À la mort des parents, j’avais fait une demande pour devenir son tuteur, mais je n’étais pas le seul : les Viocs aussi s’étaient manifestés, prétextant que je n’avais ni les moyens ni la moralité pour m’occuper d’elle… Et la justice venait de leur donner raison. J’avais essayé de revoir Mathilde, au moins pour lui expliquer, mais les Viocs n’avaient rien voulu savoir… En y repensant, je ne sais pas ce qui m’avait retenu de leur foutre sur la gueule… Où était-elle à cet instant précis ? En colonie ? Chez eux ? Je ne l’avais pas trouvée là-bas, ils l’avaient pourtant collée quelque part…
Un pauvre type ayant tordu l’antenne de la Poubelle, nous n’avions pas d’infos à la radio. Les nouvelles seraient de toute façon mauvaises et j’étais plus préoccupé par d’éventuels contrôles de police. La pendule du tableau de bord affichait six heures trente lorsque, après un long périple sur les départementales du centre Bretagne, Alice bifurqua en direction de Locmaria-Plouzané.
— Comment il s’appelle déjà, ton copain ?
— Philippe Mavel.
Locmaria-Plouzané était un village de bord de mer avec ses maisons blanches en ardoise, sa crêperie, ses bistrots, son entreprise de travaux publics, « Le petit coup de pelle », ses menhirs, son pigeonnier en ruine, son fort à l’abandon et ses batteries commandant la pointe où défilaient les tankers, sa plage familiale et ses « Lions de Trégana », le club de football. La maison de Philippe Mavel se situait à la sortie du bled, près des rochers susnommés, à l’abri d’un bosquet d’acacias qui bordait la départementale.
— On sera tranquilles ici, dit Alice en claquant la portière.
La pelouse du jardin laissait à désirer mais il n’y avait pas de riverains. Des grains de sable étaient éparpillés sur le paillasson : dessous, la clé de la maison. Je posai les sacs de victuailles sur les dalles, évaluai le jardin :
— Et si la police apprend qu’on est ensemble ? Ils vont vite savoir que tu es là…
— Allez entre.
Les papillons de nuit se suicidaient avec énergie à la lumière de la terrasse. Bien qu’affamé par cette journée de jeûne, j’avais à peine touché aux rougets d’Alice : il y avait le député, la police à nos trousses, Mathilde et ce maudit revolver…
Je me tournai vers elle, qui empilait les assiettes sur la table de jardin.
— Maintenant il serait temps que tu m’expliques, dis-je en substance. C’est quoi cette histoire de mode d’emploi ?
Deux soleils noirs luisaient dans mes pupilles. On jouait notre amitié dans cette affaire : ça me rendait nerveux. Alice redressa son mètre soixante-dix, évita mon regard chargé de reproches et fila vers le salon, emportant avec elle une cigarette et une bonne quantité de mystère féminin.
Quand elle réapparut, la boîte à chaussures trônait dans ses mains.
— Tiens, dit-elle en la posant sur la table. Tout est là.
J’ôtai le carton. Sur le livre de Lacenaire, cinq balles ricochaient dans les coins de la boîte. La trousse était devant moi, avec le revolver mais je n’avais pas envie d’y toucher.
— Sous le livre… précisa-t-elle.
Caché sous les Mémoires de Lacenaire, il y avait un petit carnet. Un bleu. En papiers collés sur la couverture, on pouvait lire : Activité ludique à hauts risques pour un été maussade ou Rachetez-vous une âme en six coups.
Je fronçai les sourcils :
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
Alice avait l’air embarrassée :
— Eh bien, lis…
Aujourd’hui c’est votre anniversaire. Peut-être certains de vos amis vous ont-ils ménagé une petite surprise ? Sans vouloir vous surcharger d’efforts, nous vous prions de bien vouloir remplir ce questionnaire (même si vous pensez que, dans le fond, c’est un jour à la con)…
1. Croyez-vous que ce jour soit l’occasion de :
a) tout envoyer promener
b) faire un bilan
c) s’allonger au soleil, s’il y en a, et ne penser à rien
d) prendre une bonne cuite
e) disparaître
f) ressortir du placard ses jouets d’enfant
g) s’inscrire à un stage de « cri primal »
h) jouer le jeu.
2. Pensez-vous qu’au cours d’une telle journée l’on puisse décider de changer tout, tout au moins sa vision du monde ?
a) c’est le jour ou jamais
b) ne préfère pas en parler
c) jour à la con, rien à en tirer
d) qu’est-ce qu’elle a, ma vision du monde ?
3. C’est votre anniversaire. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
a) déprimé et/ou euphorique
b) n’ai pas du tout envie de le savoir
c) en colère noire
d) proche du cri primal
e) refuse de répondre.
4. Maintenant imaginez : vous recevez pour cadeau d’anniversaire une boîte à chaussures dans laquelle vous trouvez : deux pinces, un livre, une épingle à chapeau, un paquet de feuilles à cigarettes, un revolver et six balles. De quel ordre est votre surprise :
a) reste sans voix
b) je n’en attendais pas moins
c) me suis trompé d’ami(e)
d) me mets en colère noire
e) n’ai aucune imagination
f) qu’est-ce que c’est encore que cette connerie ?
5. Vous choisissez de prendre le revolver pour :
a) tuer tout le monde
b) essayer d’impressionner vos amis et surtout vos ennemis
c) amuser la galerie
d) le porter sur vous, car il vous donne de l’importance
e) le transformer en vase
f) dire que vous êtes désolé mais ça ne colle pas du tout avec votre look
g) enfin comprendre qu’il s’agit d’un jeu.
6. Vous avez avoué plus haut que cet anniversaire pouvait être le moment de faire un bilan, tout au moins de jouer le jeu.
a) vous attendez que les objets enfermés dans la boîte à chaussures s’animent et vous révèlent votre mission