Non daté.
La Saint-Charlemagne
(texte incomplet)
Certes, mes bons amis, je ne sais rien de pire
Que de faire des vers quand on n’a rien à dire.
Depuis bientôt un mois j’attendais tous les jours
Une inspiration... Mais je l’attends toujours.
Ma verve s’est éteinte, il faut qu’on la rallume.
Mon pauvre esprit grelotte et ma Muse a le rhume.
Moi je dors... L’autre jour, soudain, Truffey me dit :
“Tu sais que nous fêtons notre saint, mercredi.”
Mercredi, Dieu puissant ! mercredi ! mais que faire ?
Invoquer Charlemagne, ou rester et me taire ?
“Charlemagne ! Ô grand saint ! Qui sait combien de fois
Tu rendis l’espérance au poète aux abois !
Combien de malheureux dont la Muse en détresse
De ton nom protecteur a caché la faiblesse !”
Et vers le paradis je dirige mes pas.
Nous abrégeons la pièce, qui est un peu longue. Le jeune Maupassant arrive au paradis. Saint Pierre le conduit auprès de Charlemagne, qui interrompt son dîner et l’accueille avec bienveillance :
Charlemagne pourtant, me prenant à l’écart :
“De mes desseins, dit-il, je veux te faire part.
France, oh ! mon beau pays, mes braves capitaines,
Mes vieux soldats durcis dans les guerres lointaines,
J’ai voulu que les fils de héros éprouvés
Ne soient pas des adolescents dégénérés.
J’ai fait de vous, enfants, une brave milice,
Et j’ai dans le collège introduit l’exercice.
En vos mains j’ai placé le fusil chassepot ;
De la France aujourd’hui vous portez le drapeau.
Que voulez-vous encor ?” “Un seul jour de vacance.”
“Comment ! En mon honneur vous avez fait bombance,
Vous avez eu deux jours ?” “Oh ! non, rien qu’un demi.”
“Un demi-jour pour moi ? Tu mens, mon bon ami.”
“Pardon, grand saint !...” Alors je lui contai l’affaire.
Tout le ciel frissonna du bruit de sa colère.
“Comment ! dans ce collège il n’est point de recteur ?”
“Il n’aime que l’étude.” “Et pas de proviseur ?”
“Oui nous en avons un et c’est pour nous un père.
Il est bon, nous l’aimons, mais il ne peut rien faire
Contre l’ordre d’en haut. On ne se plaindrait pas
Si nous allions chez nous au moins le Lundi gras.
On le donne à Paris, et nous – on nous en prive.”
“Morbleu ! dit-il, il faut de suite que j’écrive
Pour en demander compte à l’Université !
Je veux qu’entre vous tous règne l’égalité.
Même peine et travail et même récompense.
Vous aurez les jours gras, morbleu ! Est-ce qu’on pense
Que je vous laisserai maltraiter plus longtemps !
Allez, mes bons amis, vous serez tous contents.
Je ne suis pas si doux qu’on pourrait bien le croire !
Alcuin ! mon buvard ! vite ! mon écritoire !
Comment vont le calcul, le grec et le latin ?”
“Si le grec boite un peu, le latin va très bien,
Mais le calcul, hélas !...”
Mon Dieu, quelle tempête !
Alcuin me jeta son buvard à la tête.
Avec ce furieux je me crus en danger,
Et partis aussitôt sans demander congé.
1869
Souvenirs
Voyez partir l’hirondelle,
Elle fuit à tire d’aile,
Mais revient toujours fidèle,
A son nid,
Sitôt que des hivers le grand froid est fini.
L’homme, au gré de son envie,
Errant promène sa vie
Par le souvenir suivie
De ces lieux
Où sourit son enfance, où dorment ses aïeux.
Et puis, quand il sent que l’âge
A glacé son grand courage,
Il les regrette et, plus sage,
Vient chercher
Un tranquille bonheur près de son vieux clocher.
Rouen, 1869
Sur la mort de Louis Bouilhet
Il est mort, lui, mon maître ; il est mort, et pourquoi ?
Lui si bon, lui si grand, si bienveillant pour moi.
Tu choisis donc, Seigneur, dans ce monde où nous sommes,
Et pour nous les ravir, tu prends les plus grands hommes.
C’est ainsi que l’on meurt, infirmes que nous sommes,
Et c’est en vain, Seigneur, que ceux qui restent pleurent,
Que se fait-il au ciel quand partent de tels hommes ?
Oh ! ces gens-là, grand Dieu, pourquoi veux-tu qu’ils meurent ?
As-tu donc besoin d’eux dans ta gloire infinie ?
Il est mort, est-ce vrai ? Qu’est-ce donc que ces morts ?
Il ne reste plus rien, mais rien qu’un pauvre corps,
Rien de lui. Même pas ce bienveillant sourire
Qui nous attirait tant et semblait toujours dire :
“Mon ami je vous aime.” Et ce regard si beau,
Ce grand oeil clair et doux si plein d’intelligence,
On sent qu’il doit souffrir une horrible souffrance
Pour demeurer ainsi fixe dans son tombeau.
Mais non, c’est encore là l’insondable mystère.
Puisque le grain de blé renaît et sort de terre,
Puisque rien ne périt dans la création,
Puisque tout est progrès et transformation,
Il n’a fait que laisser sa dépouille mortelle.
Mais son âme, mon Dieu, maintenant que fait-elle ?
Nous a-t-elle quittés pour rejoindre si tôt
Tous ses grands frères morts qui l’attendaient là-haut ?
Dans quel monde inconnu va-t-elle errer, cette âme,
Cette âme de poète au grand oeil caressant
Qui nous lançait parfois un éclair si puissant
Qu’il nous éblouissait ainsi qu’un jet de flammes.
Et cet oeil... Il fait peur avec sa fixité
Et semble épouvanté d’une horreur inconnue
Comme s’il avait vu devant nous s’agiter
L’âme qui l’animait tout à coup revenue !...
Ah ! si vous l’aviez vu sous ses poiriers en fleurs,
Quand son bras sur mon bras, jasant en vieux rimeurs,
Il ouvrait sa belle âme aux longues causeries
Qui me laissaient après de longues rêveries,
Car il était si franc, si simple et naturel,
Pauvre Bouilhet ! Lui mort ! si bon, si paternel !
Lui qui m’apparaissait comme un autre Messie
Avec la clef du ciel où dort la poésie.
Et puis le voilà mort et parti pour jamais
Vers ce monde éternel où le génie aspire.
Mais de là-haut, sans doute, il nous voit et peut lire
Ce que j’avais au coeur et combien je l’aimais.