Quant mort sera, vous lui ferez chaudeaux!
Ou gist, il n'entre escler ne tourbillon;
De murs espoix on lui a fait bandeaux.
Le lesserez la, le povre Villon?
Venez le voir en ce piteux arroy,
Nobles hommes, francs de quars et de dix,
Qui ne tenez d'empereur ne de roy,
Mais seulement de Dieu de Paradiz;
Jeuner lui fault dimenches et merdiz,
Dont les dens a plus longues que ratteaux;
Aprés pain sec, non pas aprés gasteaux,
En ses boyaulx verse eaue a gros bouillon,
Bas en terre – table n'a ne tresteaux -.
Le lesserez la, le povre Villon?
Princes nommez, ancïens, jouvenciaulx,
Impertez moy graces et royaulx seaulx
Et me montez en quelque corbillon.
Ainsi le font, l'un a l'autre, pourceaux,
Car ou l'un brait, ilz fuyent a monceaux.
L e lesserez la, le povre Villon?
Requ ê te à Monseigneur de Bourbon
Le mien seigneur et prince redoubté,
Floron de lis, roialle geniture,
Françoy Villon, que Tavail a dompté3
A coups orbes, a force de batture,
Vous supplie par cest humble escripture
Que luy faciez quelque gracïeux prest.
De s'obliger en toutes cours est prest,
Se doubte avés que bien ne vous contante:
Sans y avoir dommage n'interest,
Vous n'y perdrés seulement que l'attente.
De prince n'a ung denier empruncté,
Fors de vous seul, vostre humble creature.
De six escuz que luy avés presté,
Lesquelx il mist pieça en nourriture,
Tout se paiera ensemble, c'est droiture;
Mais ce sera legierement et prest,
Car se de glan rencontre en la forest
Dentour Pactay et chastaignes ont vente,
Paié vous tient sans delay ni arrest:
Vous n'y perdrés seulement que l'attente.
Se je pouoie vendre de ma santé
A ung Lombart, usurier par nature,
Fault d'argent m'a si fort enchanté
Que j'en prendroie, ce croy bien, l'avanture.
Argent ne pend a gipon n'a saincture.
Biau Sire Dieux! je m'esbais que c'est,
Car devant moy croix ne se comparest,
Sinon de bois ou pierre, que ne mente;
Mais s'une foiz la vraye s'apparest,
Vous n'y perdrés seulement que l'attente.
Prince du lis, qui a tout bien complest,
Que pansés vous comment il me deplaist,
Quant je ne puis venir a mon entente!
Bien m'entendez, aydés moy, s'il vous plaist,
Vous n'y perdrés seulement que l'attente.
Au doiz de la letre:
Allés, letres, faictes ung sault,
Quoyque n'aiez ne piés ne langue,
Remonstrez en vostre harangue
Q ue faulte d'argent si m'assault.
Le D é bat du Coeur et du Corps de Villon
Qu'est ce que j'oy? – Ce suis je. – Qui? – Ton cueur,
Qui ne tient mais qu'a ung petit filet.
Force n'ay plus, substance ne liqueur,
Quant je te voy retrait ainsi seulet,
Com povre chien tapi en reculet.
– Pour quoy est ce? – Par ta folle plaisance.
– Que t'en chault il? – J'en ay la deplaisance.
– Laisse m'en paix! – Pour quoy? – G'y penseray.
– Quant sera ce? – Quant seray hors d'enfance.
– Plus ne t'en dis. – Et je m'en passeray.
– Que penses tu? – Estre homme de valeur.
– Tu as trente ans! – C'est l'aage d'un mulet.
– Est ce enfance? – Nennil. – C'est donc folleur
Qui te sasist? – Par ou? Par le collet?
– Rien ne congnois. – Si faiz. – Quoy? – Mousche en lait:
L'ung est blanc, l'autre noir. C'est distance.
– Est ce donc tout? – Que veulx tu que je tence?
Se n'est assez, je recommenceray.
– Tu es perdu! – G'y mettray resistance.
– Plus ne t'en dis. – Et je m'en passeray.
– J'en ay le dueil, toy le mal et douleur.
Se feusse ung povre ydiot et folet,
Encore eusses de t'excuser couleur;
Si n'as tu soing. Tout t'est ung, bel ou lait.
Ou la teste as plus dure q'un jalet,
Ou mieulx te plaist qu'onneur ceste meschance:
Que respondras a ceste consequence?
– J'en seray hors quant je trepasseray.
– Dieu! Quel confort! Quelle sage eloquence!
Plus ne t'en dis. – Et je m'en passeray.
– Dont vient ce mal? – Il vient de mon mal eur:
Quant Saturne me fist mon fardelet,
Ses motz y mist, je le croy. – C'est foleur:
Son seigneur es, et te tiens son varlet!
Voy que Salmon escript en son rolet:
«L'homme sage, ce dit il, a puissance
Sur planetes et sur leur influence.»
– Je n'en croy riens: tel qu'il m'ont fait seray.
– Que dis tu dea? – Certes, c'est ma creance.
– Plus ne t'en dis. – Et je m'en passeray.
– Veulx tu vivre? – Dieu m'en doint la puissance!
– Il te fault. – Quoy? – Remors de conscïence,
Lire sans fin. – En quoy? – Lire en scïence,
Laisser les folz. – Bien j'y adviseray.
– Or le retien! – J'en ay bien souvenance.
– N'attens pas trop, qu'il ne tiengne a plaisance!
P lus ne t'en dis. – Et je m'en passeray.
Probl è me [Ballade de la Fortune]
Fortune fuz par cleirs jadiz nommee,
Que toy, Françoys, crye et nomme murtriere,
Qui n'est homme d'aucune renomee.
Meilleur que toy faiz user en plastriere,
Par povreté, et fouyr en carriere:
S'a honte viz, te dois tu doncques plaindre?
Tu n'es pas seul; si ne te dois complaindre;
Regarde et voy, de mes fais de jadiz,
Mains vaillans homs par moy mors et roiddiz,
Et n'es, ce sais, envers eulx ung soullon.
Appaise toy et mect fin en tes diz,
Par mon conseil prens tout en gre, Villon!
Contre grans roys me suis bien anymee
Le temps qui est passé ça en arriere:
Priame occis et toute son armee,
Ne lui valut tour, donjon ne barriere.
Et Hannibal demoura il derriere?
En Cartaige par Mort le feiz actaindre,
Et Scypïon l'Affrequain feiz estaindre.
Julius Cesar au Senat je vendiz.
En Egipte Pompee je perdiz,
En mer noyay Jazon en ung bouillon
Et une foys Romme et Rommains ardiz.
Par mon conseil prens tout en gre, Villon!
Alixandre, qui tant fist de hemee,
Qui voulut veoir l'estoille poucyniere,
Sa personne par moy fut envelimee.
Alphasar roy en champ sur sa baniere
Ruay jus mort. Cela est ma maniere:
Ainsi l'ay fait, ainsi le maintendray,
Autre cause ne raison n'en rendray.
Holofernés l'idolastre mauldiz,
Qu'occist Judic – et dormoit entandiz -
De son poignart dedens son pavillon.
Absallon, quoy? en fuyant le pendis.
Par mon conseil prens tout en gre, Villon!
Pour ce, Françoy, escoute que te dis:
Se riens peusse sans Dieu de Paradiz,
A toy n'autre ne demourroit haillon,
Car pour ung mal lors j'en feroye dix.
Par mon conseil prens tout en gre, Villon!
Quatrain
Je suis François, dont il me poise,
Né de Paris emprés Pontoise,
Et de la corde d'une toise
S aura mon col que mon cul poise.
Ballade des pendus (L'Epitaphe Villon)
Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les coeurs contre nous endurciz,
Car, ce pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez ci, attachés cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéca devorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz