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Mc Cash avait profité de l’accalmie pour appeler Alice en Bretagne. Les choses ne s’arrangeaient pas avec Marie-Anne, elles semblaient même empirer. «Je reviens bientôt», avait-il assuré pour couper court. Angélique n’avait pas bronché en apprenant l’existence de sa fille. Un accident à l’entendre. Un accident d’amour, dont il s’était fait une spécialité… Enfin, l’ex-flic avait ratissé les papiers dans le coffre du casino sans savoir ce qu’ils contenaient, mais en découvrant leur contenu, Stavros et Kostas avaient trouvé du pain pour leur planche pourrie — une expression du borgne qui résumait l’état de la justice grecque.

Kostas avait remis les précieux papiers au juge anticorruption, qui dorénavant suivait l’affaire de manière officielle. Il y avait là de quoi prouver les liens entre le crime organisé et le consortium monté lors de l’acquisition du cap d’Astipalea, dont Zamiakis détenait la majorité des parts.

La tuerie de l’hôtel-casino défrayait la chronique mais s’il serait difficile de convaincre les clandestins de témoigner contre leurs bourreaux, le juge Lapavistsas avait appelé le maire d’Astipalea: questionné sur les travaux interrompus sur la piste dans le nord de l’île, Victor Kaimaki avait confirmé que les crédits européens avaient été bloqués lors du bras de fer opposant Syriza et la troïka et que, malgré la reddition du gouvernement, ils ne voyaient toujours pas la couleur de l’argent pour finir la route.

Quant au site hôtelier dans la baie de Mesa Vathy, il appartenait bien à un consortium à majorité grecque dont la vente avait été supervisée par un fonds gouvernemental, le Taiped, l’organisme d’État chargé de vendre les biens publics. Selon Kaimaki, tout s’était passé selon les règles, la mairie se chargeant simplement des papiers administratifs. Le maire n’avait pas dit si Yanis Angelopoulos, le président du Taiped, avait dirigé lui-même la transaction, si son ami Zamiakis ou un de ses émissaires lui avait donné une enveloppe pour faciliter la vente du cap et arrêter les travaux de la route pour dissuader les touristes locaux, mais la piste était brûlante et le juge jurait qu’il ne la lâcherait pas.

Kostas avait tenté de convaincre Mc Cash et Angélique de témoigner mais ils avaient refusé en bloc: ce n’était plus leur histoire.

*

Stavros les accompagna à l’aéroport d’Athènes, un matin de juillet écrasé de soleil. C’était étrange de se quitter après ce qu’ils avaient vécu.

— Ton look de vieille pute va me manquer, professa Mc Cash.

— Ta bonne humeur aussi! railla le Grec.

Ils se séparèrent sur le parking après une franche accolade et la promesse de se tenir au courant des suites de l’affaire. Enfin, Mc Cash sortit une enveloppe de sa nouvelle veste, qu’il tendit à Stavros.

— Tiens, dit-il, c’est ta part. Pour le dédommagement. Sans toi, je serais encore en train de bronzer à la terrasse d’un bar d’Astipalea.

Stavros ouvrit les pans de l’enveloppe, découvrit les billets de banque. Il y avait l’équivalent de dix mille euros en liquide, et quelques bijoux raflés dans le coffre du casino.

— Si c’est de l’or, ça devrait t’aider à remonter ta maison d’édition, avança Mc Cash.

L’intéressé hocha la tête, à la manière des Grecs.

— Merci, dit-il.

On appelait les passagers à la porte d’embarquement. Angélique le serra une dernière fois.

— Efcharisto, vieux pirate. La prochaine fois, trouve-nous une vraie île au trésor.

Stavros partit dans un rire sonore, mais il ne répondit pas. C’était son île.

*

Ils arrivèrent à Nantes un matin d’été caniculaire qui n’épargnait pas la Bretagne. Un retour en douceur, croyait-il. Angélique et Mc Cash sortirent de la zone de débarquement mais une mauvaise surprise les attendait: Yann Lefloc, le détective privé de la famille Kerouan.

Lefloc portait une veste à carreaux sur ses épaules de déménageur un peu trop porté sur la bière, son crâne dégarni luisait de sueur, fracassés par la portière de la Jaguar dix jours plus tôt, les deux ongles de sa main droite avaient d’abord noirci avant de tomber, mais le petit air satisfait qui traversait son visage n’augurait rien de bon.

— Alors Mc Cash, sourit-il en guise de bonjour, qu’est-ce qu’on fabriquait en Grèce?

L’Irlandais eut un rictus déplaisant — la sangsue ne le lâchait pas d’une semelle.

— Eh oui mon vieux, poursuivit Lefloc en voyant sa tête, je sais que tu as pris un vol pour Athènes la semaine dernière…

— C’est qui, ce type? maugréa Angélique.

— Le privé engagé par la famille Kerouan. Un naze.

— Bonjour Angélique. Je vois qu’on s’est réconciliée avec son ex… Venez donc dehors, nous serons mieux pour discuter.

Ils trouvèrent un coin de bitume à la sortie de l’aéroport, à l’écart des voyageurs pressés.

— Bon, abrégea Mc Cash, c’est quoi ton problème?

— Ce serait plutôt le tien, insinua Lefloc. Tu es parti en Grèce juste après qu’on a retrouvé une connaissance de Marc Kerouan assassiné chez lui, à Daoulas. Gilles Raoul, tu connais? Non? Parce que c’était pas beau à voir, il paraît… Il y avait un autre cadavre dans la salle de bains, avec la colonne brisée et une balle dans la tête. Un étranger, d’après ce qu’on m’a dit… Toi, tu en dis quoi?

— Je n’aime pas trop ta cravate, Lefloc. On dirait une saucisse.

— Tu riras moins quand je t’aurai collé les meurtres sur le dos.

— De quoi tu parles?

Lefloc n’eut pas besoin de consulter son carnet d’enquête, il était sur disque dur depuis la perte de ses ongles.

— Je vais vous raconter les choses à l’envers, mes mignons. Marc Kerouan, avocat fortuné, se rend en Grèce le 6 juin pour acheter le voilier de ses rêves. Mais il n’est pas seul, comme tout le monde le croit, puisque sa belle-sœur Angélique a pris le même vol. Comme Zoé, Angélique a obtenu la nationalité française en se mariant avec un autochtone, toi le borgne, et gagne un modeste salaire de travailleuse sociale. Angélique n’a pas grande perspective devant elle, ce qui n’est pas le cas de Zoé puisqu’elle a fait un beau mariage. Très liées, les sœurs décident de monter un coup fumant: Marc Kerouan se rendant à Athènes, Angélique, qui part souvent en mer avec l’avocat, se propose de l’accompagner. Marc Kerouan achète bien le voilier, un splendide Class 40, le 7 juin, puis il prend la mer et disparaît mystérieusement au large de l’Espagne sans qu’on retrouve son corps. Les recherches abandonnées, Marc Kerouan est déclaré disparu un mois plus tard, permettant à sa veuve de disposer de sa maison en attendant sa fortune personnelle, estimée à plusieurs centaines de milliers d’euros, hors patrimoine.

Angélique se retint de bondir.

— Tu as quoi dans le cœur, Lefloc, du foin? siffla Mc Cash.

— Laisse-moi plutôt continuer. Si Angélique avait été l’équipière de Marc Kerouan sur le voilier, elle aurait disparu en mer avec lui. Sa présence ici même signifie donc qu’elle est restée en Grèce, ceci pendant un mois. Qu’elle a organisé la disparition de son beau-frère dans des circonstances qui restent encore obscures, mais avec l’aide d’un ou plusieurs complices: un meurtre a priori parfait puisque, excepté sa sœur, personne ne sait qu’Angélique était avec lui. Elle reste planquée en Grèce pour qu’on n’associe pas son retour à la disparition de Marc Kerouan, fait la morte à Athènes en attendant de voir comment les choses se passent en Bretagne. Plutôt bien au départ, poursuivit le détective d’un air savant. Zoé joue son rôle de veuve éplorée mais les parents Kerouan se doutent de quelque chose et engagent un détective privé: moi. Je mets la pression sur Zoé. À partir de là, la machine se grippe. Marc Kerouan a-t-il parlé à des proches? Craignait-il quelque chose? La menace se faisant plus précise, les sœurs engagent l’ex-mari d’Angélique, un ancien flic à la dérive, pour faire le ménage. Gilles Raoul, un ami qui a régaté avec Marc, est retrouvé mort, électrocuté dans la baignoire de sa salle de bains. À ses côtés, un mystérieux homme des Balkans, lui aussi assassiné. Un Grec? Un homme complice du meurtre ou au contraire un témoin, tué alors que Marc venait révéler ce qu’il savait à l’ami Raoul? Mc Cash les liquide pour le compte des sœurs, et file en Grèce pour ne pas être mêlé au double meurtre de Daoulas. Vous n’avez pas lu les journaux depuis quinze jours, bien sûr puisque vous étiez à l’étranger, ajouta-t-il en mordant dans les mots, mais on ne parle que de ça… Pourquoi partir en Grèce, sinon pour retrouver son ex-femme, devenue sa complice de meurtre, et empocher la prime?