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Yvetot, 1863

Au bord de la mer

Près de la mer, sur un de ces rivages Où chaque année, avec les doux zéphyrs, On voit passer les abeilles volages Qui, bien souvent, n’apportent que soupirs, Nul ne pouvait résister à leurs charmes, Nul ne pouvait braver ces yeux vainqueurs Qui font couler partout beaucoup de larmes Et qui partout prennent beaucoup de coeurs. Quelqu’un pourtant se riait de leurs chaînes, Son seul amour, c’était la liberté, Il méprisait l’Amour et la Beauté. Tantôt, debout sur un roc solitaire, Il se penchait sur les flots écumeux Et sa pensée, abandonnant la terre Semblait percer les mystères des cieux. Tantôt, courant sur l’arène marine, Il poursuivait les grands oiseaux de mer, Imaginant sentir dans sa poitrine La Liberté pénétrer avec l’air. Et puis le soir, au moment où la lune Traînait sur l’eau l’ombre des grands rochers, Il voyait à travers la nuit brune Deux yeux amis sur sa face attachés. Quand il passait près des salles de danse, Qu’il entendait l’orchestre résonner, Et, sous les pieds qui frappaient en cadence Quand il sentait la terre frissonner Il se disait : Que le monde est frivole ! Qu’avez-vous fait de votre liberté ! Ce n’est pour vous qu’une vaine parole, Hommes sans coeur, vous êtes sans fierté ! Pourtant un jour, il y porta ses pas Ce qu’il y vit, je ne le saurais dire Mais sur les monts il ne retourna pas.

Étretat, 1867

Légende de la Chambre des Demoiselles à Étretat

Lentement le flot arrive                     Sur la rive
Qu’il berce et flatte toujours.
C’est un triste chant d’automne                     Monotone Qui pleure après les beaux jours.
Sur la côte solitaire                     Est une aire Jetée au-dessus des eaux ;
Un étroit passage y mène,                     Vrai domaine Des mauves et des corbeaux.
C’est une grotte perdue,                     Suspendue Entre le ciel et les mers,
Une demeure ignorée                     Séparée Du reste de l’univers.
Jadis plus d’une gentille                     Jeune fille Y vint voir son amoureux ;
On dit que cette retraite                     Si discrète A caché bien des heureux.
On dit que le clair de lune                     Vit plus d’une Jouvencelle au coeur léger
Prendre le sentier rapide,                     Intrépide Insouciante au danger.
Mais comme un aigle tournoie                     Sur sa proie, Les guettait l’ange déchu,
Lui qui toujours laisse un crime                     Où s’imprime L’ongle de son pied fourchu.
Un soir près de la colline                     Qui domine Ce roc au front élancé,
Une fillette ingénue                     Est venue Attendant son fiancé.
Or celui qui perdit Eve,                     Sur la grève La suivit d’un pied joyeux ;
"Hymen, dit-il, vous invite,                     “Venez vite, “La belle fille aux doux yeux,
“Là-bas sur un lit de roses                     “Tout écloses “Vous attend le jeune Amour ;
“Pour accomplir ses mystères                     “Solitaires “Il a choisi cette tour.”
Elle était folle et légère,                     L’étrangère, Hélas, et n’entendit pas
Pleurer son ange fidèle,                     Et près d’elle Satan qui riait tout bas.
Car elle suivit son guide                     Si perfide
Et par le sentier glissant.                     Bat la rive Mais lui, félon, de la cime,                     Dans l’abîme Il la jeta, – Dieu Puissant !
Son ombre pâle est restée                     Tourmentée, Veillant sur l’étroit chemin.
Sitôt que de cette roche                     On approche Elle étend sa blanche main.
Depuis qu’en ces lieux, maudite                     Elle habite, Aucun autre n’est tombé.
C’est ainsi qu’elle se venge                     De l’archange Auquel elle a succombé.
Allez la voir, Demoiselles,                     Jouvencelles Que mon récit attrista,
Car pour vous la renommée                     L’a nommée Cette grotte d’Étretat !