Nuit de Noël, 1872
A mon ami Louis Le Poittevin sur son mariage
Un conseil important au sujet du ménage
Est très souvent utile un jour de mariage.
Écoute-moi, mon cher, et songe à profiter
D’un avis qu’aujourd’hui mon coeur va te dicter.
Tu vas avoir besoin, je le crains, de cent choses
Dans des cerveaux de fous certainement écloses ;
Domestique, voiture et grand train de maison ;
Mais si l’on écoutait une juste raison,
On saurait mépriser des objets si futiles
Et s’attacher aux biens qui sont vraiment utiles.
On veut de grands valets, des chiens et des chevaux ;
Mais cela ne peut pas éloigner tous les maux
Qui trop souvent hélas séparent un ménage ;
Mets de côté crois-moi tout ce sot étalage
Et prends un bon ami, cela c’est un trésor,
Pour des époux surtout c’est une mine d’or :
Il entretient entre eux l’accord et la tendresse,
Il sauve la maison dans les temps de détresse ;
Il apporte la joie et le rire au foyer,
Et si de désespoir l’époux veut se noyer,
Si l’épouse s’en va la colère dans l’âme,
Il console monsieur et ramène madame :
Enfin c’est un bijou comme on n’en trouve pas...
Mais tu ris, je le vois, et marmottes tout bas
Quelques propos moqueurs ; je comprends ce sourire
Tout aussi bien que toi je sais ce qu’il veut dire.
Il est très vrai qu’un tiers incommode toujours
Dans la lune de miel consacrée aux Amours :
Car tu vas, étendu près des pieds de ta femme,
Lui vanter tes ardeurs, les transports de ta flamme,
Rêver, chanter, sourire, et les mains dans les mains
Oublier en aimant le reste des humains.
Vous voudrez lire ensemble et laisserez à terre
Le livre abandonné dans un bois solitaire.
Alors vous rêverez ; mais quand viendra le soir,
Vous vous étonnerez l’un et l’autre de voir
Que vous êtes restés sans tourner une page,
Sans que ta femme ait fait un point à son ouvrage.
Et puis vous reviendrez à travers les grands bois
Seuls avec votre amour, plus heureux que des rois :
Les yeux levés au ciel regardant dans l’espace
Du pâle astre des nuits glisser la blanche face
Qui répand sur la terre une tendre lueur ;
Si faible, qu’elle sert de voile à la pudeur,
Si douce qu’elle fait rêver et permet même
A l’époux bienheureux de voir celle qu’il aime ;
Et qui parfois s’amuse à leur montrer soudain,
L’ombre de quelque arbuste au milieu du chemin
Pour que la jeune femme encore douce amante
Se jette à son époux effrayée et tremblante.
Un tiers entre les deux serait aussi gêné
Que notre vieux Boileau dans son fatal dîné
Il incommoderait de sa sotte présence
Et sa conduite alors serait inconvenance.
Mais le jour succède au jour
L’un est pur l’autre sévère
Et les saisons tour à tour
Changent l’aspect de la terre.
Le printemps jonche de fleurs
Les champs et les vertes plaines ;
Puis l’hiver de ses rigueurs
Durcit les claires fontaines
Ainsi quelque jour l’Amour,
Comme l’ombre d’un nuage
Ternit l’éclat d’un beau jour,
Disparaît dans le ménage.
Quand la lune de miel a terminé son cours
On voit parfois s’enfuir la troupe des Amours.
Les époux irrités et mécontents sans causes
Se fâchent tous les jours pour la moindre des choses
Et tout va de travers : les marmots sont méchants
“Au diable, dit Monsieur, la femme et les enfants.”
Le vent lui fait chorus et gronde sous la porte,
La gelée ou la pluie empêchant qu’on ne sorte
Les forcent trop souvent tous deux à s’enfermer ;
Assis auprès de l’âtre ils regardent fumer
Deux bûches de bois vert, qui soupirant sans flamme
Récitent aux époux une triste épigramme.
Mais je n’ose prévoir les chagrins et les pleurs
Et la suite de maux de soucis de douleurs
Qui viennent à l’envi fondre sur le ménage
Où n’est point un ami pour détourner l’orage.
Heureux, heureux celui qui possède ce bien :
Pour qui n’a point d’ami, tout le reste n’est rien.
Lorsqu’entre les époux va fondre la tempête
Il attire souvent l’orage sur sa tête,
Et tous deux à l’envi pleins de mauvaise humeur
Déchargent sur lui seul leur haine et leur aigreur,
Puis naturellement le beau temps suit l’orage.
D’autrefois sans tempête il maintient le ménage
Et conserve la joie et la sérénité
Il fait céder de suite un marmot entêté,
Et sait tarir ses pleurs avec quelque caresse
Ou quelque brimborion qu’en partant il lui laisse.
Et quand Monsieur se fâche il l’emmène avec lui
Il lui rappelle alors le temps qui s’est enfui,
Leur jeunesse, leurs jeux, leurs longs éclats de rire,
Leurs auteurs favoris qu’ils aimaient tant à lire,
Les sentiers qu’en rêvant ils suivaient pas à pas.
Il répète ces mots : “Ne te souviens-tu pas
Nous parcourions alors dans ces jours pleins de fêtes
La campagne en chasseurs, la nature en poètes
Ne te souviens-tu pas de ce bienheureux temps ?”
Et tous les deux alors redeviennent enfants,
Et de rire et d’aller par les belles campagnes
De gravir en courant le sommet des montagnes ;
Et le soir quand l’époux revient à son foyer,
On ne l’aperçoit plus dormir ou s’ennuyer,
Son amour presqu’éteint se rallume en son âme,
Il est heureux alors de retrouver sa femme
Et de goûter près d’elle encor bien des plaisirs,
Car l’absence toujours ranime les désirs.
C’est ainsi qu’il revient encor tendre et fidèle.
Mais au tour de Madame à présent ; parlons d’elle
C’est scabreux, c’est critique, il me faut de l’aplomb
Mettons une sourdine et baissons notre ton
Car la femme n’est point, entre nous toujours bonne
Elle s’irrite vite et rarement pardonne
Tant pis... pour une fois croyons à sa bonté.
Heureuse d’avoir eu son jour de liberté
Et Monsieur s’en allant d’avoir été tranquille
Grâce à ce cher ami complaisant et docile
Elle en prend un grand soin et déclare avec tous
Que sans un bon ami c’en est fait des époux.
Aussi chacun pour lui se montre très aimable
Sa place est toujours prête, au salon, à la table,
On a partout pour lui les soins, l’attention
Mérités par le bien qu’il fait à la maison.