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— Vous connaissez des ennemis à Frédéric ? demanda-t-il soudain.

— Non. Pas spécialement.

— Et la politique ?

— Quoi la politique ?

— Vous le croiriez capable de tuer quelqu’un ?

— Non. En tout cas pas un député.

— C’est-à-dire ?

— À ma connaissance, le député ne lui a rien fait.

Au-delà de son petit air provocant, Gwénaëlle Magadec semblait délivrer ses messages au compte-gouttes.

— Vous insinuez qu’il serait capable de se défendre si on l’attaquait ?

— Comme tout le monde.

— Rien de plus ?

— Rien de plus.

La Bretonne s’était renfrognée. Pourtant, il était persuadé qu’elle lui cachait quelque chose. Il faudrait peut-être utiliser une autre méthode… Il visionna le début de la cassette (il s’agissait bien de rugby), et accéléra la bande annonce du sponsor.

— Qu’est-ce que vous cherchez ?

Enfin la voix du commentateur tonna dans le salon :

— Ça, répondit le policier.

Le test-match enregistré le soir du meurtre se déroulait dans l’hémisphère Sud. Commencé à deux heures du matin, il avait dû s’achever dans la nuit… Mc Cash réfléchissait à toute allure. Voilà pourquoi Le Cairan n’avait pas prêté son magnétoscope : il comptait visionner le match le dimanche matin, chez lui, avant de programmer l’enregistrement pour Gwénaëlle et partir en vacances avec Alice… Or il ne l’avait pas fait. Pourquoi ?

Elle avait fini son thé vert.

— Ça ne vous dérange pas si je roule un joint ? demanda-t-elle au policier, alors concentré sur l’écran de télévision.

— Faites comme chez vous.

Il cherchait toujours. À ses côtés, la Bretonne faisait preuve d’une remarquable dextérité.

— On peut le partager si vous voulez ? s’enhardit-elle.

— Je suis en cure en ce moment.

— En cure de quoi ?

— C’est ce que j’aimerais savoir.

Elle passa doucement sa langue sur le collant.

— Quand vous avez regardé la vidéo pour la première fois, dit-il, vous vous souvenez si vous avez rembobiné ?

— Oui, j’ai rembobiné… Je ne comprends rien à votre histoire de vidéo, déclara Gwénaëlle revenant d’une longue apnée.

— Le Cairan n’est pas rentré chez lui dans la nuit de samedi à dimanche. J’en suis sûr, dit-il. Cette histoire d’enregistrement, ça ne colle pas. S’il ne devait pas revenir ce soir-là, il n’aurait pas enregistré le match de rugby mais votre film. Il comptait donc revenir.

— Sans doute.

Mc Cash consulta les premières pages de son carnet rouge, relut ses notes, ses listes.

— Vous avez parlé de bruits sourds au moment du meurtre, dit-il. « Peut-être des portes qu’on claque… »

— C’est vous qui l’avez dit, pas moi.

— C’était avant ou après le coup de feu ?

— Après je suppose.

— Et pourquoi pas avant ? Vous veniez de vous endormir, mais dormiez-vous vraiment ?

— J’étais fatiguée, je n’en sais rien.

Il regarda la femme assise près de lui ; ses yeux vagues lui indiquaient que l’imaginaire de la belle avait changé de cosmos. Mc Cash eut alors une idée. Une idée absurde.

— Dites-moi, je pense à quelque chose… Le code d’entrée de l’immeuble n’aurait pas changé ce week-end-là ? Je veux dire celui du meurtre ?

Gwénaëlle sortit de son coma extatique.

— Possible : il a changé dernièrement…

Elle réfléchit.

— Oui, en effet, dit-elle bientôt, le code a changé ce week-end-là puisque je l’ai utilisé pour la première fois en rentrant de chez mes parents à Vannes. J’avais pris le papier du syndic pour m’en souvenir. Je suis parfois tellement distraite…

La dernière phrase l’avait replongée dans ses rêveries.

— Attends-moi, je reviens, fit-il en la tutoyant soudain. Et surtout écoute bien…

Minuit, l’heure de la nuit. Mc Cash se tenait au milieu de la rue Duguesclin, évaluant la façade du bâtiment. Un son de cloche dans le ciel, des pavés mouillés par l’ondée du soir, personne ailleurs : il recula de deux pas sur le trottoir et planta sa semelle dans la porte d’entrée. Rebelles, les battants plièrent mais ne rompirent point. Il prit son élan et tapa de nouveau, plus violemment, plusieurs fois. Même résultat.

Mc Cash composa le code et grimpa au premier étage. Sa veste ruisselait sur le palier. Gwénaëlle Magadec ouvrit. Elle n’avait pas remis ses chaussures.

— C’était des bruits comme ça ?

Elle ne fit même pas semblant de réfléchir :

— Oui. Enfin, je n’en jurerais pas mais ça y ressemblait beaucoup : ça a duré un moment…

Elle sourit :

— Je ne devais pas dormir si profondément que ça…

Mc Cash ricana méchamment. Ainsi c’était donc ça : Le Cairan n’avait pas le nouveau code d’accès de l’immeuble.

Ses semelles grinçaient sur le parquet. Depuis la cime de ses cheveux, une goutte de pluie tomba sur sa joue. Imbibé, le cuir du bandeau avait déteint sur sa peau.

— Tu peux retirer ta veste, elle est trempée, dit-elle en passant devant lui. Et puis, ce n’est plus l’heure d’attraper des bandits…

Elle s’assit sur le canapé, déplia ses jambes sur la table basse. Le sourire malsain du policier avait changé devant ses pieds, posés comme des statues sur leur socle de bois… Nietzsche avait raison. La Magadec aussi.

Arturo, qui jusqu’à présent fermait les yeux, coinça ses pattes sous son poitrail. Mc Cash vint au chevet de cette brune aux pieds nus, qu’il caressa doucement, du bout des doigts. Les orteils étaient longs, lisses comme une pomme. Sur le sofa, Gwénaëlle ne disait rien ; elle fermait les yeux, comme son chat.

Alors il embrassa la peau diaphane au creux de sa cheville, ses phalanges douces, puis la plante magique de ses pieds…

19

T.R.M

La petite. Depuis que j’avais trouvé une raison de vivre, les sensations les plus contradictoires s’opposaient en moi : pour un peu, je me serais senti en vacances, comme lorsque, enfant, on sort de convalescence et qu’on découvre que l’été a commencé sans nous. Les perspectives aujourd’hui étaient énormes…

C’est en rangeant l’arme dans le sac que je trouvai un papier à carreaux, plié au fond du paquet de cigarettes :

Pour qui est la dernière balle ?

[] les Viocs

[] le flic

[] moi

[] TRM

20

Trop plaisir

Une nuée de mouettes stationnaient sur les mâts des bateaux ; ça sentait la marée basse et le petit blanc sec dans le port de Houat. De volets bleus en roses trémières, Luis grimpa vers le bistrot qui dominait le site. Martial suivait.

Depuis le jour du double meurtre, il ne parlait plus. Il savait que Luis le tuerait à la première tentative de fuite et il avait vu ce qu’il avait fait de la fille. Ce n’est pas tant la mort que la souffrance qu’on redoute… Huit heures du soir. Les sept chambres de l’Hôtel des îles affichant complet jusqu’à l’année prochaine, les deux hommes traversèrent le dédale de ruelles qui constituait le bourg. Ils avaient mis une bonne dizaine de jours avant de comprendre pourquoi Alice avait appelé la colonie de vacances de l’île de Houat. Le chef scout ayant précisé au téléphone qu’aucune personne de ce nom n’avait cherché à le joindre, la piste aurait pu se perdre si un jour Luis n’avait déplié la dizaine de cocottes en papier trouvées dans le pavillon : chacune d’elle était confectionnée d’après une lettre officielle, rappel de banque ou attestation de chômage. Parmi ces papiers, une lettre du juge des affaires familiales où Le Cairan voyait son appel rejeté : il ne serait pas le tuteur de Mathilde, sa petite sœur.