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À croire que les amphétamines lui ramollissaient le cerveau…

Filoc’h habitait Rochefort-en-terre, commune du Morbihan, une petite ferme retapée perdue au milieu de la campagne. Sorte de grizzly au pull élimé, le sexagénaire arrosait un plan de capucines lorsque Mc Cash gara sa Safrane dans la cour.

Un grand chien noir aboya une fois et vint renifler les roues du véhicule. Le policier claqua la portière, un œil sur le hangar adjacent, et avança vers la grosse tête rustique de Filoc’h. L’homme avait une voix de ténor, l’œil bleu ciel et aucune appréhension en voyant débarquer chez lui un borgne aux allures de flic.

— Qu’est-ce que vous voulez ? lança-t-il après un bref salut.

— Police, répondit Mc Cash.

— Désolé, je suis à la retraite.

— Je ne viens pas pour vous.

— Il n’y a personne d’autre ici. À moins que vous ne vouliez embarquer mon clébard. Lucky ! cria-t-il. Viens ici !

Le chien noir jappa, laissant couler un filet d’urine sur le pneu avant de la Safrane.

— C’est vous qui imprimez la revue de Le Cairan ?

— Oui.

— Vous savez que rien n’est légal dans cette affaire ?

— Oui. Par contre ce qui est légal, c’est de se faire payer en stock-options pour éviter de contribuer aux charges qui pèsent sur la collectivité et virer des types qui en bout de chaîne viendront nous quémander de quoi bouffer pendant que les zigotos qui ont fomenté le coup se gavent de dividendes…

Il posa son arrosoir, les yeux pétillants d’une rage intacte.

— Vous paraissez bien au courant de la mondialisation pour un ancien chef du FLB, insinua Mc Cash.

— La révolte n’a pas de frontière.

— Toujours gauchiste ?

Filoc’h haussa ses épaules de pilier.

— L’autonomie, c’est de l’histoire ancienne : le monde a changé.

— Fine analyse. Et Le Cairan, il partage ce type d’idées ?

— On milite un peu pour un monde moins con.

— C’est-à-dire ?

— Rien de bien méchant. Pour foutre la merde, la vraie, il ne suffit pas de refuser de se lever pour Danette.

Mc Cash eut un rictus déplaisant :

— Et il vous paye pour imprimer ce genre de conneries ?

— Non : c’est moi qui offre.

— Comment ça ?

— Ça coûte cher l’édition. C’est, disons, ma contribution à la société de consommation. Je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent, la maison est à moi et puis l’imprimerie, c’est pour le plaisir…

Il se tourna vers le hangar au fond du jardin.

— Hum… Bon, et Le Cairan, vous l’avez vu quand pour la dernière fois ?

— Fin juin, répondit-il, pour la publication du prochain numéro.

— Il paraissait comment ?

— Triste.

— Ah ouais ? Pourquoi ?

— Ça vous intéresse les histoires de famille ?

— Passionnément.

Filoc’h enfonça les mains dans les poches de son vieux jeans.

— Fred espérait obtenir la garde de sa petite sœur.

— Et alors ?

— Je ne sais rien de plus mais comme il n’a pas donné de nouvelles…

L’Irlandais alluma une cigarette.

— Vous connaissez sa famille ?

— Pas intimement.

— Et Alice Arbizu ?

— Alice ? reprit-il d’un air étonné.

— Vous la connaissez d’où ?

— Elle est venue manger un soir.

Visiblement, le souvenir était bon.

— Vous connaissez sa tante, n’est-ce pas ?

— De nom. Nous n’avons pas la même conception de la région…

— Et son frère, Martial ?

— Je connais pas de Martial.

— Et Alice ? C’est une autonomiste ?

— Ça m’étonnerait, estima-t-il, par contre c’est certainement une fille intéressante…

L’homme esquissa un sourire. Pas Mc Cash :

— Vous les croyez capables de faire des bêtises ?

— C’est drôle, éluda Filoc’h, pas plus tard qu’hier deux de vos collègues sont venus me poser la même question.

— Quels collègues ? Je n’ai pas de collègues.

— Un gros en sueur et un maigre, tout sec.

Tuvier et Orsillard. Des types de la DST. Il les avait vus traîner autour du bureau de la commissaire en compagnie de Legay…

— Qu’est-ce qu’ils ont demandé ?

— Si j’avais vu Fred. J’ai répondu la même chose qu’à vous.

— C’est tout ?

— Non : ils m’ont aussi demandé si un grand borgne avec une tête de con n’était pas venu me poser des questions ces temps-ci.

— Marrant. Alors ? reprit-il. Fred et Alice ?

— Oui, ils aiment bien faire des conneries.

— Quel style ?

— Eh bien, par exemple acheter un appareil jetable dans un Photo-Station, sortir du magasin et le jeter dans la rue.

Lucky flaira les chaussures anglaises du policier.

— Vous vous foutez de ma gueule ?

— Si je me foutais de votre gueule, vous en seriez sûr, inspecteur. Maintenant si vous voulez mon avis, Fred et Alice sont moins dangereux que vos collègues. Et s’ils étaient mêlés à l’affaire du député, car vous y pensez n’est-ce pas, ils ne prendraient jamais le risque de venir dans la maison d’un autonomiste à la retraite…

Mc Cash acquiesça, toujours en proie à ses nausées : Filoc’h avait joué franc-jeu — il en allait de l’avenir de son imprimerie clandestine.

*

Ainsi les types de la DST étaient sur ses talons. Soupçonnaient-ils Le Cairan ? Cherchaient-ils à l’entendre comme témoin éventuel du meurtre ? Il était le voisin du député et, après un silence qui durait depuis des jours, sa voiture venait d’être retrouvée dans un bois du Finistère, abandonnée…

Minuit trente-deux, premier étage : la lumière filtrait sous la porte de Gwénaëlle Magadec. Mc Cash appuya sur la sonnette, un truc kitsch en forme de rose des sables. La jeune femme apparut, vêtue d’une robe longue fendue aux mollets.

— Tiens tiens, dit-elle. L’inspecteur Mc Cash…

Son demi-sourire flirtait avec l’ironie. Trop mal en point pour tenir une conversation sérieuse, il lâcha :

— Je passais voir si vous n’aviez pas des nouvelles de votre copain, là, Fred…

— Vous auriez aussi pu téléphoner, rétorqua-t-elle sans façon. Non, aucune nouvelle.

Un peu de peau apparaissait par l’échancrure de sa robe.

— Et Philippe Mavel, vous le connaissez ?

— Philippe quoi ?

— Mavel.

— Non. Pourquoi, je devrais ?

— C’est un copain de Fred, hasarda-t-il.

— Je ne connais pas tous ses copains, dit-elle. Heureusement.

— Pourquoi ?

— Ils font trop de bruit pour moi.

Mc Cash grommela. Il n’avait toujours aucune nouvelle du propriétaire du pavillon : sa petite enquête l’avait mené à Angers, où un maître zen lui avait signalé que Philippe était parti deux jours plus tôt, a priori pour rentrer chez lui. Seulement personne n’avait de ses nouvelles depuis… Gwénaëlle sembla alors se rappeler quelque chose :

— Dites donc, c’est vous qui avez mis le bazar chez Fred ? Quand je suis montée arroser ses plantes, c’était pire que d’habitude !

— Vous avez ses clés d’appartement ?

— Oui, il m’a prêté son double. Il devait m’enregistrer un film au ciné-club…

Comme le policier semblait perdu dans le silence de ses pieds nus, elle ajouta :

— C’est tout ce que vous avez à me dire ?