— Mais papa, je te jure!
— Bon Dieu, s’irrita-t-il, tu peux me dire pourquoi Marie-Anne inventerait des choses pareilles?
— Parce qu’elle est totale névrosée! C’est même toi qui le dis! rétorqua la préado. Et puis voler qui, Julie? On s’entend super bien, pourquoi je lui volerais quelque chose?!
Les larmes perlaient à ses cils de girafon. Mc Cash sentit qu’il se faisait avoir. Il alla chercher Julie, qui traînait dans le couloir en faisant semblant de ne pas écouter aux portes.
— On t’a volé quelque chose? lui demanda-t-il.
— Eh bien… Heu…
— Ah, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi! Réponds simplement à mes questions et tout ira bien. Alors?
— Ma mère a retrouvé un cédé à moi dans le sac d’Alice, expliqua bientôt la gamine. Elle a pensé qu’elle me l’avait volé.
— Un cédé de qui?
— Beyoncé.
— Je ne sais même pas qui c’est… Tu aimes ça, Beyoncé? dit-il à Alice.
— Bof.
— Il ne s’est quand même pas transporté tout seul jusqu’à ton sac, ce cédé, grogna-t-il. Et la copine de Julie, c’est quoi cette embrouille? Il paraît qu’elle est repartie en pleurs l’autre jour.
— Je ne sais pas! répondit Alice.
— Elle invente encore, peut-être?
Cette discussion commençait à lui taper sur le système. Il se tourna vers Julie.
— Bon, qu’est-ce qui s’est passé avec ta copine pour qu’elle parte dans cet état?
— Victoire? Mais ce n’est même pas une copine à moi, c’est nos mères qui sont copines! fit Julie. Elle veut toujours que je joue avec mais Victoire est chiante, toujours en train de se plaindre qu’elle a mal au ventre, que ceci que cela, elle ne parle que de l’argent de son père et chiale dès qu’on lui dit un mot de travers, pff!
Mc Cash ne s’attendait pas à ça. En tout cas, la nièce de Marco n’avait pas sa langue dans sa poche.
— Alors pourquoi ta mère traite Alice de pute?
— Parce qu’on se maquille! répondit Julie, décidée à défendre sa copine. C’est pour ça qu’elle nous traite. Ma mère n’aime pas les filles, c’est pas nouveau! Elle se plaint de sa mère tout le temps, qui la harcelait et tout, mais elle est pareille avec moi!
Père, ex-flic ou simple témoin de la maladie humaine, Mc Cash sut au ton employé que cette mioche disait la vérité. La banale et lamentable vérité du parent qui reproduit le mal subi sur sa progéniture… «Celui qui voit le monde laid et mauvais s’empresse de s’en venger», disait Nietzsche dans son souvenir: Alice en avait fait les frais.
Une rage sourde lui remonta des tripes.
— Dites-vous au revoir, les filles, dit-iclass="underline" nous, on s’en va.
Mc Cash aida Alice à regrouper ses affaires dans son sac, déposa un baiser sur la joue de Julie en lui souhaitant bonne chance dans la vie.
Marie-Anne attendait en bas, renfrognée mais contente du savon que la gamine avait subi. Puis elle croisa le regard du borgne qui revenait vers le salon et déchanta.
— Tu sais quoi, Marie-Anne? asséna-t-il à la face de la camionneuse. Julie fera comme toi: elle fuira sa mère à la première occasion. Bientôt. Sauf que ta fille a l’air moins conne que toi, et elle aimera la vie. La vie sans toi. Ça lui fera des vacances à elle aussi.
Il planta la sœur de Marco au milieu des tapis indiens, traversa le salon et prit la main d’Alice, qui recomptait les carrelages dans l’entrée. C’était la première fois — sa petite main chaude.
Il attendit d’être dehors pour lâcher ce qu’il avait sur le cœur.
— Je suis désolé d’avoir douté de toi, Alice. Je ne pouvais pas savoir que cette vieille sorcière mentirait.
— Ben putain, je suis soulagée!
— Dis donc, il va falloir essayer de parler un peu mieux si tu veux devenir une lady.
— Une femme normale, ça me suffira.
Mc Cash sourit — voilà que sa fille parlait comme lui…
Ils roulèrent jusqu’à l’Hôtel de la Baie des Trépassés, cent kilomètres plus au sud, où il avait réservé deux chambres pour la nuit. Alice le questionnant sur son enquête, il la baratina au mieux, lui parla d’Angélique, à coups de demi-vérités qui bout à bout faisaient une histoire plausible. La petite acquiesçait sur le siège humide, contente de retrouver son père. Enfin, elle oublia ce qui les avait séparés pour revenir à ce qui l’intéressait, le présent.
— Et… Heu… Au fait, dit-elle, pour le chat…
— Le chat?
— Celui qu’on prendrait si je m’amusais avec Julie…
— J’étais bourré quand j’ai dit ça, non?
— Non, c’était le matin, quand tu m’as laissée chez la sorcière.
— Elle m’avait jeté un sort, tu sais comment c’est.
— C’est pas drôle, le rabroua Alice. On en a même parlé au téléphone, la semaine dernière! Tu m’as promis.
— OK, dit-il pour la calmer, on verra ça quand on aura trouvé un point de chute.
— Une maison?
— Oui.
— Avec un jardin?
Elle s’enthousiasmait facilement, oubliant tout avec une vitesse qu’il lui enviait.
— Oui, dit-il. Tu pourras y mettre tous les bestiaux que tu veux. Des chats, des chiens, des vaches…
— Ha ha!
Il disait n’importe quoi pour la rendre un peu heureuse, et son rire cristallin lui fendait les os.
La journée touchait à sa fin lorsqu’ils atteignirent l’Hôtel de la Baie des Trépassés. Mc Cash dégringolait de fatigue mais fit l’effort de rester éveillé jusqu’au dîner. Alice n’avait jamais mangé de homard ni bu de champagne de sa vie; il commanda une bouteille dans la foulée de la première, puis, les homards s’avérant trop petits pour leur appétit, ils goûtèrent la langouste, moins fine mais plus exotique, qu’il avala avec un pouilly grand cru et quelques cognacs hors d’âge pour accompagner le café qui, vu son état d’épuisement, ne lui ferait plus rien.
L’addition serait corsée mais Mc Cash s’en fichait: il dormit dix heures de suite et se réveilla le lendemain, presque de bonne humeur. Ce n’était pas si fréquent. Il prit une douche, vit dans le miroir de la salle de bains que sa plaie se résorbait, s’habilla d’un pantalon noir et d’une chemise bleue couleur de ses yeux.
Alice avait déjà pris son petit déjeuner quand il sortit sur la terrasse de l’hôtel. L’océan grondait en déboulant dans la baie, un vent frais fouettait l’encolure des vagues sous un soleil frémissant. Elle vit les clés de la Jaguar qu’il tenait à la main.
— Tu vas où, à un mariage?
— Plutôt crever. Non, je vais juste régler un truc.
— Quel genre de truc?
La gamine se méfiait.
— Un truc avec Angélique. Le dernier, promis.
13
L’orage de la nuit avait fait place à un ciel changeant. Mc Cash n’avait pas eu le temps de remplacer la vitre cassée de sa Jaguar, le siège était encore imbibé et ce n’était pas le maigre soleil qui allait le faire sécher. Il claqua la portière et se dirigea vers la longère.
Zoé avait réintégré la maison familiale de Penmarc’h avec sa fille sans plus se soucier des fantômes qui pouvaient y rôder, et accueillait sa sœur le temps qu’elle se remette. Sa voiture était garée devant le garage, à l’ombre du grand chêne, mais pas celle de Zoé. Mc Cash ne savait pas ce qu’il dirait à Angélique, s’il venait lui faire ses adieux ou lui demander de partir avec eux. Alice avait besoin d’une mère — il était nul en père, il l’avait dit. Certes, la Sénégalaise n’était pas un modèle courant, il fallait s’accrocher aux branches quand passaient les tempêtes, mais elle était rock dans son genre, le cœur au larsen, et au maximum du voltage quand il s’agissait des autres. Mc Cash lui avait refusé un enfant lorsqu’ils étaient mariés, sous prétexte qu’il n’en voulait pas: Angélique voudrait peut-être celui d’une autre. Une famille vraiment nucléaire…