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A son pied le flot arrive                     Bat la rive Qu’il berce et flatte toujours.
C’est un triste chant d’automne                     Monotone Qui pleure après les beaux jours.

Non daté.

Mais dans le cloître solitaire...

Mais dans le cloître solitaire Où nous sommes ensevelis, Nous ne connaissons sur la terre Que soutanes et que surplis... Un poète est donc insensible ? Pour lui l’amour n’a point d’appas ? Non, voyez-vous, c’est impossible ! Oh ! ne vous imaginez pas Que, dans le cloître solitaire Où nous sommes ensevelis, Nous n’aspirions plus sur la terre Qu’aux soutanes et aux surplis !
Comment relégué loin du monde, Privé de l’air des champs des bois Dans la tristesse qui m’inonde Faire entendre une douce voix. Vous m’avez dit “Chantez des fêtes “Où les fleurs et les diamants “S’enlacent sur de blondes têtes “Chantez le bonheur des amants.” Mais dans le cloître solitaire Ou (sic) nous sommes ensevelis, Nous ne connaissons sur la terre Que soutanes et que surplis...

Non daté

Dernière soirée passée avec ma maîtresse

Il fallait la quitter, et pour ne plus me voir Elle partait, mon Dieu, c’était le dernier soir. Elle me laissait seul ; cette femme cruelle Emportait mon amour et ma vie avec elle. Moi je voulus encore errer comme autrefois Dans les champs et l’aimer une dernière fois. La nuit nous apportait et l’ombre et le silence, Et pourtant j’entendais comme une voix immense, Tout semblait animé par un souffle divin. La nature tremblait, j’écoutais et soudain Un étrange frisson troubla toute mon âme. Haletant, un moment j’oubliai cette femme Que j’aimais plus que moi. Le vent nous apportait Mille sons doux et clairs que l’écho répétait. Ce n’était plus de l’air le calme et frais murmure, Mais c’était comme un souffle étreignant la nature, Un souffle, un souffle immense, errant, animant tout, Qui planait et passait, me rendant presque fou, Un son mystérieux et qui, sur son passage, Réveillait et frappait les échos du bocage. Tout vivait, tout tremblait, tout parlait dans les bois, Comme si, pour fêter le plus puissant des rois, Et l’insecte et l’oiseau et l’arbre et le feuillage Parlaient, quand tout dormait, un sublime langage. Je restai frémissant : ce bruit mystérieux, C’était Dieu descendu des cieux.
C’était ce Dieu puissant si grand et solitaire Qui venait oublier sa grandeur sur la terre. Dieu las et fatigué de sa divinité, Las d’honneur, de puissance et d’immortalité, Des éternels ennuis où sa grandeur l’enchaîne, Qui venait partager notre nature humaine. Il avait choisi l’heure où tout dort et se tait, Où l’homme, indifférent à tout ce que Dieu fait, Attaché seulement à ses soins mercenaires, Prend un peu de repos qu’il dérobe aux affaires. Car c’était aussi l’heure où ce Dieu généreux Peut bénir et donner la main aux malheureux, L’heure où celui qui souffre et gémit en silence, Qui craint pour son malheur la froide indifférence, Délivré du fardeau de l’égoïsme humain, Sans craindre la pitié peut planer libre enfin. Dieu vient le consoler, il soutient sa misère, Il rend ses pleurs plus doux, sa douleur moins amère, Il verse sur sa plaie un baume bienfaisant. D’autres craignent encore un oeil indifférent, Et les regards de l’homme et les bruits de la terre. Ils cherchent aussi l’heure où tout est solitaire, Dieu les voit, il bénit le bonheur des amants. Invisible témoin, il entend leurs serments. Il aime cet amour qu’il ne goûtera pas Et dans les bois, la nuit, il protège leurs pas. Il était là, son souffle errait sur la nature, Paraissait éveiller comme un vaste murmure, Tout ce qu’il a formé s’animait et, tremblant, S’agitait au contact de ce Dieu tout-puissant, Et tout parlait de lui, le vent sous le feuillage, Et l’arbuste, et le flot caressait le rivage, Et tous ces bruits divers ne formaient qu’une voix : C’était Dieu qui parlait au milieu des grands bois. Tous deux nous l’écoutions et nous versions des larmes ; Quand on va se quitter, l’amour a tant de charmes ! Et nos pleurs, qui tombaient comme des diamants, Goutte à goutte brillaient sur les herbes des champs. Mais de cette belle soirée Et de ma maîtresse adorée Que restait-il le lendemain ? Seul le pâtre de grand matin, En conduisant au pâturage Son gras troupeau, vit sur l’herbage Les quelques gouttes de nos pleurs, Seule marque de nos douleurs ; Mais il les prit pour la rosée. “L’herbe n’est point encor séchée”, Se dit-il en pressant le pas. Hélas ! il ne soupçonna pas Que de chagrins et de misères Cachait cette eau sur les bruyères. Et ses brebis qui le suivaient Broutaient les herbes et buvaient Nos pleurs sans arrêter leur course, Mais rien n’en a trahi la source.

1868

Le dieu créateur

Dieu, cet être inconnu dont nul n’a vu la face, Roi qui commande aux rois et règne dans l’espace, Las d’être toujours seul, lui dont l’infinité De l’univers sans bornes emplit l’immensité, Et d’embrasser toujours, seul, par sa plénitude De l’espace et des temps la sombre solitude, De rester toujours tel qu’il a toujours été, Solitaire et puissant durant l’Éternité, Portant de sa grandeur la marque indélébile, D’être le seul pour qui le temps soit immobile, Pour qui tout le passé reste sans souvenir Et qui n’attend rien de l’immense avenir ; Qui de la nuit des temps perce l’ombre profonde ; Pour qui tout soit égal, pour qui tout se confonde Dans l’éternel ennui d’un éternel présent, Solitaire et puissant et pourtant impuissant A changer son destin dont il n’est pas le maître, Le grand Dieu qui peut tout ne peut pas ne pas être ! Et ce Dieu souverain, fatigué de son sort, Peut-être en sa grandeur a désiré la mort ! Une éternité passe, et toujours solitaire Il voit l’éternité se dresser tout entière ! Enfin las de rester seul avec son ennui Des astres au front d’or il a peuplé la nuit ; Dans l’espace flottait comme un chaos immonde ; De la matière impure il a formé le monde. Depuis longtemps la masse aride errait toujours, Comme Dieu solitaire et dans la nuit sans jours ; Mais les astres brillaient et quelquefois dans l’ombre Un beau rayon de feu courant par la nuit sombre Éclairait tout à coup le sol inhabité Cachant comme un proscrit sa triste nudité !