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Ils geignaient de détresse, et sur leur dos la voûte Versait comme une pluie un froid lourd goutte à goutte ; Ils suffoquaient, frappés par des souffles glacés, Des courants d'air de cave et des odeurs moisies Qui germaient là-dessous depuis cent ans passés. Et sur leurs cœurs, fardeau pesant, leurs poésies Mortes alourdissaient leurs efforts convulsifs, Et faisaient trébucher leurs pas lents et poussifs.

V

La femme s'abattit comme un ressort qui casse ; Lui, resta sans comprendre et l'attendit, debout, Inquiet, la croyant seulement un peu lasse, Car sa robe tremblait toujours. Puis tout à coup L'épouvante lui vint ainsi qu'une bourrasque. Il se pencha, lui prit les bras, et d'un effort Terrible, il la leva, quoiqu'il fût très peu fort. Mais tout son pauvre corps pendait, sinistre et flasque Il vit qu'elle étouffait et qu'elle allait mourir, Et pour chercher de l'aide il se mit à courir Avec de petits bonds effrayants et grotesques, Décrivant, sans la main qui lui servait d'appui, Au galop saccadé par son bâton conduit, Des chemins compliqués comme des arabesques. Son souffle était rapide et dur comme une toux. Mais il sentit fléchir sa jambe vacillante, Si molle qu'il semblait danser sur ses genoux. Il heurtait aux troncs noirs sa course sautillante, Et les arbres jouaient avec lui, le poussant, Le rejetant de l'un à l'autre et paraissant S'amuser lâchement avec cette agonie. Il comprit que la lutte horrible était finie, Et, comme un naufragé qui se noie, il jeta Un petit cri plaintif en tombant sur la face. Faible gémissement qu'aucun vent n'emporta ! Il entendit encor, quelque part dans l'espace, Les longs croassements lugubres d'un corbeau Mêlés aux sons lointains d'une cloche cassée. Et puis tout bruit cessa. L'ombre épaisse et glacée S'appesantit sur eux, lourde comme un tombeau.

VI

Ils restaient là. Le jour s'éteignit. Les ténèbres Emplirent tout le ciel de leurs houles funèbres. Ils restaient là, roulés comme deux petits tas De feuilles, grelottant leurs fièvres acharnées, Si vagues dans la nuit qu'on ne les trouva pas. Ils formaient un obstacle aux bête étonnées En barrant le sentier tracé de chaque soir. Les unes s'arrêtaient, timides, pour les voir ; D'autres les parcouraient ainsi que des épaves ; Des limaces rampaient sur eux, traînant leurs baves ; Des insectes fouillaient les replis de leurs corps, Et d'autres s'installaient dessus, les croyant morts.
Mais un frisson bientôt courut par les allées. Une averse entr'ouvrit les feuilles flagellées, Ruisselante et claquant sur le sol avec bruit. Et sur les deux vieillards qui grelottaient encore, La pluie, en flots épais, tomba toute la nuit.
Puis, lorsque reparut la clarté de l'aurore, Sous l'égout persistant des hauts feuillages verts On ramassa, tout froids en leurs habits humides, Deux petits corps sans vie, effrayants et rigides Ainsi que les noyés qu'on trouve au fond des mers.

Promenade à seize ans

La terre souriait au ciel bleu. L'herbe verte De gouttes de rosée était encor couverte. Tout chantait par le monde ainsi que dans mon cœur. Caché dans un buisson, quelque merle moqueur Sifflait. Me raillait-il ? Moi, je n'y songeais guère. Nos parents querellaient, car ils étaient en guerre Du matin jusqu'au soir, je ne sais plus pourquoi. Elle cueillait des fleurs, et marchait près de moi. Je gravis une pente et m'assis sur la mousse À ses pieds. Devant nous une colline rousse Fuyait sous le soleil jusques à l'horizon. Elle dit : « Voyez donc ce mont, et ce gazon Jauni, cette ravine au voyageur rebelle ! » Pour moi je ne vis rien, sinon qu'elle était belle. Alors elle chanta. Combien j'aimais sa voix ! Il fallut revenir et traverser le bois. Un jeune orme tombé barrait toute la route ; J'accourus ; je le tins en l'air comme une voûte Et, le front couronné du dôme verdoyant, La belle enfant passa sous l'arbre en souriant. Émus de nous sentir côte à côte, et timides, Nous regardions nos pieds et les herbes humides. Les champs autour de nous étaient silencieux. Parfois, sans me parler, elle levait les yeux ; Alors il me semblait (je me trompe peut-être) Que dans nos jeunes cœurs nos regards faisaient naître Beaucoup d'autres pensers, et qu'ils causaient tout bas Bien mieux que nous, disant ce que nous n'osions pas.

Sommation sans respect

Je connaissais fort peu votre mari, madame ; Il était gros et laid, je n'en savais pas plus. Mais on n'est pas fâché, quand on aime une femme, Que le mari soit borgne ou bancal ou perclus.
Je sentais que cet être inoffensif et bête Se trouvait trop petit pour être dangereux, Qu'il pouvait demeurer debout entre nous deux, Que nous nous aimerions au-dessus de sa tête.