1869
L’espérance et le doute
Lorsque le grand Colomb, penché sur l’eau profonde,
A travers l’Océan crut entrevoir un monde,
Les peuples souriaient et ne le croyaient pas.
Et pourtant, il partit pour ces lointains climats ;
Il partit, calme et fort, ignorant quelle étoile
Dans les obscures nuits pourrait guider sa voile,
Sur quels gouffres sans fond allaient errer ses pas,
Quels écueils lui gardait la mer immense et nue,
Où chercher par les flots cette terre inconnue,
Et comment revenir s’il ne la trouvait pas.
Parfois il s’arrêtait, las de chercher la rive,
De voir toujours la mer et rien à l’horizon,
Et les vents et les flots jetaient à la dérive
A travers l’Océan sa voile et sa raison.
Comme Colomb, rêvant à de lointaines grèves,
Que d’autres sont partis, le coeur joyeux et fort,
Car un vent parfumé les poussait loin du port
Aux pays merveilleux où fleurissent les rêves.
L’avenir souriait dans un songe d’orgueil,
La gloire les guidait, étoile éblouissante,
Et comme une Sirène, avec sa voix puissante,
L’Espérance chantait, embusquée à l’écueil.
Mais la vague bientôt croule comme une voûte,
Et devant l’ouragan chacun fuit sans espoir,
Car le Doute a passé, grand nuage au flanc noir,
Sur l’astre étincelant qui leur montrait la route.
Paris, 1871
Les vœux
A Mademoiselle Louise de Miramont
On a beaucoup cherché ce qui doit rendre heureux,
C’est souvent peu de chose ;
Le bouton d’une fleur suffirait aux amoureux,
Jasmin, verveine ou rose.
Plus d’un savant docteur demande à tous les saints
Fièvre, rhume ou névrose,
Pour mieux administrer aux crédules humains
Boisson, pilule ou dose.
Maint obstiné dévot écoute avec respect
Sermon, office ou glose,
Et je sais maint curé qui se pâme à l’aspect
D’un lièvre ou d’une alose.
Coeur inconstant s’éprend de toutes les beautés,
Ninon, Lisette ou Rose ;
Pauvre poète aspire à voir lus et vantés
Tous les vers qu’il compose.
Moi, je voudrais des fleurs, le soleil bienfaisant,
Un livre, vers ou prose,
Du tabac de Turquie, un ami complaisant,
Qui fume, rit et cause,
Et suivant ma pensée errante qui s’enfuit
Dans la fumée éclose,
Je laisserais passer les chagrins et l’ennui
Devant ma porte close.
Voilà, jusqu’à ce jour où s’arrêtaient mes voeux,
Ainsi l’homme propose,
Mais un chant par hasard vint me prendre aux cheveux,
Car c’est Dieu qui dispose.
Votre voix est restée attachée à mes pas,
Ce qu’on aime s’impose.
Ah ! chantez le “Vallon”, vous ne voudriez pas
Refuser, je suppose.
Étretat, 11 mars 1871
Le sommeil du mandarin
Sur sa table de nacre au reflet argenté,
La lune souriait aux tours de porcelaine,
Et trois dames causant au milieu de la plaine
Jetaient comme cet astre une étrange clarté.
Et tandis que le vent soufflait au loin sa plainte,
Mollement étendu sur des tapis soyeux,
Sous les rayons fleuris de sa lanterne peinte
Le mandarin Von-Thang avait fermé les yeux.
Pendant qu’il regardait tranquillement la flamme
Qui versait du plafond ses filets de couleur,
Un songe était venu voltiger sur son âme,
Comme un oiseau de pourpre au-dessus d’une fleur.
Paris, 1872
Voici mon compliment
En ce joyeux temps de nouvelle année
L’usage prescrit de faire un cadeau.
L’un donne une fleur bien vite fanée,
L’autre un souvenir oublié bientôt.
Moi si de mon coeur suivais la prière,
Perles à vos pieds viendrais apporter,
Mais la bourse, hélas ! est la conseillère
Qu’avant notre coeur il faut écouter.
J’aperçois partout sur vos étagères
Heureux souvenirs, mignons et coquets,
Le troupeau fleuri des choses légères,
Les petits bijoux et les grands bouquets.
Or, ma bourse est vide et mon coeur soupire :
Si même un bouquet voulais vous donner,
Serait si chétif qu’il vous ferait rire
Et que ne pourriez me le pardonner.
Ne puis vous offrir de ces fleurs qui brillent,
Jasmin, rose ou lys, belle dame, mais
Dans mon jardinet chantent et scintillent
Floraisons du coeur, quatrains et couplets.
Ceci j’ai cueilli, c’est fort peu de chose.
Cherchant plus avant autre trouverais
Peut-être, mon Dieu ? Las, mon coeur ?... Je n’ose
Que bien volontiers je vous offrirais.