrégea l’ex-flic. Il faut qu’on soit partis dans dix minutes.

Il gravit l’escalier, le Glock à la main.

10

La nuit les avait engloutis. Maintenant le vent fraîchissait, le moteur ronronnait sous l’écume et ils n’arrivaient pas à dormir. Ce n’était pas la première fois. Ensemble la tension avait tendance à déborder sur la tendresse, les années n’y changeaient rien, et s’ils avaient imaginé d’autres retrouvailles, se serrer sur le pont d’un yacht à des milliers de kilomètres de drames anciens leur faisait l’effet d’un baiser perdu. Les coups, le sang, la douleur et la mort, Mc Cash était resté le même. Angélique lui pardonnait tout. Ils avaient croisé des poissons volants tout à l’heure, traînées de poudre scintillant sous la lune. Le bateau filait entre les vagues à sa vitesse de croisière, la mer était peu formée, inoffensive après ce qu’ils avaient vécu… Leurs langues aussi se délièrent.