Выбрать главу

Seulement les mecs s’y prenaient comme des manches. Il suffisait de les voir. Prenez moi par exemple, qui revenais avec les calvas : une stature d’apache, des yeux de mangouste devant le cobra cracheur et pas foutu de se dégotter une fille : comme un manche…

12

Tous les diables derrière leur grillage

L’incident sur le bord de la route n’avait duré qu’une poignée de secondes mais Martial en garderait les séquelles. Son visage était sérieusement éraflé, voire lacéré après son éviction dans les ronces du fossé et son nez, tailladé de toute part, lui faisait mal, surtout lorsqu’il bougeait les narines. Il se taisait cependant : ils avaient perdu Alice par sa faute — c’était du moins la version de Luis. Il était même catégorique sur le sujet : à l’entendre, le Basque ne savait pas ce qui le retenait. De quoi, Martial n’en savait rien et ne voulait pas le savoir. C’est qu’il commençait à lui foutre les jetons, ce type, avec ses excès de violence incontrôlée, sa paranoïa et ses petits yeux vitreux qui vous regardaient de biais, cléricaux, méprisants…

Après qu’un paysan eut sorti la BM du fossé où son manque de sang-froid les avait précipités, ils reprirent la route en quête des fugitifs. L’ambiance, déjà tendue, virait à l’hostilité : quoique non déclarée, la guerre couvait. Martial avait la trentaine rondouillarde, l’intelligence pratique d’un employé de banque et la tonicité d’une limace : Luis l’écraserait, c’était juste une question d’humeur, il le sentait trop bien… Heureusement, ils retrouvèrent leur trace deux jours plus tard — un bled sur la côte, Locmaria-Plouzané, où le couple semblait résider : ils n’avaient qu’à suivre la mer jusqu’aux rochers de Trégana, c’était le petit chemin sur la gauche… Luis ne remercia pas les commerçants du village : la maison était vide.

— Hija de puta ! feulait-il.

Il avait reconnu les dessous d’Alice dans la chambre à l’étage. Rouge et blanc, avec un filet vert : les couleurs du drapeau d’Euskadi. La petite garce s’était bien foutu de lui…

Sept heures du soir. Luis fouinait à l’étage quand le sifflement de Martial, chargé de la surveillance au bout du chemin, le poussa vers le Velux : une Clio rose approchait, picorant bientôt les graviers du jardin.

Un couple de jeunes gens descendit de voiture et marcha jusqu’à la maison, main dans la main.

— Alice ? appelait le nouvel arrivant. Alice ?

Luis les cueillit à froid dans l’entrée du salon.

— Qui êtes-vous ? aboya-t-il.

Les jeunes gens sursautèrent. L’homme qui leur faisait face avait un nez aquilin, le teint hâlé, deux dents en or, les joues grêlées, creuses, et un je-ne-sais-quoi d’intensément dangereux dans ses yeux noirs et secs.

— Mais heu… Philippe Mavel, le propriétaire de la maison… Et vous ?

— Police. Vous connaissez ?

Deux photos surgirent de sa veste beige. En retrait, une blonde aux cheveux courts envoyait des regards farouches. Mavel se pencha sur le cliché, elle à peine.

— Bah ! oui : c’est Alice, répondit-il.

Échalas aux lèvres pulpeuses, un brin négligé, l’air de revenir de vacances, Philippe Mavel passa sa main sur ses cheveux ras sans comprendre.

— Où est-elle ?

— Ça, je ne sais pas…

Sa voix était douce. La blonde, elle, continuait d’envoyer des missiles. Luis la détesta aussitôt.

— Comment ça, tu ne sais pas ?

— Je lui ai prêté la maison pour la semaine. Je ne sais pas où elle est.

— Tu te fous de ma gueule ?

Quand Martial arriva, le visage du Basque avait changé.

— Mais non, je vous assure ! se justifia Mavel. On ne s’est même pas vus ! J’allais partir quand elle m’a téléphoné pour la maison : j’ai laissé les clés sous le paillasson et je suis parti à Angers pour mon stage de zen…

Luis les jaugea de son air maladif. La fille était jolie, pas l’air idiote. Lui plus naïf. Le genre jospiniste. Bien sûr, il mentait.

— Un stage de zen, hein…

Il saisit l’oreille du jeune type et tira d’un coup sur l’anneau fixé dans son lobe. Philippe cria en se jetant à terre, comme attiré par la douleur. La blonde cria aussi, avant de s’arrêter, la main sur la bouche. Son compagnon se tenait l’oreille en pestant.

— Mais vous êtes complètement cinglés !

— Où est Alice ?

— Mais je ne sais pas !

— Où est-elle ? répéta-t-il, détachant chaque syllabe.

— Mais puisque je vous dis que… Non, arrêtez ! Myriam n’a rien à voir avec cette histoire !

La jeune femme se débattait mais la poigne de Luis était trop puissante : il la traîna jusqu’au canapé, faisant pépier les canaris, et la projeta violemment sur le dossier. Dans le même mouvement, sentant une présence dans son dos, Luis frappa : Philippe, qui se précipitait, reçut le poing en pleine face. Un poing américain, sorti de sa poche en un éclair. Dans l’embrasure de la porte vitrée, Martial retint son souffle : Mavel titubait au milieu de la pièce, une main sur le visage, tentant de retenir le sang qui coulait de sa bouche. Une dent puis deux tombèrent sur le carrelage. Les gouttes le suivirent dans sa marche pathétique avant qu’il ne s’affale sur une chaise, visiblement K.O.

— Dis, tu crois pas que…

— Callate !

Martial recula. L’atmosphère s’était chargée d’électricité. Lui aussi avait peur. Sur le canapé, Myriam pleurait doucement. Luis s’approcha d’elle, un léger tremblement à la lèvre supérieure. De sa main ensanglantée, il releva le menton de la jeune femme, qui le regarda dans les yeux. Une saine rage déformait son visage. Il sourit :

— Où est Alice ?

La fille baissa la tête, ravalant les larmes qui affluaient dans sa gorge. Silence de mort dans la maison. Le Basque se tourna alors vers Philippe, à demi inconscient sur sa chaise. Son oreille était en charpie mais vu son visage, ça n’avait plus beaucoup d’importance. Visiblement satisfait, il essuya son poing américain sur le corsage de Myriam qui tremblait, recroquevillée sur le sofa.

— Va chercher dans les chambres, lança-t-il à Martial. Et restes-y.

L’homme ravala sa salive.

— Entiende ?

Alors seulement il déguerpit.

Lentement, Luis ferma la porte du salon. Les canaris faisaient un boucan de tous les diables derrière leur grillage.

13

Restes-y

Fessiers douloureux, os gelés, courbatures, ventre creux, langue chargée et aucun dentifrice à se mettre sous la dent : on s’était réveillés dans un piteux état après notre course de la veille. Abandonnant la plage aux romantiques, il nous avait encore fallu parcourir une trentaine de kilomètres avant de se séparer pour les courses de première urgence.

Le rendez-vous avait été fixé à trois heures sur l’embarcadère des ferries. Il était moins cinq : les bras encombrés de sacs, je déambulai sur le quai du port de Lorient. L’endroit était dangereux, raison pour laquelle je marchais en guettant les angles morts. Pour le moment, tout allait bien : sur le quai, c’était la foule des grands jours — Alice.