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Et combien ?

M’en fous.

Je suis bien, je te dis-je !

Elle chuchote, après des années de mutisme :

— On va manger quelque chose.

Impossible de répondre. Li Pût remue faiblement. Elle décroche un bigophone. Elle cause en xylophone. Le silence se joint au parfum pour nous ensevelir à nouveau.

Et puis elle murmure de sa voix comme une pluie de pétaux de rose :

— Vous m’avez fait atteindre le point culminant de la jouissance.

Cette déclaration m’arrache aux vapes bienheureuses. Dis, faut pas qu’elle me chambre, la déesse ! L’amour, c’est son turbin. Elle est championne du monde incontestée, mais chez les pros !

Je bande mon énergie à défaut d’autre chose pour soupirer :

— Epargnez-moi le baratin post-opératoire ; ce fut trop bon pour qu’on le gâche avec des mots !

Elle se dresse sur son séant d’une seule détente. Puis elle se penche sur moi et chuchote à mon oreille (celle que tu préfères, je veux rien t’imposer) :

— Ecoutez-moi, et écoutez bien. Il est exact que je suis une prostituée du top-niveau. Il est exact que je connaisse la manière de provoquer la mort d’un individu par arrêt du cœur. Il est exact que j’ai tué des hommes de cette façon : ceux que vous avez évoqués et beaucoup d’autres. Vous ayant confié cela, il faut que vous me croyiez quand je vous affirme que j’ai joui tout à l’heure pour la première fois de mon existence. J’ai fait l’amour avec des maîtres du sexe, des techniciens chinois surdoués en matière de sensualité et dotés d’une science que vous ne soupçonnez pas. J’ai fait l’amour avec des hommes armés d’un membre surdimensionné et qui savaient le manœuvrer. J’ai fait l’amour avec des sadiques aux folles inventions. Je me suis livrée à des femmes en rut ! Je connais tout ! J’ai tout essayé ! Les orgasmes que j’en ai tirés étaient misérables et flétris comparés à celui que je vous dois. Enfin la plénitude !

— Moi z’aussi, fais-je.

Car je la crois. Ce que je viens de vivre n’aurait été tel sans une totale participation de ma partenaire. Les plaintes que je lui ai arrachées, les hurlements qu’elle a poussés, les larmes qu’elle a versées ne pouvaient être feints. Et puis, et surtout, m’avouerait-elle ses forfaits si elle n’était complètement déboussolée par ce fade magistral ? Hmmm ? Réponds ? Ah ! tu vois ?

On frappe légèrement à la lourde. Le Chinetoque qui m’a accueilli naguère entre, porteur d’un immense plateau chargé de petits plats odorants.

— Vous aimez la cuisine chinoise ? me demande Li Pût.

— J’en raffole !

— Je pense que vous apprécierez celle-ci, Koû d’Ban Boû est un cuisinier habile.

Fectivement, il y a là, sur des plaques chauffées, des traverses de porc, des gambas à la sauce aigre-douce, du bœuf sauté aux poivrons verts, du poulet au citron, des pousses de bambou aux rognons et du riz cantonais cuit dans des feuilles de lotus.

Adossés au montant du lit, on se met à jouer des baguettes et à tricoter notre appétit. Mon cerveau se remet à marcher cahin-caha. Je pense à Marie-Marie qui morfond sur Louis IV et qui doit s’inquiéter. Et puis je me dis que je viens de limer comme jamais avec une meurtrière à ce point désarçonnante — et trébuchante — qu’elle avoue ses assassinats dans un élan amoureux. Pour lors, je ne sais plus si c’est du lard ou du porc sucré. On réagit comment, en pareil cas, lorsqu’on est flic intègre, réputé pour ses prouesses et son émériterie ?

— Vous vous appelez Antoine ? demande Li Pût entre deux baguettées.

— Oui. On pourrait trouver plus beau, non ?

— C’est un nom merveilleux.

Elle chipote du bout des bâtonnets, la chérie. On dirait un oiseau alimentant ses petits. Ses coups de baguettes sont magiques et ressemblent à des becquées.

— Antoine, fait-elle, désormais, nous ne nous quitterons plus.

— Vous savez bien que c’est impossible.

— Ne dites pas de sottises, mon amour ; tout est toujours possible.

Je remarque alors qu’en mangeant elle a lu un texte écrit en chinois sur un feuillet long et étroit. De prime abord, je l’ai pris pour une serviette de papier, croyant que les caractères peints étaient des motifs de décoration.

— Vous logez au Puente Romano, en compagnie d’une jeune fille qui semblerait être votre fiancée, n’est-ce pas ?

— Les nouvelles vont vite !

— C’est plutôt mon service d’informations qui est diligent.

Elle chipote dans son bol. Elle est mieux que nue, puisque sa chemise de nuit est en lambeaux (j’ai le coït fougueux !). L’un de ses admirables seins jaillit fièrement d’une échancrure. On se regarde, lui et moi. Il me fait de l’œil.

— Ma mère, une femme de sagesse et de grande expérience, un peu médium sur les bords, m’avait prédit que je vous rencontrerais.

— Vraiment ?

Li Pût coule sa main à un point de mon individu où règne une température qui excède 37°. Sa caresse est légère mais précise. Malgré la séance épique qui vient de se dérouler, un flux nouveau entraîne mon sous-marin de poche hors des draps.

La stupéfiante créature gazouille :

— Oui, ma chère Tieng Bong, un soir que je lui avouais ne pas ressentir de réel plaisir dans l’étreinte, m’a déclaré : « Bientôt un homme viendra, qui ne sera pas de ta race. Il comblera tes sens et mettra ton corps en folie. Dès lors, tu ne devras plus te séparer de lui car vous connaîtrez des extases infinies. »

Elle repose son bol de riz sur le plateau et se penche sur ma zone d’influence.

— Vous êtes cet homme, mon aimé, et nous vivrons désormais dans la passion la plus débridée.

— Hélas, hélas, hélas ! gaullé-je, c’est un rêve, chère Li Pût. Comme vous venez de l’apprendre, je ne suis pas libre ; et puis, et surtout, il y a le fait que vous êtes une meurtrière et que je suis un flic. Vous tuez ceux qui vivent, moi j’arrête ceux qui tuent. Nos deux occupations nous rendent irraprochables.

— Le croyez-vous vraiment ? elle demande avant de prendre ma friandise à tête gauloise dans sa bouche vermeille.

Evidemment, notre situation présente permet mal de développer cette argumentation. Ma compagne me prodigue quelques caresses capables de filer le tricotin à un escargot centenaire. Je n’ai pas le courage d’achever mon poulet au citron, pourtant succulent. Hop ! en piste pour le 2 !

Je la redémarre avec le repas des lanciers, suivi immédiatement de l’anneau de Saturne.

Lili Pute se met à bramer comme la biche aux abois, lorsque le cerf lui joue du corps, le soir, au fond des bois. Ses cris ? Des roucoulades partant en stridences mélodieuses. Une note haute, filée, interminable. Et qui vous fait piquer des deux, bordel ! Je peux te garantir qu’avec l’anneau de Saturne j’obtiens mon gros effet. Faut dire que j’ai amélioré la figure, depuis deux ans. Avant d’utiliser mon pal injecteur, je l’oins de jus de citron. Cette fois, j’ai ajouté une goutte de piment-sauce. Et alors, là, espère, c’est pas un tigre que je viens de carrer dans son moteur, mais toute une colonie d’hyènes en furie. Elle tente de m’échapper la bougresse ! Pas de ça, Lisette ! Oh ! que non ! Je la maintiens à deux pognes (de Roman, vu que je suis romancier). Faut qu’elle se soumette sans se démettre ! Je la veux passive, soumise, conquise, comme chantait Mme Yvonne Printemps. Inutile de gesticuler du fion, la belle ! Force reste à la loi ! Non mais qu’est-ce que tu croyais, ma jolie Pékinoise ? Que l’Antonio c’était de l’objet de bas art ? Du produit en vente libre ? Un vibromasseur de sac à main ? Tiens, fume ! Et c’est le mot qui convient pile ! Et pile c’est aussi le mot qui convient ! Les gigognes sont de retour !