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Un air chaud me frappait, comme un souffle de forge, À chacun des soupirs qui soulevaient sa gorge. Les coups de son battoir me tombaient sur le cœur ! Elle me regardait d'un air un peu moqueur ; J'approchai, l'œil tendu sur sa poitrine humide De gouttes d'eau, si blanche et tentante au baiser. Elle eut pitié de moi, me voyant très timide, M'aborda la première et se mit à causer. Comme des sons perdus m'arrivaient ses paroles. Je ne l'entendais pas, tant je la regardais. Par sa robe entr'ouverte, au loin, je me perdais, Devinant les dessous et brûlé d'ardeurs folles ; Puis, comme elle partait, elle me dit tout bas De me trouver le soir au bout de la prairie.
Tout ce qui m'emplissait s'éloigna sur ses pas ; Mon passé disparut ainsi qu'une eau tarie ! Pourtant j'étais joyeux, car en moi j'entendais Les ivresses chanter avec leur voix sonore. Vers le ciel obscurci toujours je regardais, Et la nuit qui tombait me semblait une aurore !

II

Elle était la première au lieu du rendez-vous. J'accourus auprès d'elle et me mis à genoux, Et promenant mes mains tout autour de sa taille Je l'attirais. Mais elle, aussitôt, se leva Et par les prés baignés de lune se sauva. Enfin je l'atteignis, car dans une broussaille Qu'elle ne voyait point son pied fut arrêté.
Alors, fermant mes bras sur sa hanche arrondie, Auprès d'un arbre, au bord de l'eau, je l'emportai. Elle, que j'avais vue impudique et hardie, Était pâle et troublée et pleurait lentement, Tandis que je sentais comme un enivrement De force qui montait de sa faiblesse émue.
Quel est donc et d'où vient ce ferment qui remue Les entrailles de l'homme à l'heure de l'amour ?
La lune illuminait les champs comme en plein jour. Grouillant dans les roseaux, la bruyante peuplade Des grenouilles faisaient un grand charivari ; Une caille très loin jetait son double cri, Et, comme préludant à quelque sérénade, Des oiseaux réveillés commençaient leurs chansons. Le vent me paraissait chargé d'amours lointaines, Alourdi de baisers, plein des chaudes haleines Que l'on entend venir avec de longs frissons, Et qui passent roulant des ardeurs d'incendies. Un rut puissant tombait des brises attiédies. Et je pensai : « Combien, sous le ciel infini, Par cette douce nuit d'été, combien nous sommes Qu'une angoisse soulève et que l'instinct unit Parmi les animaux comme parmi les hommes. » Et moi j'aurais voulu, seul, être tous ceux-là !
Je pris et je baisai ses doigts ; elle trembla. Ses mains fraîches sentaient une odeur de lavande Et de thym, dont son linge était tout embaumé. Sous ma bouche ses seins avaient un goût d'amande Comme un laurier sauvage ou le lait parfumé Qu'on boit dans la montagne aux mamelles des chèvres. Elle se débattait ; mais je trouvai ses lèvres ! Ce fut un baiser long comme une éternité Qui tendit nos deux corps dans l'immobilité. Elle se renversa, râlant sous ma caresse ; Sa poitrine oppressée et dure de tendresse, Haletait fortement avec de longs sanglots ; Sa joue était brûlante et ses yeux demi-clos ; Et nos bouches, nos sens, nos soupirs se mêlèrent. Puis, dans la nuit tranquille où la campagne dort, Un cri d'amour monta, si terrible et si fort Que des oiseaux dans l'ombre effarés s'envolèrent. Les grenouilles, la caille, et les bruits et les voix Se turent ; un silence énorme emplit l'espace. Soudain, jetant aux vents sa lugubre menace, Très loin derrière nous un chien hurla trois fois.
Mais quand le jour parut, comme elle était restée, Elle s'enfuit. J'errai dans les champs au hasard. La senteur de sa peau me hantait ; son regard M'attachait comme une ancre au fond du cœur jetée. Ainsi que deux forçats rivés aux mêmes fers, Un lien nous tenait, l'affinité des chairs.

III

Pendant cinq mois entiers, chaque soir, sur la rive, Plein d'un emportement qui jamais ne faiblit, J'ai caressé sur l'herbe ainsi que dans un lit Cette fille superbe, ignorante et lascive. Et le matin, mordus encor du souvenir, Quoique tout alanguis des baisers de la veille, Dès l'heure où, dans la plaine, un chant d'oiseau s'éveille, Nous trouvions que la nuit tardait bien à venir.
Quelquefois, oubliant que le jour dût éclore, Nous nous laissions surprendre embrassés, par l'aurore. Vite, nous revenions le long des clairs chemins, Mes deux yeux dans ses yeux, ses deux mains dans mes mains. Je voyais s'allumer des lueurs dans les haies, Des troncs d'arbre soudain rougir comme des plaies, Sans songer qu'un soleil se levait quelque part, Et je croyais, sentant mon front baigné de flammes, Que toutes ces clartés tombaient de son regard. Elle allait au lavoir avec les autres femmes ; Je la suivais, rempli d'attente et de désir. La regarder sans fin était mon seul plaisir, Et je restais debout dans la même posture, Muré dans mon amour comme en une prison. Les lignes de son corps fermaient mon horizon ; Mon espoir se bornait aux nœuds de sa ceinture. Je demeurais près d'elle, épiant le moment Où quelque autre attirait la gaieté toujours prête ; Je me penchais bien vite, elle tournait la tête, Nos bouches se touchaient, puis fuyaient brusquement. Parfois elle sortait en m'appelant d'un signe ; J'allais la retrouver dans quelque champ de vigne Ou sous quelque buisson qui nous cachait aux yeux. Nous regardions s'aimer les bêtes accouplées, Quatre ailes qui portaient deux papillons joyeux, Un double insecte noir qui passait les allées. Grave, elle ramassait ces petits amoureux Et les baisait. Souvent des oiseaux sur nos têtes Se becquetaient sans peur, et les couples des bêtes Ne nous redoutaient point, car nous faisions comme eux.