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Il dévale du mont, roule dans les ornières, Perce d'épais fourrés pareils à des crinières, Et fait mille détours comme un loup qu'on poursuit ! Il s'arrête. – Son œil que la terreur dilate Guette de tous côtés s'il est loin d'un hameau ; Alors dans sa main creuse il fait fondre un peu d'eau, Pour effacer encor quelque tache écarlate ! Puis il repart. – Mais en son cœur surgit l'effroi D'errer jusqu'à la mort, sans rencontrer personne, Par la neige si vaste et sous un ciel si froid ! Il écoute. – Il entend une cloche qui sonne, Et va vers le village à pas précipités. Les paysans déjà causaient de porte en porte ; Il leur crie en courant : « Venez tous, Elle est morte ! » Il passe. – Il va frapper aux logis écartés, Répétant : « Venez donc, venez, je l'ai tuée ! » Alors une rumeur grandit, continuée Jusqu'aux hameaux voisins. Et chacun, se levant Et quittant sa maison, accompagne le pâtre. Mais lui n'arrête pas sa course opiniâtre ; Il marche. – Le troupeau des hommes le suivant Déroule par les prés sans tache un ruban sombre. Tout pays qu'on traverse augmente encor leur nombre ; Ils vont, tumultueux, là-bas, vers la hauteur Où les guide, essoufflé, leur sinistre pasteur !
Ils ont compris quelle est la femme assassinée, Et ne demandent pas ni pourquoi ni comment Le meurtre fut commis. Ils sentent vaguement Planer sur cette mort comme une Destinée.
Elle avait la Beauté, lui la Ruse ; il fallait Qu'un des deux succombât. Deux Puissances égales Ne règnent pas toujours. Deux Idoles rivales Ne se partagent point le ciel, et le Dieu laid Ne pardonne jamais au Dieu beau.
Sur la cime De la côte, et devant la hutte on s'arrêta. Il osa seul entrer en face de son crime, Et, ramassant la morte aimée, il l'apporta, Pour la leur jeter, nue, et d'un geste d'outrage, Comme s'il eût crié : « Tenez, je vous la rends ! » Puis il gagna sa hutte et s'enferma dedans. On l'y laissa, mordu d'amour, et plein de rage.
Sur la neige gisait le corps éblouissant Où n'apparaissait plus une goutte de sang ; Car les chiens, la trouvant immobile et couchée, L'avaient avec tendresse obstinément léchée. Elle semblait vivante, endormie. Un reflet De beauté surhumaine illuminait sa face. Mais le couteau restait planté, juste à la place Où s'ouvrait une route entre ses seins de lait. Sa figure faisait une tache dorée Sur la blancheur du sol. – Les hommes éperdus La contemplaient ainsi qu'une chose sacrée ! Et ses cheveux ardents, en cercle répandus, Luisaient comme la queue en feu d'une comète, Comme un soleil tombé de la voûte des cieux ; On eût dit des rayons qui sortaient de sa tête, L'auréole qu'on met autour du front des dieux !
Mais quelques paysans, des vieux au cœur pudique, Arrachant de leur dos la veste en peau de bique, Couvrirent brusquement sa claire nudité, Et les jeunes, ayant coupé de longues branches, Construit une civière et retroussé leurs manches, Par vingt bras qui tremblaient son corps fut emporté !
La foule, sans parole, à pas lents l'accompagne Et, jusqu'aux bords lointains de la pâle campagne, Rampe, comme un serpent, l'immense défilé. Et puis tout redevint muet et dépeuplé !
Mais le pâtre, enfermé dans sa hutte isolée, Sent une solitude horrible autour de lui, Comme si l'univers tout entier l'avait fuit. Il sort et n'aperçoit que la plaine gelée !… La peur l'étreint. N'osant rester seul plus longtemps, Il siffle ses grands chiens, ses deux bons chiens de garde. Comme ils n'accourent point, il s'étonne, il regarde ; Mais il ne les voit pas gambader par les champs… Il crie alors. La neige étouffe sa voix forte… Il se met à hurler à la façon des fous !
Ses chiens, comme entraînés dans le départ de tous, Abandonnant leur maître, avaient suivi la morte.

FIN

Poèmes divers

Edition originale

Sauve-toi de lui s'il aboie

(Poème rédigé à même le mur de La Fournaise, à Chatou)

Sauve-toi de lui s’il aboie ; Ami, prends garde au chien qui mord Ami prends garde à l’eau qui noie Sois prudent, reste sur le bord. Prends garde au vin d’où sort l’ivresse On souffre trop le lendemain. Prends surtout garde à la caresse Des filles qu’on trouve en chemin. Pourtant ici tout ce que j’aime Et que je fais avec ardeur Le croirais-tu ? C’est cela même Dont je veux garder ta candeur.

Le 2 juillet 1885

Au moment où Phébus en son char remontait...

Au moment où Phébus en son char remontait, Où la lune chassée à grands pas s’enfuyait, Je voulus faire un peu ma cour à la nature, Visiter les bosquets tout remplis de verdure, M’égarer dans les bois et longer les ruisseaux, Cueillir la violette, écouter les oiseaux. C’était l’heure où le Dieu sortant de sa demeure Laissait seule Thétis et fuyait devant l’heure. Alors le jour naissait, dissipait le sommeil Et trouvait le chrétien joyeux d’un bon réveil ; Alors le laboureur, plein d’un noble courage, Allait tout aussitôt reprendre son ouvrage. Je longeais en silence un mince filet d’eau Qui coulait doucement sous un ciel pur et beau. Tantôt il parcourait une plaine fleurie Et faisait cent détours à travers la prairie, Et tantôt dans son cours rencontrant un rocher, Il amassait ses eux pour se précipiter.