Les morts, sous leur suaire,
Tournent,
Tournent,
Tournent,
Tournent,
Les morts, sous leur suaire,
Tournent dans la nuit claire.
Le roi d’enfer,
Sombre et livide
A tout préside ;
C’est Lucifer.
L’horrible foule,
A ses accents,
En flots pressants,
S’agite et roule.
Et le bal monstrueux
Tourne,
Tourne,
Tourne,
Tourne,
Et le bal monstrueux
Tourne... et fait peur aux cieux.
Mais, comme un rêve,
Tout a passé,
Tout a cessé,
Le jour se lève.
A l’Orient,
Le ciel est rose,
L’insecte cause
Avec le vent.
Du coq la voix sonore
Chante,
Chante,
Chante,
Chante,
Du coq la voix sonore
Chante une belle aurore.
Non daté.
Sonnet
(également connu sous le titre : « Sonnet à Madame XXX »)
Un nuage a passé sur votre ciel, Madame,
Cachant l’astre éclatant qu’on nomme l’Avenir,
La douleur a jeté son crêpe sur votre âme
Et vous ne vivez plus que dans un souvenir.
Tout votre espoir s’éteint comme meurt une flamme,
Aucun lien parmi nous ne vous peut retenir,
Vous souffrez et pleurez, et votre coeur réclame
Le grand repos des morts qui ne doit pas finir.
Mais songez que toujours, quand le malheur nous ploie,
Aux coeurs les plus meurtris Dieu garde un peu de joie
Comme un peu de soleil en un ciel obscurci.
Et que de ce tourment qui ronge notre vie,
Madame, si demain vous nous étiez ravie,
Bien d’autres souffriraient qui vous aiment aussi.
Non daté.
A une dame, en lui envoyant le bout de la corde d’un pendu
Voici la corde d’un pendu
Que je mets à vos pieds, Madame,
C’est, pour une charmante femme,
Un présent bien inattendu.
Mais si, comme on l’a prétendu,
Cette corde est un sûr dictame
Pour les maux du corps et de l’âme,
Gage d’un bonheur assidu ;
Moi qui, plaignant le pauvre diable
D’avoir été si misérable,
Accusais le ciel malfaisant,
Moi dont le coeur était si tendre !
Voilà que je trouve à présent
Qu’il a fort bien fait de se pendre !
Non daté.
La Madone
I
Vous m’avez donné, Madame,
Un étrange chapelet
Qui m’a pris le coeur et l’âme
Comme un agile filet !
Où sont mes goûts de naguère ?
On me disait libertin !
Aujourd’hui je n’ai plus guère
Que des soifs de sacristain.
Je me prosterne et je prie,
Chaque jour à deux genoux,
La bonne Vierge Marie
Qui, d’en Haut, veille sur nous.
II
Je récite l’Angelus,
Brûlant d’une ardeur nouvelle !...
Mais ne vous étonnez plus...
Mon secret – je le révèle !
Au fond du ciel étoilé
La Vierge m’est apparue
Découvrant son front, voilé
Par un grand manteau de nue !
J’ai cru... N’ai-je point rêvé ?
Oui j’ai cru... Dieu me pardonne !
En bredouillant mes Ave
Que c’était vous la Madone.
Non daté.
Sous une gueule de chien
Sauve-toi de lui, s’il aboie ;
Ami, prends garde au chien qui mord.
Ami, prends garde à l’eau qui noie ;
Sois prudent, reste sur le bord.
Prends garde au vin d’où sort l’ivresse,
On souffre trop le lendemain.
Prends surtout garde à la caresse
Des filles qu’on trouve en chemin.
Pourtant, ici, tout ce que j’aime
Et que je fais avec ardeur,
Le croirais-tu, c’est cela même,
Dont je veux garder ta candeur.
Non daté.
Sur un éventail
A Madame la comtesse Potocka
Vous voulez des vers ? – Eh bien non,
Je n’écrirai sur cette chose
Qui fait du vent, ni vers, ni prose ;
Je n’écrirai rien que mon nom ;
Pour qu’en vous éventant la face,
Votre oeil le voie et qu’il vous fasse
Sous le souffle frais et léger,
Penser à moi sans y songer.
1889
On m’a dit qu’à des mains exquises...
On m’a dit qu’à des mains exquises
Cet éventail est destiné.
Pour y mettre mon nom je n’ai
Aucune des vertus requises.
Mais en rêvant à la Beauté
Qui me fait cet honneur insigne
Dont s’exalte ma vanité,
C’est à genoux que je le signe.