Oh ! c’tembroquement ! J’y vais de bon cœur. Pas de Cartier ! comme ils disent chez Van Cleef. Je la marque au fer et au piment rouge, ma belle assassine. Take, mignonne ! Et t’en va pas ! Je ponctue d’une dérouillée sauvage. Voies de fait respiratoires et urinaires. Prenant appui sur le genou gauche je lui tavelle le prose du droit. Rrran ! rrran ! Et je lâche sa croupe pour lui claquer la frite à deux mains. J’ai jamais usé d’un tel procédé. Ou rarement. En tout cas je m’en souviens plus. Plus très bien. Mais elle déguste, Auguste ! Viens voir ! Rouée, la rouée gonzesse. Vive ! Tchlaoc, paouf ! Les beignes crépitent comme un incendie de forêt. Une grêle de gnons, d’oignons, de nyons ! Et mon vieux camarade Duzob est en folie. En feu ! C’est l’Apocalypse. Je gueule aussi fort que la môme, brûlé au deuxième degré ! Mais on n’a rien sans rien. Cette troussée, elle l’oubliera plus jamais. C’est le Pearl Harbor de ses meules ! Leur jubilée ! Leur fête du couronnement. Elle bieurle en chinois, et même, par instants, en mongolien, me semble-t-il. Vouhaa ! Hein, c’est bien du mongolien « vouhaa » ? Non ? En mongolien faut un double vé ? Ah ! bon, je croyais.
Je suis acharné comme un chien qui a décidé d’en égorger un autre. Inépuisable ! Je pourrais lui filer (je devrais dire enfiler, mais j’ose pas, à cause de Maurice Rheims qui me lit, paraît-il, et puis aussi M. Claude Mauriac) le train jusqu’à tu sais quand ? Bouge pas, je regarde comment ça s’écrit dans les pages roses… Jusqu’à a vitam aeternam. Voilà !
Faut des réserves, tu sais pour accomplir une performance de ce niveau. La reine Elizabeth Two me le disait le mois dernier : « Des comme vous, on n’en trouve plus. Même le gazier qui s’était introduit dans ma chambre, l’autre année, vous vient pas à la cheville ! » Et c’est une femme qui n’a pas coutume de berlurer son monde. T’as vu avec les Argentins ? Elle leur avait dit : « Gaffez-vous, les mecs, sinon va y avoir du tango dans les Malouines » ; ils n’ont pas voulu l’écouter et le général-président a paumé ses bananes à cause du régime qui a basculé. Non, franchement, quand Mme Albion te cause, tu peux la croire.
Mais je t’en reviens à ma prouesse.
Quelques gouttes de citron (vert de préférence), une de piment-sauce. Ça s’appelle « le perroquet farceur » (de farcir). Ma perruche, tu peux me croire, elle a les plumes ébouriffées. Elle en vient à me supplier d’arrêter le massacre, tu te rends compte ? Une femme aussi endurante ! On rêve, non ? Sa stoïcité asiatique, son orgueil chinois : au tas !
— Je ne peux plus ! Oh ! non ! Non !
Ça ne fait que me stimuler, au contraire. Faut que je parvienne à mes fins, à mes faims. C’est-à-dire que je la démantèle pour de bon. Que je la rende inapte pour des semaines et p’t’être davantage.
Elle passe le cap de la souffrance pour enquiller celui de Bonne-Espérance. Au-delà du tolérable, tu retrouves la volupté. Mais alors, pardon : pas de la volupté à trois balles pour midinette de sortie ! La toute grande. Qu’en comparaison, le plus somptueux des fades enregistrés jusqu’à ce jour équivaut à l’extraction d’une molaire sans anesthésique.
Il arrive à force de trop d’à force le blanc absolu. Elle s’évanouit.
Terminus !
Qui dit mieux ?
Je lui rends la liberté.
Et c’est un vieillard de cent vingt ans qui gagne la salle de bains en titubant et en traînant les pinceaux.
Alors là ! pardonnez-moi, docteur, mais l’instant qui suit, c’est plus du Mozart. Je me trimbale une de ces fausses oronges qui filerait des spasmes à un mycologue. Je ne souris pas Gibbs, mécolle, au-dessus du lavabo ! Ça relève de l’hosto une telle avarie de machine ! Tu pourrais pas aller me chercher un seau de crème Chantilly que je m’en fasse un slip, Philippe ? J’inventorie la pharmacie de mon hôtesse, malgré ma discrétion pro et postverbiale. C’est plein de petits pots de forme octogonale, avec des étiquettes vives et des inscriptions chinoises. Ne sachant à quoi j’ai affaire, je me rabats sur un banal flacon de mercurochrome en attendant des jours meilleurs.
Je te raconte tout ça, tu vas dire que je manque de pudeur et que ma vie pénisienne ne regarde que moi, mais je suis le contraire d’un cachottier, tu ne l’ignores pas. Je pense que, dans l’existence, quand on a des rapports auteur-lecteurs, faut rien se cacher. A quoi bon ? Tout finit par se savoir. Tu me verrais me trémousser sur une chaise et marcher comme la créature de Frankenstein, tu te poserais des questions, non ? Alors, autant t’annoncer la couleur.
Rouge !
Vif !
A la limite de l’incandescence.
Je regagne le plumard. Lili Pute est toujours affalée en travers de sa couche, les bras pendant sur la moquette.
Je lui bassine les tempes à l’aide d’une serviette mouillée. Au bout d’un moment, elle réagit quelque peu. Des plaintes douces lui roucoulent la gorge.
Chère âme torturée. Ses prunelles en forme de guillemets se posent sur moi.
— Vous ne m’en voulez pas trop ? je murmure, pas feignant, mais feignant d’être penaud.
Tu sais ce qu’elle me répond ? Et tout en français !
— Je t’aime !
Ce qui, en anglais, signifie I love you, je ne te le cache pas. Je ne te le cache-pot. Parce qu’à propos de pot, hein, tu m’as compris tu m’as ?
— Inoubliable, soupire Li Pût.
Tu penses : elle peut plus s’asseoir ; ou alors s’asseoir à plat ventre, c.d.B.
Je l’aide à se mettre droite. Elle pantelle dans mes bras, poupée de sire, poupée de cons ! La guide à la salle de bains, pour réparer des glands l’irréparable outrage.
Lorsqu’elle s’y trouve enfermée, je me saboule d’urgence et : bye-bye la compagnie ! Je quitte la chambre.
Du moins en ai-je l’intention. Car, à peine la porte entrouverte, je me trouve face à Koû d’Ban Boû, le zélé homme à tout faire de ma partenaire.
Il est assis dans un rocking-chair, pile devant la lourde. Un long fume-cigarette pour vamp du cinoche muet entre les dents.
En m’apercevant, il cesse son léger balancement, le fume-cigarette se déplace entre ses lèvres de façon à venir au beau milieu de sa bouche. Ses joues se gonflent. Il a l’air de combiner un coup fourré. Le temps que je réalise, il est trop tard. Il fait « floum ! » un grand coup pour expulser l’air de ses poumons. J’ai l’impression désagréable qu’une guêpe vient de me piquer au cou. Je porte la main au point de douleur. Je regarde mes doigts qu’une légère traînée de sang rougit. Et puis je me sens devenir lointain. Je recule, recule à toute vibure au fond de moi, de mon corps, de ma conscience. Ma perception devient irréelle.
Sans se presser, le Jaune retire son fume-cigarette-sarbacane de sa bouche et le replie car il est télescopique. Il le glisse dans sa poche ; puis il se lève et me prend par le bras. Je crois sentir une force surprenante chez lui, à moins qu’il ne s’agisse d’une illuse causée par mon envapement ?
Avec fermeté, il me guide jusqu’au fauteuil à bascule. J’y prends place. Je n’éprouve plus rien « en direct ». Mon corps, mes pensées, la vie d’alentour ne me concernent plus. Il est détaché du monde, l’Antonio chéri. Il voit, il comprend, mais mornement, sans se sentir impliqué le moins du monde.
Koû d’Ban Boû écarte le rocking-chair en le traînant pour libérer le passage.
— Vous verrez, ce n’est pas désagréable, me déclare-t-il.
Il passe dans la chambre et se met à tailler la bavette en chinois avec Li Pût, haussant le ton pour se faire entendre à travers la porte de la salle d’eau. Quand il a achevé de jacter, il quitte la maison. Je reste seulabre dans le salon blanc. Je me dis très vaguement que je devrais tenter de m’arracher au fauteuil, mais je sais parfaitement que la chose m’est impossible. Je ne suis plus rien qu’une énorme limace à demi anesthésiée.